A de nombreuses reprises des organisations internationales comme l’ONU, des agences internationales comme l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) ou des groupes de travail (le groupe « Africa Progress panel », présidé par Kofi Annan, ancien Secrétaire Général de l’ONU, a ainsi publié un rapport sur l’énergie en Afrique Power People Planet, en 2015, www.africaprogresspanel.org) ont attiré l’attention mondiale sur les fortes inégalités énergétiques dans le monde. En septembre 2015, sous l’égide de l’ONU, 193 pays ont adopté un manifeste, les « Objectifs du développement durable », connu sous le nom d’Agenda 2030 pour le développement durable. L’un des 17 objectifs, le septième, fait explicitement référence à la nécessité d’assurer l’accès à une énergie moderne, sûre, durable et accessible financièrement à tous les habitants de la planète. L’ONU mettait ainsi en évidence la relation étroite entre l’énergie et la plupart des objectifs de développement pour la planète, cet Agenda pour 2030 tout en soulignant la nécessité d’augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial, d’améliorer et de développer les infrastructures et les technologies énergétiques et de doubler l’efficacité énergétique.
Dans son World Energy Outlook 2017, paru en novembre dernier (IEA, Paris, 2017, www.iea.org), l’AIE rappelle que l’accès à une énergie moderne est encore un défi majeur pour de très nombreux pays en développement. Quelques chiffres suffisent pour montrer l’ampleur des problèmes à résoudre en 2016 : – 1100 millions d’habitants de la planète n’avaient pas d’accès à l’électricité (14% de la population mondiale), la quasi-totalité d’entre eux se trouvant en Asie et dans l’Afrique sub-saharienne (85% dans des zones rurales, environ 600 millions d’habitants de l’Afrique sub-saharienne et 200 millions en Inde), alors que l’accès à l’électricité dans certains pays du Sud est souvent précaire (coupures de courant fréquentes) – près de 2,5 milliards d’habitants utilisent des combustibles solides (bois, paille, déchets végétaux) pour des tâches domestiques notamment pour faire la cuisine (120 millions utilisent le kérosène et 170 millions le charbon) avec des poêles rustiques (souvent dépourvus de cheminée), l’air à l’intérieur des maisons est de ce fait fortement pollué (notamment par des particules fines). Si l’on observe une diminution nette mais lente de la population dépourvue d’électricité, en revanche le nombre d’habitants utilisant des énergies polluantes pour faire la cuisine ne diminue pas (sauf en Chine où la proportion de la population utilisant ces énergies a diminué d’un tiers depuis le début du siècle). Les conséquences sanitaires de cette pollution d’origine énergétique sont sérieuses, l’OMS estimant qu’elle est à l’origine d’environ 2,8 millions de décès prématurés dans le monde causés par des maladies respiratoires (les femmes et les enfants étant les plus touchés). Remarquons au passage que le charbon, outre qu’il est à l’origine de fortes émissions de CO2, est la principale source de pollution de l’air extérieur (cf. E.Gies, « The real cost of energy », Nature, vol.551, S145, 30 November 2007, www.nature.com ).
L’AIE a examiné, depuis plusieurs années, les perspectives de l’énergie mondiale à l’aide de scénarios. L’un d’eux, baptisé « Nouvelle politiques », prend en compte les décisions nationales de politique énergétique les plus récentes (il ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 compatibles avec ceux fixés lors de la Cop 21) et il « prévoit » (l’AIE insiste toutefois dans son rapport 2017 sur le fait que ses scénarios ne sont pas des « prévisions ») qu’en 2030, environ 600 millions d’habitants de la planète auraient gagné un à l’électricité et 90 millions de plus entre 2030 et 2040. Ainsi, en 2030, 90 % de la population des pays en développement serait « électrifiée » (82% en 2016), l’objectif de l’Agenda 2030 ne serait donc pas totalement atteint. Il serait nécessaire de relier 92 millions d’habitants à l’électricité par un moyen ou un autre pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 ; l’Afrique sub-saharienne serait encore loin de cet objectif (à l’exception notable du Kenya, de l’Ethiopie et de l’Afrique du sud) pratiquement atteint en Asie grâce notamment aux efforts de l’Inde et de l’Indonésie. L’urbanisation en cours de la planète, notamment dans les pays en développement, sera un facteur important de l’électrification. Toujours selon l’AIE, les perspectives d’élimination des usages d’énergies polluantes pour faire la cuisine demeurent « sombres » : 1,9 milliard d’habitants de la planète y auraient encore recours en 2040 (800 millions en Afrique sub-saharienne et près de 400 millions en Inde). Toutefois la réduction du nombre des décès prématurés dus à ces énergies polluantes serait importante (près de 500 000 décès en moins en 2040).
