Les biocarburants: une filière en lent progrès

En France les transports représentent le tiers de l’énergie finale consommée, soit près de 49 Mtep en 2014 (ADEME, Climat, Air et Energie, chiffres clés 2015, www.ademe.fr). Si cette consommation est quasi stable depuis 2010, la part des produits pétroliers a baissé depuis 1990 (elle est passée de 98% à 92%), la consommation des biocarburants incorporés dans l’essence et le gazole progressant lentement : en 2014 elle représentait 7,5 % de la consommation de carburants soit 3 Mtep (80 % de biodiesel et 20% de bioéthanol) avec un objectif fixé à 10 % en 2020 par le « Plan national pour les énergies renouvelables » et à 15 % en 2030 par la loi sur la transition énergétique.  Dans un rapport, publié en 2016 (Cour des comptes, Rapport public annuel 2016, Les biocarburants : des résultats en progrès, des adaptations nécessaires, www.ccomptes.fr), la Cour des comptes fait un bilan de la filière des biocarburants en France : une production, en 2015, de 0,6 Mtep d’éthanol et de 1,7 Mtep de biodiesel, le restant étant importé, et mobilisant 6% de la surface agricole mais qui progresse peu depuis cinq ans. (Cf. P. Papon, « Dans l’attente de nouveaux types de biocarburants », Futuribles, No 413, p. 110, juillet-août 2016).

La réduction des émissions de CO2 par substitution de biocarburants aux carburants d’origine fossile reste controversée en Europe, selon les normes européennes ils doivent en principe émettre 35% de CO2 de moins que les carburants pétroliers mais l’UE a imposé un plafond d’incorporation de biocarburants de première génération (produits à partir de la biomasse agricole) : 7% en PCI (pouvoir calorifique inférieur) soit 7,6% en volume pour les esters et 10% pour l’éthanol dans l’essence (le carburant SP 95 E10). Le plan Energie-Climat de l’UE ayant fixé l’objectif d’atteindre 10% d’énergies renouvelables dans les transports en 2020, la Cour des comptes constatant que les taux d’incorporation français (respectivement 8% et 10, 6% en volume pour le biodiesel et pour l’éthanol) sont d’ores et déjà supérieurs aux normes européennes, elle estime qu’il sera difficile d’atteindre cet objectif européen avec la première génération de biocarburants, à moins d’augmenter les taux d’incorporation dans l’essence et le gazole (le carburant E85 à 85% d’éthanol serait une solution à condition d’adapter les moteurs à leur consommation. Il faudra donc recourir à la deuxième génération de biocarburants produits à partir de ligno-cellulose dont la production est encore au stade préindustriel en France, et ultérieurement à la troisième produite à partir d’algues. La défiscalisation partielle de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) appliquée aux biocarburants a joué un rôle incitatif, selon la Cour des comptes, n’étant plus appliquée depuis 2016, les automobilistes financent donc intégralement le soutien à la filière (le pouvoir énergétique des biocarburants étant plus faible que celui des carburants fossiles conduit à une surconsommation qui supporte des taxes…). Elle préconise une action de l’Etat auprès des constructeurs pour adapter les moteurs aux carburants à forte concentration en éthanol et des objectifs européens plus ambitieux au-delà de 2020. On constate aussi qu’un nouveau biogazole de première génération a fait récemment son apparition, il s’agit d’esters qui ont été hydrogénés (HVO ou Hydrotreated vegetable oil), produit à partir d’huiles végétales. Ce carburant est utilisable directement dans un moteur mais son impact CO2 est important lorsqu’il est produit à partir d’huile de palme importée, son utilisation risque de déstabiliser la filière française qui est une composante de la politique agricole.

La quasi-totalité de la production mondiale (70 Mtep) est, aujourd’hui, assurée par la première génération de biocarburants : – le bioéthanol (75 % de la production mondiale),  produit à partir d’amidon de céréales comme le maïs et de plantes à sucre (betterave, canne) – le biodiesel (25%) provenant d’huiles végétales comme le colza et le tournesol. Une deuxième génération utilisant la biomasse ligno-cellulosique est en développement dans plusieurs pays dont la France (projet Futurol en France) et les Etats-Unis. On constate que la production américaine de biocarburants, la première du monde, ne fléchit pas, elle a été multipliée par trois entre 2005 et 2013 (elle représente 7 % des carburants). L’Iowa, le premier état producteur d’éthanol à partir du maïs (le quart de la production) a encore augmenté la sienne en 2015, mais le marché souffre de la baisse du prix du baril de pétrole, le bioéthanol n’est plus compétitif aux Etats-Unis. La production d’éthanol de deuxième génération (à partir de tiges de maïs), plus coûteuse, y démarre lentement tandis que le gazole produit à partir de HVO perce aussi. Les producteurs américains incitent le gouvernement et le Congrès à relever l’objectif de production et d’incorporation d’éthanol dans l’essence, plafonné à 57 Milliards de litres (136 en 2022 mais avec 60 d’éthanol cellulosique).

