La politique énergétique du Japon après Fukushima : volontarisme et incertitude

   Après la catastrophe de Fukushima et l’arrêt total des 54 réacteurs de son parc nucléaire (dont les six de Fukushima cf. photo de la centrale avec fûts de stockage des eaux radioactives source Ashi Shimbun), le Japon a mis en œuvre un plan d’économie de l’électricité et compensé son déficit de production en remettant en service des centrales thermiques, notamment au charbon et à gaz. En 2014 son parc thermique assurait 90% de la production électrique (43% avec du gaz et 30% avec du charbon), les renouvelables (essentiellement l’hydraulique  assurant le reste). La production totale a baissé tandis que le prix de l’électricité pour les ménages subissait une forte hausse (près de 50% entre 2010 et 2013). Les importations de gaz (sous forme de GNL) et de charbon ont fortement augmenté et la balance commerciale japonaise a enregistré un fort déficit en 2011, pour la première fois depuis trente ans, le coût de la facture énergétique du Japon augmentant de 46% entre 2010 et 2013. Avant le 11 mars 2011, le « Plan énergie à l’horizon 2030 » du Japon prévoyait le doublement de la part de l’électricité nucléaire (passer de 30 à 50%). Ce plan a été évidemment remis en cause et après de longs débats au cours desquels différents scénarios ont été envisagés, la part du nucléaire était un point focal (une électricité avec ou sans nucléaire).

Le Japon avait élaboré depuis le début du siècle des plans pour sa stratégie énergétique (Basic Energy Plan, ou BEP, cf. Y. Vinh, Japon : quel bouquet énergétique après Fukushima ? Futuribles Vigie No 188 11 mars 2016, www.futuribles.com ), un troisième plan avait été publié en 2010 mais la catastrophe de Fukushima  a rebattu les cartes. Le gouvernement Abe a officiellement adopté un nouveau plan en juillet 2015, après de longues tergiversations. Faisant l’hypothèse d’une croissance annuelle du PIB de 1,7% (probablement optimiste), celui-ci fixe un objectif d’autosuffisance du Japon en énergie primaire de 24,3% en 2030 et met en avant la nécessaire efficacité économique de l’approvisionnement  énergétique du Japon (énergie « fiable » et bon marché)  mais le point clé pour l’électricité est la répartition nucléaire/énergies renouvelables. Dans un contexte où l’opinion publique est, très probablement, majoritairement hostile à l’énergie nucléaire, le gouvernement  a affirmé que la « dépendance à l’électricité sera réduite autant que possible ». Il en résulte un plan en demi-teinte pour les parts des filières en 2030 : – le nucléaire dans une fourchette de  20 à 22% – 22 à 24% de renouvelables –  56 % d’énergies fossiles (27% de gaz, 26% de charbon et 3% de pétrole). La demande d’électricité augmenterait faiblement d’ici 2030 (980 TWh au lieu de  967 TWh en 2013 mais avec une baisse de la population, elle représente près du double de celle de la France).

Nombre de commentateurs ont souligné un flou sur les estimations des parts des renouvelables dans ce plan et leur insuffisance, les opposants au nucléaire protestant, quant à eux, sur la volonté du gouvernement de relancer cette filière. La part du nucléaire reste, en effet, importante et le plan gouvernemental suppose la remise en marche de réacteurs (43 potentiellement opérationnels) avec une durée de vie fixée à 40 ans (prolongeable de 20 ans pour quelques-uns d’entre eux) avec la construction de trois nouveaux réacteurs. Cette relance forte du nucléaire est contestée. En effet même si le Japon s’est doté, après Fukushima, d’une nouvelle Autorité de Régulation Nucléaire (NRA), a priori plus fiable et en principe indépendante, les opposants au nucléaire soulignent les risques sismiques auxquels sont exposées plusieurs centrales. Si le gouvernement a autorisé (après l’accord des préfectures) la remise en marche de 4 réacteurs, deux d’entre eux à peine redémarrés en 2016 ont été arrêtés par une décision de justice en mars dernier (Takama 3 et 4 dans la préfecture de Fukui). La bataille du nucléaire sera donc difficile d’autant plus que la décontamination de la zone de la centrale et le démantèlement  de 4 réacteurs détruits à Fukushima prendra de 3 à 4 décennies (Cf. D.Normile, « Slow burn », Science, vol. 351, p.1018, 4 March 2016, www.sciencemag.org et M. Sugiyama, « Research management : five years on from Fukushima », Nature, vol. 531, p ; 29, 02 March 2016, www.nature;com, environ 100 000 réfugiés ne peuvent pas encore regagner leurs habitations dans la zone interdite). Le Japon ambitionne également de développer de nouvelles filières, notamment celle des surgénérateurs avec le réacteur expérimental au sodium Monju qui se débat depuis plusieurs années avec de sérieuses difficultés et une filière au thorium à sels fondus (avec un projet de réacteur expérimental Fuji, cf. P.Papon « Des réacteurs innovants », Futuribles, No 411, p. 107 mars-avril 2016 et P.Balava « Thorium seen as nuclear’s new frontier, Science, vol. 350, p.726, 13 November 2015).

