La mise en oeuvre pratique de l’accord de Paris sur le climat, conclu en décembre 2015 lors de la COP 21, s’avère une opération ardue. Alors qu’il n’avait aucune valeur contraignante pour les Etats signataires, ceux-ci s’engageant seulement à programmer la diminution de leurs émissions des CO2 (la Chine après 2025), force est de constater que bon nombre d’entre eux sont en retard sur la voie de la transition énergétique qui implique une sortie des énergies carbonées fossiles, notamment du charbon. Qui plus est, les événements climatiques survenus cette année (graves incendies de forêts en Grèce et en Californie atisés par la canicule, pénurie d’eau en Afrique du Sud pour des raisons analogues, cyclones violents sur la côte Est des Etats-Unis, aux Philippines et au Japon, canicules en Europe, forte présence de glaces dans les parages maritimes du nord canadien) témoignent que le changement climatique est en cours et qu’il a d’ores et déjà un impact sérieux. Au sortir de l’été la Californie annonçait son objectif de produire toute son électricité, en 2045, avec des énergies « propres ». Au plan politique, deux événements survenus à quelques jours d’intervalle, la démission forcée du Premier Ministre australien Malcom Turnbull et son remplacement, le 24 août par Scott Morrison, et celle, en France, du ministre d’Etat en charge de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, survenue le 28 août, révèlent les difficultés auxquelles se heurtent les gouvernements pour appliquer une politique volontariste capable de progresser rapidement sur la voie de la transition énergétique. La presse française a longuement commenté les raisons invoquées par Nicolas Hulot pour expliquer sa démission, rappelons simplement qu’il a estimé que l’action gouvernementale était insuffisante pour mener une transition énergétique et écologique au rythme qu’il estimait nécessaire. La démission du Premier ministre australien est passée inaperçue aux antipodes (l’Australie consomme ses Premiers ministres à un rythme supérieur à celui qu’a connu la IV e République en France…) mais on doit observer que le parti libéral, son parti, a contesté son intention de mettre en place un système de contrôle des émissions de CO2 par les opérateurs énergétiques, le National Energy Guarantee, et l’a mis en minorité, l’obligeant à démissionner. La revue Nature (Nature, editorial, 4 September 2018, www.nature.com ) qui a consacré un éditorial à cette démission, rapporte que son successeur Malcom Turnbull s’était illustré, l’an dernier, dans un débat parlementaire sur l’environnement en venant en séance avec un morceau de charbon (l’Australie est un grand producteur de charbon) dont il a vanté les vertus…. le gouvernement australien a toutefois annoncé qu’il n’avait pas l’intention de sortir de l’accord de Paris comme l’ont déjà fait les Etats-Unis, mais rien n’est certain. Terminons cette liste des déconvenues politiques par la décision, prise cet été, du Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, de battre en retraite sur une future taxe carbone que le gouvernement canadien envisage d’instituer, son niveau sera moins élevé que prévu.
Restons en France et faisons le point des chantiers sur lesquels le gouvernement a travaillé à partir de la loi sur la transition énergétique, votée en 2015, et du « Plan Climat » présenté par Nicolas Hulot en juillet 2017. Celui-ci affichait des objectifs ambitieux, notamment : assurer la neutralité carbone de la France en 2050 et ne plus vendre des voitures à moteur thermique à partir de 2040. Une nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) devait être publiée à la fin de l’année 2018 après concertation avec les parties prenantes. Celle-ci a eu lieu avec des débats publics jusqu’en juin dernier, et le nouveau ministre en charge de l’énergie et de l’écologie, François de Rugy, a annoncé que le gouvernement rendrait publique sa feuille de route pour l’énergie en octobre. La partie délicate de cette PPE est le nouvel équilibre à trouver entre les filières renouvelables et nucléaire pour la production d’électricité car l’objectif d’abaisser à 50% la part du nucléaire en 2025 s’avère inatteignable, l’horizon devrait probablement être reculé à 2035. Même si la puissance installée en éolien et en solaire progresse à un bon rythme (mais avec du retard pour le solaire), l’effort à accomplir demeure très important (en année pleine, aujourd’hui, 22% de la consommation électrique est assurée par des énergies renouvelables, majoritairement l’hydraulique, cf. RTE, Panorama de l’électricité renouvelable au 30 juin 2018, septembre 2018, www.rte-france.com ) car il faudrait plus que doubler la part des renouvelables dans la production électrique en quinze ans. Observons que le record de couplage au réseau de nouvelle puissance éolienne et solaire s’établit à 2.8 GW, en année pleine, ce qui assure à peine l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire.
