La filière hydrogène: une filière d’avenir…..destinée à le rester?

  Rappelons d’abord que le principe de la filière hydrogène associé à la technique de la pile à combustible est connu depuis près de deux siècles (une première pile avait été construite en 1839 par un gallois W. Grove). Aujourd’hui, les débats sur la transition énergétique et sur les énergies «décarbonées » lui ont redonné une certaine actualité. Le futurologue Jeremy Rifkin, considérait, en 2002, dans son livre, L’économie hydrogène (J. Rifkin L’économie hydrogène, après la fin du pétrole, la nouvelle révolution économique, Paris, La Découverte, 2002) que la fin du pétrole était imminente et que l’hydrogène se substituerait au pétrole comme vecteur énergétique quand celui-ci serait épuisé. Rappelons quelques données physiques. L’hydrogène a l’avantage  de posséder des propriétés énergétiques remarquables ce qui explique son intérêt : il est le vecteur énergétique avec la plus grande densité massique (2,2 fois plus d’énergie par kg que le gaz naturel, 1kg d’hydrogène est équivalent à 3,8 l d’essence soit 2,75 kg). Toutefois, c’est un gaz léger, ne se liquéfiant qu’à très basse température (- 253 °C) et il faut dépenser en pratique 10-13 kWh/kg pour le liquéfier. Par ailleurs, il faut aussi observer, ce que l’on fait rarement, que sa plage d’inflammabilité avec l’air est très étendue (5 fois plus que celle du gaz naturel) et avec une énergie d’inflammation très faible (14 fois moins élevée que celle du gaz naturel). C’est un gaz dangereux et comme il est très léger il diffuse très facilement, notamment dans les métaux qu’il peut fragiliser, son utilisation à grande échelle exige donc des règles de sécurité importantes pour le stocker et le transporter (un stockage dans des réservoirs métalliques peut être dangereux). L’hydrogène est un gaz industriel (utilisé pour la désulfuration de carburants, en chimie et en électronique) produit essentiellement (95 %) par « vapo-reformage » d’hydrocarbures (majoritairement le gaz naturel) avec de la vapeur d’eau, et marginalement par électrolyse de l’eau avec une électricité….qui est souvent produite par des centrales thermiques, avec un rendement de l’électrolyse de l’eau alcaline qui n’est, en moyenne, que de 70%.

  Le ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot  a présenté le 1er juin un « Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique ». Il a affirmé que dans la perspective de la transition énergétique « l’hydrogène peut aussi devenir une solution majeure pour notre mix énergétique tout d’abord en rendant possible le stockage à grande échelle des énergies renouvelables, permettant ainsi de rendre crédible un monde où l’hydrogène vient se substituer, petit à petit, au fossile et au nucléaire pour combler les intermittences du solaire et de l’éolien ». Le programme gouvernemental fixe deux objectifs principaux à la filière : – stocker l’électricité produite par des filières renouvelables intermittentes sous forme d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau qui est ensuite distribué dans un réseau de gaz (éventuellement transformé en méthane) ou utilisé dans une pile à combustible pour produire de l’électricité débitée dans le réseau électrique – développer des « mobilités propres » en utilisant l’hydrogène dans une pile à combustible alimentant un moteur électrique (l’hydrogène est recombiné avec l’oxygène de l’air, une réaction produisant de l’électricité et de l’eau cf. schéma, Source : Nature, L.Schlapbach, vol. 460, p. 810, 2009). Le ministère souligne plusieurs avantages de cette solution : – un faible temps de recharge (trois minutes équivalent au temps nécessaire à un plein d’essence,image de tête une voiture à hydrogène Hyundai) ce qui est exact  – une autonomie équivalente à celle d’un moteur thermique ce qui aussi est exact – un poids plus faible du véhicule avec un encombrement moindre car la pile à combustible est plus petite qu’une batterie, l’argument est spécieux dans la mesure où l’hydrogène doit être stocké sous haute pression (700 bars) dans un réservoir en matériau composite dont le volume est de l’ordre de 125 l et le poids pas inférieur à 100 kg. Plusieurs objectifs chiffrés sont fixés : à l’horizon 2023 faire rouler 5 000 véhicules utilitaires légers et 200 lourds avec 100 stations de recharge sur le territoire (une par département !) avec, éventuellement un « verdissement » du ferroviaire (quelques trains à hydrogène). Pour « verdir » la production d’hydrogène le ministre fixe un objectif de 10% pour la part de l’hydrogène produite à partir de ressources renouvelables en 2023. Cent millions d’euros seraient mobilisés jusqu’en 2023 pour ce plan.

  Dans un rapport publié, en avril 2018, Le vecteur hydrogène dans la transition énergétique (Avis de l’ADEME, avril 2018, www.ademe.fr ), l’ADEME avait fait le point sur les potentialités de la filière. On trouvait dans son document les prémices du plan gouvernemental avec ses deux objectifs principaux : le stockage de l’électricité et la mobilité électrique. L’ADEME souligne que la filière hydrogène apporterait des solutions de flexibilité et d’optimisation aux réseaux énergétiques. Elle envisage ainsi un scénario à l’horizon 2035 avec 64 % d’électricité d’origine renouvelable permettant de produire 30 TWh d’hydrogène par an à un coût inférieur à 5 € le kg. Elle relève également que l’hydrogène ouvre des perspectives pour l’autoconsommation à l’échelle d’un bâtiment, d’un îlot ou d’un village pour stocker de l’énergie. Les conclusions de l’ADEME sont très mesurées et le plan gouvernemental n’y fait aucune référence, elle souligne que les risque accidentels sont souvent évoqués (nous y avons fait allusion) et que « le rendement des solutions associées à l’hydrogène est de l’ordre de 20 à 30% contre plus de 80% pour les technologies liées aux batteries ». Le recours à l’hydrogène se justifierait techniquement, selon l’ADEME, s’il peut apporter un service supplémentaire à celui des batteries. Autrement dit, l’avenir de la filière lui semble limité. Ce n’est pas le point de vue qu’avait exprimé dans une étude dite de prospective, Développons l’hydrogène pour l’économie française les grands partenaires industriels de la filière avec le concours du CEA et de l’AFHYPAC (Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible, www.afhypac.org/newsletter/76/l-hydrogene-pourrait-repondre-a-20-des-besoins-en-energie-en-france-en-2050-217 ). Ce document fixe des objectifs très ambitieux pour la filière : 400 stations de recharge vers 2030,  200 000  véhicules à hydrogène circulant sur les routes françaises en 2030. En 2050 l’hydrogène pourrait représenter 20% de la demande d’énergie en 2050 (une production équivalente à 220 TWh) et la filière pourrait représenter un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros et 150 000 emplois.