  La deuxième génération de biocarburants produits à partir d’une matière première agricole non destinée à l’alimentation humaine (résidus agricoles et forestiers, tiges et feuilles, herbes) a du mal à percer (l’objectif du projet « Futurol » en France). Un prétraitement à haute température de la biomasse est nécessaire pour séparer la lignine (un polymère) de la cellulose (des chaînes de glucose), ce qui consomme de l’énergie. La recherche peut ouvrir des voies nouvelles. Une possibilité consisterait à diminuer la part de la lignine dans les plantes, des recherches récentes à Berkeley ont permis de modifier génétiquement la production d’une enzyme dans une cellule végétale qui « synthétise » moins de lignine. A long terme, la modification du génome de bactéries (par exemple par les techniques de la biologie synthétique ou d’édition des génomes CRIPR Cas 9 en utilisant une enzyme Cas 9) permettrait peut-être de produire des carburants simples comme le méthane ou l’éthanol à partir du CO2 atmosphérique. Ainsi, très récemment, des chercheurs de la Washington University ont manipulé les gènes de la bactérie Rhodopseudomonas Palustris afin qu’elle produise une forme modifiée de l’enzyme nitrogénase (elle fixe « normalement » l’azote de l’air pour produire de l’ammoniac) pour produire directement et in vivo avec la lumière du méthane et de l’hydrogène à partir du CO2 et en utilisant l’ATP (adénosine triphosphate de la cellule) de la cellule comme intermédiaire. Les rendements sont certes encore faibles mais c’est peut-être une voie pour la synthèse d’un biocarburant en utilisant l’énergie solaire (www.scientificamerican.com/article/engineered-bacterium-turns-carbon-dioxide-into-methane-fuel).

Une troisième génération potentielle de biocarburants serait produite à partir d’algues, une source importante de lipides que l’on peut estérifier pour produire du biodiesel, mais elle est encore au stade de la R&D. Un rapport du JRC (le centre de recherche commun de la Commission Européenne JRC, Science for policy unit, S.Rocca et al., Biofuels from algae : technology options, energy balance and GHG emissions, insight from a literature review, 2015. www.ec.europa.eu/jrc.) montre que si la filière est prometteuse (des rendements de production de corps gras à l’hectare de 20 000 à 60 000 litres d’huile/ha, selon l’Ifremer, soit dix fois ceux de l’huile de palme), elle est loin d’être opérationnelle. La biomasse est constituée soit de macro-algues soit de micro-algues et il faut ifremer-algues-1-pdg-dcom-ph408-algue104bsélectionner les espèces les plus productives de lipides (cf. Photo laboratoire de recherche de l’Ifremer crédit Ifremer DCOM algues 4.). Les conditions de croissance des algues doivent être optimisées par des apports de lumière, de nutriments et de CO2 (pour les cultures en milieu artificiel) et en diminuant la consommation d’énergie lors de la culture et de la récolte. Le Japon qui a une bonne expertise dans ce domaine envisage de produire du biogazole à partir d’algues. La compagnie d’aviation japonaise ANA expérimentera un kérosène mélangé avec 10% d’un biocarburant produit à partir d’algues par la société Euglena à Yokohama. Là encore la recherche n’a pas dit son dernier mot dans la mesure car la modification génétique de certaines algues pourrait accélérer leur croissance et augmenter les rendements de production.

Les biocarburants sont encore dans une phase d’incertitude que prolonge la baisse du cours du pétrole. Elles n’en sortiront que si les conditions économiques sont plus favorables et, plus certainement, si les nouvelles générations deviennent opérationnelles afin de diversifier les matières premières et les méthodes de production, cela suppose une intensification de l’effort de R&D.

 

 


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