Plusieurs questions restent entières. La première est celle du stockage de l’électricité qui n’est que rarement abordée, du moins en France, alors qu’elle constitue un verrou majeur (celui des batteries) pour cette transition électrique à la fois pour les centrales de production et les véhicules électriques (un plan hydrogène proposé par Nicolas Hulot envisageait qu’une partie de ce stockage s’effectue avec des piles à combustible à hydrogène ce qui est largement un plan sur la comète). La recherche dans ces domaines progresse mais lentement, il faudrait trouver une alternative à la batterie lithium-ion (des batteries lithium-air, voire sodium-ion ou lithium-soufre sont étudiées, cf. P. Papon, « Des nouvelles filières de batteries », Futuribles, No 426, septembre-octobre 2018, p. 102, www.futuribles.com ). La seconde qui est un véritable serpent de mer est celle des économies : la diminution de la consommation des énergies finales, en premier lieu dans les bâtiments et en second lieu dans les transports soit, respectivement, 43 % et 32% de la dépense finale d’énergie en France. Une note de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques fait un bilan relativement sévère de la rénovation énergétique des bâtiments qui devrait être une voie majeure vers des économies d’énergie (OPESCT, J-L. Fugit et L. Prud’homme, note scientifique, juillet 2018, www.senat.fr/opects ). La loi sur la transition énergétique prévoyait la rénovation thermique de 500 000 logements par an, une opération coûteuse pour les particuliers (une rénovation complète d’un logement étant chiffrée au minimum à 20 000 €). L’OPECST estime que les résultats obtenus en matière de rénovation ne sont pas atteints même si des moyens importants ont été engagés (3,8 milliards de crédits incitatifs en 2015), la réduction de la consommation d’énergie a été très faible dans le bâtiment on est passé de 498 TWh à 493 TWh, toutes énergies confondues, de 2009 à 2016 soit une baisse de 1% ! L’OPECST estime que « l’atteinte des objectifs nationaux et sectoriels implique donc une véritable rupture dans le domaine de la rénovation énergétique » et que priorité doit être donnée aux « passoires » énergétiques. Le nouveau ministre a annoncé que le remplacement d’un crédit d’impôt par une subvention pour cette rénovation serait retardé, ce qui n’est pas un bon signal.
Dernière question qui n’est pas la moindre, celle de l’effort de recherche publique. On constate, avec surprise, que la dépense de R&D publique dans le domaine de l’énergie a baissé continûment depuis 2011 (Commissariat général au développement durable, Data Lab, août 2018, www.statistiques.developpement-durable.fr ). Celles-ci sont passées, en effet, de 1050 millions d’euros en 2011 à 913 millions d’euros en 2016, soit une baisse de 2% par an , celle-ci ayant été forte en 2016 (8%), les dépenses de soutien à l’innovation s’élevant par ailleurs à 944 M€. Le nucléaire, en baisse depuis 2005 représentant 45% des dépenses totales de R&D et les nouvelles technologies de l’énergie (41%) en nette hausse sur la période 2005-2011 (elles ont triplé sur cette période) stagnent ou s’érodent depuis lors. La France peut certes se consoler en constatant que la dépense publique de recherche sur l’énergie rapportée au PIB est la deuxième des pays du G7 (0,05%), mais la baisse survenue depuis cinq ans ne contribue pas à préparer l’avenir et témoigne aussi du fait que la science n’est pas considérée comme un acteur important de la transition énergétique.