Les mesures annoncées, par le plan ministériel ainsi que les perspectives optimiste de certains industriels laissent rêveur. On part de l’hypothèse à long terme que tout l’hydrogène serait produit pas la voie électrique en utilisant de l’électricité produite par des filières renouvelables ou le nucléaire, ce qui n’est pas le cas actuellement. Observons d’abord que les problèmes techniques ne sont pas évoqués alors que plusieurs verrous techniques demeurent, les partisans de la filière supposant sans doute que « Tout va très bien Madame la marquise ». Nous les avions longuement évoqués dans une note, il y a deux ans (cf. Pierre Papon, « L’hydrogène une filière énergétique entre promesses et incertitudes », Futuribles Vigie, No 186, 5 janvier 2016, www.futuribles.com ).  Résumons  les : – le comportement à l’usage des électrodes de la pile qui pour des véhicules doivent utiliser du platine (métal rare, il est vrai recyclable mais à quel coût ?), des piles fonctionnant à haute température et sans platine étant plus adaptées à des installations stationnaires de production d’électricité. – le rendement de l’électrolyse qui ne dépasse pas 70% – le stockage doit être assuré sous très haute pression avec des matériaux adaptés, en général des composites (un stockage sous forme d’hydrures métalliques étant envisageable pour les piles stationnaires mais n’est plus évoqué). Le rapport de l’ADEME résume bien les problèmes sans rentrer dans les détails : le rendement d’un système de stockage avec l’hydrogène est mauvais, il ne dépasse pas 30 %. Observons aussi que les questions de sécurité sont rarement évoquées, or l’hydrogène est un gaz dangereux. Il est donc peu réaliste d’envisager son utilisation dans des installations domestiques comme semble le fait l’ADEME, l’utilisation dans des installations de stockage de l’électricité sur un champ d’éoliennes ou une centrale solaire, donc à l’air libre, posant moins de problèmes. Les questions de sécurité se poseront également pour des stations-service de remplissage (les flottes de véhicules utilitaires pouvant faire le plein dans un garage mieux sécurisé (photo : station de recharge de l’Air Liquide en Allemagne). Il reste enfin un problème majeur, jamais évoqué : le coût financier  de la filière qui est un système complet. Le coût de production de l’hydrogène sera lié à celui de l’électricité et au rendement, son utilisation dans le transport suppose la construction d’une infrastructure de stations de recharge sur tout le territoire (il est exclu pour des raisons de sécurité d’installer des bornes dans des immeubles), ce réseau étant quasiment inexistant. Le professeur Jacques Percebois, attaché à la chaire d’économie du climat à Paris-Dauphine, estime, quant à lui, dans une interview au journal La Croix que « l’hydrogène apparaît comme une énergie très compliquée à gérer » (La Croix 25 juin 2018). Outre ses problèmes techniques (les batteries n’en sont pas exemptes elles aussi), la filière risque d’être un boulet économique. Si elle offre des possibilités au stockage de l’électricité dans certaines situations (à condition que les rendements soient améliorés), notamment sur des sites isolés, elle ne sera très probablement pas une solution adaptée à la mobilité car elle est en concurrence directe avec les véhicules équipés de batteries dont les performances s’améliorent et les coûts moins élevés (quelques centaines de véhicules à hydrogène circulent dans le monde).  Il est vrai que le Japon  affiche une grande une grande ambition pour l’industrie de l’hydrogène et il veut faire des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020 une vitrine pour promouvoir la technologie japonaise et Toyota veut en être le fer de lance. Son volontarisme s’explique sans doute la volonté de rééquilibrer le mix énergétique du Japon après Fukushima (où l’explosion d’hydrogène a gravement endommagé certains réacteurs…), en développant les énergies renouvelables pour la production d’électricité On peut se demander quel est le sens d’un objectif ministériel consistant à disposer d’un parc de 5000 véhicules utilitaires à hydrogène à l’horizon 2023 alors que le marché de la voiture électrique à batterie rechargeable décolle lentement mais décolle (trente mille ventes en France par an environ), il ne sert à rien de courir plusieurs lièvres à la fois surtout lorsque l’argent (et le platine !) sont rares.

En dépit des proclamations optimistes, un écho atténué à celles de J. Rifkin  d’il y a quinze ans, les perspectives de la filière hydrogène sont probablement limitées et sa rentabilité économique est très loin d’être assurée ce que soulignait déjà France Stratégie dans un rapport de 2014 (France Stratégie, Etienne Beeker, « Y a-t-il une place pour l’hydrogène dans la transition énergétique? », note No 15, août 2014, www.sgtrategie.gouv.fr ). Son avenir est sans doute celui d’une technologie de niche. Parier sur son développement à grande échelle est sans doute une erreur stratégique et industrielle.

 

 

 

 

 


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