La part réservée aux énergies renouvelables est également mérite plusieurs commentaires. L’hydraulique gardera une part importante (10%) mais avec un cap incertain et la répartition entre les autres filières fait apparaître un part importante du solaire photovoltaïque (7%), relativement faible de l’éolien (1,7%) et de la géothermie (1%) et une part de biomasse non négligeable (entre 3,7% et 4,6%, essentiellement des déchets végétaux pour des centrales thermiques). On constate que le Japon, le pays du « Soleil levant », a fait un effort considérable sur le solaire, la puissance installée étant passée de 2,5 GW en 2010 à 23 GW en 2014 (avec 10 GW installés en 2014 avec au total 69,4 GW approuvés en quatre ans). Si la technologie japonaise pour les cellules solaires est en bonne place mais la Chine et la Corée du sud ont pris pied sur le marché. La faible place accordée à l’éolien peut s’expliquer d’une part par le prix élevé du foncier et d’autre part par les risques cycloniques. Les projets en éolien off-shore restent rares du fait de l’étroitesse du plateau continental japonais et, s’agissant de l’énergie marine, le Japon  va lancer une expérimentation d’hydrolienne au large de Nagasaki en coopération avec la DCNS de Cherbourg en France. La faible place de la géothermie est également surprenante, elle s’explique par le fait que les sources d’eau chaude sont pour la plupart situées dans des parcs nationaux protégés (l’industrie des onsens, des stations thermales, s’oppose à des forages destinés à une exploitation industrielle). Ce plan pour les énergies renouvelables est à la fois approuvé et contesté (cf. l’intéressant dossier de France Japon Eco, hiver 2016, « Energie et climat », www.ccifj.or.jp/publications/france-japon.eco). Nombre d’industriels estiment qu’il offre des opportunités à l’industrie de développer des filières renouvelables mais ils soulignent aussi qu’il aura un coût élevé, le solaire est ainsi fortement subventionné (42 yens du kWh soit 3,4 €/kWh ! Le gouvernement a décidé de ramener ce tarif à 27 yens). D’autres commentateurs soulignent que le Japon en conservant une part importante au charbon dans le mix électrique aura du mal à baisser ses émissions de CO2, alors qu’à l’occasion de la COP 21 il a annoncé qu’il réduirait de 26% ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2013 (soit 18% par rapport à 1990, le Japon est le No 5 des émetteurs mondiaux), ce qui est considéré comme un manque d’ambition par bon nombre de scientifiques. Il faut ajouter enfin qu’une restructuration du réseau électrique japonais est nécessaire, elle implique une diminution du nombre d’opérateurs (dix actuellement dont neuf produisant du courant à 50 Hz).

Le Japon bénéficie d’atouts sérieux pour sa stratégie énergétique. Il conduit un effort de R&D important sur l’énergie (elle représente 12% de la dépense publique de R&D) il est ainsi le leader de la recherche sur le solaire photovoltaïque et probablement sur les batteries (il expérimente des stockages stationnaires pour des fermes éoliennes avec des batteries sodium-soufre de 250 kWh, cf. photo d’un parc éolien avec stockage). Qui plus est le Japon mise sur la filière hydrogène, notamment pour l’automobile avec des piles à combustible (cf. notre blog précédent où nous faisions part de notre scepticisme vis-à-vis de l’avenir de cette filière et P.Papon, « L’hydrogène, une filière énergétique entre promesses et incertitudes », Futuribles Vigie, janvier 2016, www.futuribles.com ). Dans le domaine des biocarburants,  le Japon fort de ses Batterie Japon (Japan wind development)compétences dans le domaine des algues, veut expérimenter des biocarburants produits à partir d’algues, notamment pour les utiliser mélangés à du kérosène dans les avions. Enfin, des océanographes japonais ont réussi, en 2013, des forages sous-marins pour atteindre un « gisement » d’hydrate de méthane qui a pu dégazer pendant plusieurs jours, son exploitation n’est, toutefois, pas encore à l’ordre du jour. De même s’il s’intéresse au stockage du CO2 émis par les centrales thermiques, le Japon n’a pas fait de percée dans ce domaine.

  Il sera important de suivre la mise en œuvre de la politique énergétique japonaise au cours des prochaines années car elle suscite plusieurs questions importantes : – un pays à forte sismicité qui a subi un très grave accident nucléaire peut-il relancer cette filière avec une sérieuse opposition de son opinion publique ? – le Japon parviendra-t-il à diminuer ses émissions de CO2 de façon à tenir ses engagements, – innovera-t-il dans le domaine des énergies renouvelables en particulier pour le stockage de l’électricité, trouvera-t-il un équilibre entre les modes de production centralisée et décentralisée ? –gagnera-t-il son pari sur la filière hydrogène ? La réponse à ces questions dépend à la fois du volontarisme des dirigeants politiques, de la capacité des entrepreneurs à répondre aux défis techniques et industriels que représente la transition énergétique, à peine engagée, ainsi que du dynamisme de la recherche japonaise. 


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