Au risque de nous répéter, nous soulignons, que la transition énergétique est un objet à trois dimensions – scientifique, industriel et socio-économique – et que celles-ci doivent être prises en compte en même temps et de façon cohérente. Force est de constater que ce n’est pas encore le cas et l’on ne peut pas se contenter comme le font certains milieux politiques, des associations militant pour la transition écologique, auxquels se joignent des scientifiques, de prophétiser une apocalypse climatique si des mesures radicales ne sont pas prises pour lutter contre le réchauffement climatique. La menace est certes sérieuse comme le montre ce dernier été mais il faut mettre tous les dossiers sur la table, d’une part en identifiant tous les verrous techniques et financiers à faire sauter et d’autre part en chiffrant le coût des mesures qui s’imposent avec un calendrier réaliste. Contentons-nous de quelques pistes. La rénovation thermique des bâtiments suppose, comme le souligne l’OPECST la mise en place d’une ingénierie financière. Le développement des énergies renouvelables et de la mobilité électrique requiert une stratégie industrielle basée sur un effort de recherche et d’innovation capable de proposer des techniques nouvelles, notamment des nouveaux matériaux pour le solaire photovoltaïque et des batteries afin que l’industrie française soit présente sur les marchés mondiaux, la question se pose d’ores et déjà pour la transition de l’industrie automobile aux véhicules électriques. Ajoutons que les nouvelles techniques énergétiques font appel à des matériaux et notamment à des métaux (comme les terres rares) qui sont pour la grande majorité importés. La Cour des comptes dans une note récente an Sénat (Le soutien aux énergies renouvelables, mars 2018, www.comptes.fr ) soulignait que la France n’est pas parvenue à se doter de champions industriels dans le secteur des énergies renouvelables et « qu’une clarification des ambitions industrielles françaises en matière d’énergies renouvelables s’impose donc ». Qui plus est, la France, comme l’Europe d’ailleurs, n’a pas de stratégie minière et risque, à l’avenir, de dépendre de pays comme la Chine pour ses approvisionnements en métaux critiques, comme les terres rares (le néodyme par exemple) indispensables à certaines techniques (cf. sur ce sujet le livre de Guillaume Pitron La guerre des métaux rares, Les liens qui libèrent, 2018). Il n’existe pas de solution unique et miracle pour sortir des énergies carbonées, les énergies renouvelables sont certainement l’une des voies possibles, mais il n’est pas réaliste de poser un voile pudique sur l’avenir du nucléaire qui fait partie de la solution, à condition d’évaluer ses contraintes techniques et financières.
Un récent et très intéressant rapport du MIT fait ce travail et ses conclusions conduisent à une affirmation et à de sérieuses interrogations sur le nucléaire (MIT, The future of nuclear energy in a carbon-constrained world, 2018, www.energy.mit.edu/research/future-nuclear-energy-carbon-constrained-world). Nous reviendrons ultérieurement sur ce rapport et nous nous contenterons de les résumer : – le nucléaire est incontestablement une solution à la « décarbonisation » de l’énergie – le coût de construction de nouvelles centrales en Europe et aux Etats-Unis est très élevé (mais moins en Chine) et le kWh produit risque de ne pas être compétitif à moins de prendre des mesures drastiques pour réduire le coût des équipements (effets de série) – une solution envisageable à long terme serait de construire des petits réacteurs, évitant notamment d’utiliser l’eau comme fluide caloporteur, par exemple des réacteurs de génération IV à sels fondus. Il y a, on le voit, matière à débat.
Les « événements » politiques et climatiques de cet été sont des signaux d’alerte qui montrent que la transition énergétique ne sera pas un long fleuve tranquille. La nécessité d’appliquer des politiques volontaristes n’est pas douteuse, et l’opinion publique en est probablement consciente, mais les dirigeants politiques doivent montrer qu’elles auront un prix et que plusieurs d’entre elles supposent des accords internationaux (la taxe carbone notamment) et en Europe des stratégies communes qui restent à imaginer.