L’AIE a actualisé un scénario volontariste dans son rapport 2017, appelé « développement durable », ses perspectives pour l’énergie, à l’horizon 2040, seraient compatibles avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat (limiter à 2°C et si possible à 1,5°C le réchauffement de la planète entre les débuts de l’âge industriel et la fin du siècle). Il « prévoit » une réduction plus rapide des émissions de CO 2 et de polluants atmosphériques (les oxydes d’azote et de soufre notamment), et une croissance plus importante de l’électricité dans le mix énergétique mondial. Ce scénario permettrait d’atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 de l’ONU : 1,3 milliard d’habitants de la planète dépourvus d’électricité, aujourd’hui, y auraient accès en 2030 (en tenant compte de l’augmentation de la population mondiale), soit deux fois plus que dans le scénario « Nouvelles politiques » et 2,9 milliards auraient été doté d’énergies « propres » pour leurs tâches ménagères, on aurait à déplorer « seulement » 800 000 décès prématurés dus à la pollution de l’air dans les habitations (mais 2,5 millions de décès dus à la pollution de l’air extérieur). Dans ce scénario, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique final (la consommation) serait le double de celle constatée en 2016 (15%). A l’échelle mondiale, les investissements nécessaires jusqu’en 2030, pour réaliser une transition énergétique seraient plus élevés de 15% dans le scénario « développement durable »; dans ce scénario l’objectif de réaliser un accès universel à une énergie moderne dans tous les pays en développement, en 2030, serait atteint au prix de 430 milliards d’investissements supplémentaires, soit en moyenne 30 milliards par an de plus que dans le scénario de base « Nouvelles politiques ».
Les techniques pour assurer l’accès universel à l’énergie moderne (électricité et chaleur « propre » pour la cuisine) sont disponibles mais elles doivent être adaptées aux situations locales. Les solutions pour réduire le nombre d’habitants de la planète ne disposant pas d’énergie « propre », et en même temps » celui des décès directement liés à l’usage domestique d’énergies polluantes sont relativement simples et peu couteuses : poêles « modernes » disposant de cheminées, utilisation de gaz liquéfié (GPL), biogaz, énergie solaire. L’accès à tous de l’électricité nécessite, en revanche, de faire appel à des solutions diversifiées selon qu’il s’agit de zones urbaines ou rurales. La production d’électricité dans des zones rurales, e les petites villes, qui ne sont pas reliées à un réseau électrique, en Afrique notamment, peut être assurée par des énergies renouvelables (le solaire, l’éolien près des zones côtières, éventuellement par de la mini-hydraulique, voire par des minicentrales thermiques alimentées par du biogaz ou du fioul reliées à des mini-réseaux). Les zones urbaines dont l’importance va en croissant dans les pays en développement ont besoin d’une plus grande puissance et une alimentation électrique assurée par des énergies renouvelables intermittentes (le solaire notamment) doit être complétée par de l’hydroélectricité (ce qui suppose la construction de lignes électriques qui est coûteuse, cf. la photo du barrage « Renaissance » sur le Nil)) et de l’électricité produite par des centrales thermiques à gaz. L’accès universel à l’électricité imposera sans doute dans une phase transitoire (l’horizon 2050 ?) un mix électrique diversifié. On observera que l’Inde qui est loin d’être totalement électrifiée a lancé un plan très ambitieux de développement des énergies renouvelables avec l’objectif de mettre en place une capacité nouvelle de 175 GW d’ici 2022 (100 GW de solaire photovoltaïque, 60 GW d’éolien, 10 GW de bioénergie et 5 GW de mini-hydraulique, cf. AIE World Energy Outlook 2017). Le Maroc a également lancé un grand plan de développement de l’énergie solaire (mettant en œuvre aussi la filière à concentration, cf. la photo de la centrale de Ouarzazate). Eliminer la précarité énergétique des pays en développement est un défi à l’échelle de la planète, le relever répond au souci d’assurer l’équité et de contribuer à éviter des tensions internationales dans certaines régions du monde où existent de fortes inégalités de développement.
L’AIE a chiffré à au minimum 50 milliards de dollars par an le coût d’un accès universel à une énergie moderne en 2030. Cet effort qui n’est pas hors de portés car il ne représente qu’un millième du PIB mondial). Kofi Annan dans son rapport sur l’énergie en Afrique, a chiffré quant à lui à 55 milliards de dollars l’effort financier qu’il faudrait réaliser en Afrique pour faire face à la demande d’électricité tout en assurant un accès à l’électricité pour tous (celle-ci n’augmenterait que faiblement sa part mondiale d’émissions de CO2, elle passerait de 2% à 3% en 2040). Les scénarios de l’AIE pour l’ensemble de l’Afrique « prévoient » une multiplication par un facteur 2,5 de sa production électrique d’ici 2040 (2000 TWh en 2040 contre 800 TWh en 2016). Le chiffrage des investissements à réaliser reste flou. Ainsi l’organisation « Practical action » qui s’occupe de développement international a chiffré à 5 milliards de dollars ceux qui seraient nécessaire pour un accès universel à l’électricité au seul Togo (Poor People’s Energy Outlook 2017, www.policy.practicalaction.org/policy…/energy/poor-peoples-energy)… Eradiquer la pauvreté énergétique suppose à la fois la mobilisation de techniques, souvent disponibles, et d’une ingénierie financière ambitieuse pour trouver les capitaux nécessaires (notamment à travers la BAD en Afrique). Une coopération internationale Nord-Sud, avec des transferts de techniques, sera un catalyseur pour y parvenir.