L’avenir de la filière hydrogène: entre perspectives optimistes et sérieuses incertitudes

La capitaine Némo, le héros du roman de Jules Verne, vingt mille lieues sous les mers, vantait les performances de son sous-marin, le Nautilus, qui était motorisé avec une pile à combustible fonction avec de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau de mer (cf.la figure représentant le Nautilus et le capitaine Némo prenant le frais au Pôle sud). A l’époque son principe était connu depuis une cinquantaine d’année (une première pile avait été construite en 1839 par un avocat gallois W. Grove). Aujourd’hui, les débats sur la transition énergétique et sur les énergies à « bas carbone » (notamment lors de la Cop 21) ont redonné une certaine actualité à la filière hydrogène que Jeremy Rifkin, il y a dix ans déjà, considérait dans son livre, L’économie hydrogène, comme la filière énergétique qui se Nautilussubstituerait au pétrole quand celui-ci serait épuisé. En février (les 4 et 5) les premières journées européennes HyVolution 2016 devaient faire le point, à Paris, sur les perspectives de la filière.

L’hydrogène a l’avantage d’être le composé moléculaire le plus simple et le plus léger (constitué par deux atomes d’hydrogène), aux propriétés énergétiques remarquables ce qui explique son intérêt.Il est le vecteur énergétique avec la plus grande densité massique (2,2 fois plus d’énergie par kg que le gaz naturel), 1kg d’hydrogène est équivalent à 3,8 l d’essence (2,75 kg). Toutefois, c’est un gaz léger, ne se liquéfiant qu’à très basse température (- 253 °C) et il faut dépenser en pratique 10-13 kWh/kg pour le liquéfier. Par ailleurs, sa plage d’inflammabilité avec l’air est très étendue (5 fois plus que celle du gaz naturel) et avec une énergie d’inflammation très faible (14 fois moins élevée que celle du gaz naturel). Enfin, comme il est très léger il diffuse très facilement, notamment dans les métaux qu’il peut fragiliser, son utilisation à grande échelle exige donc des règles de sécurité importantes pour le stocker et le transporter (un stockage dans des réservoirs métalliques peut être dangereux).

L’hydrogène est un gaz très utilisé dans l’industrie (notamment pour la désulfuration de carburants, dans la chimie et l’électronique) mais, n’existant pas à l’état naturel (sauf dans les émissions gazeuses de certaines dorsales sous-marines profondes), on doit le produire par un procédé industriel. Le principal (95%) est le « vapo-reformage » d’hydrocarbures (majoritairement le gaz naturel) avec de la vapeur d’eau, on le produit aussi par électrolyse de l’eau avec une électricité….qui est souvent produite par des centrales thermiques. Le rendement de l’électrolyse de l’eau alcaline n’est, en moyenne, que de 70%. Les couts de production sont assez différents : – par reformage il était, en 2014, de 1,5 à 2,5 €/kg  (il dépend du prix du gaz naturel), soit environ 50 € par MWh thermique – par électrolyse de l’eau (avec un prix industriel de 70€/MWh pour l’électricité), il s’établirait dans une fourchette de 4 à 8 €/kg soit plus du double de celui par reformage. (France Stratégie, Etienne Beeker, « Y a-t-il une place pour l’hydrogène dans la transition énergétique? », note No 15, août 2014, www.sgtrategie.gouv.fr ).

Les partisans de la filière hydrogène mettent en avant deux perspectives possibles : l’utilisation comme carburant dans les véhicules, le stockage de l’électricité. L’hydrogène peut être utilisé directement comme carburant, au lieu de l’essence, dans un moteur thermique classique. Ainsi BMW a-t-il mis en service à Berlin une flotte d’automobiles à hydrogène, Hydrogen7, fonctionnant avec de l’hydrogène liquide (un réservoir avec 8 kg d’hydrogène liquide permettant une autonomie de 200 km). Cette solution n’a probablement pas d’avenir car elle est peu économique, la liquéfaction de l’hydrogène consommant le tiers de l’énergie stockée dans le liquide et son stockage nécessite un réservoir cryogénique. De fait la très grande majorité des efforts techniques sont consacrés à la motorisation électrique utilisant l’hydrogène dans des piles à combustible. Les premières piles opérationnelles, outre celle du capitaine Némo, n’ont été utilisées que dans les années 1960 par la NASA sur les vols Apollo. Schématiquement, une pile à combustible fait le travail inverse de l’électrolyse de l’eau : on produit dans une  cellule un courant électrique en recombinant l’hydrogène et l’oxygène. L’hydrogène gazeux introduit à l’anode est ionisé, les ions transitent à travers un électrolyte constitué par une membrane (un polymère fluoré du type du téflon) imperméable aux électrons, les ions se recombinant à la cathode avec l’oxygène de l’air, la réaction produit de l’eau et de la chaleur. Le flux d’électrons peut alimenter un moteur électrique. Ce type de piles est appelée PEMFC (Polymer Electrolyte Membrane Fuel Cell, cf. figure,Source : Nature, L.Schlapbach, vol. 460, p. 810, 2009). Elles fonctionnent à température proche de l’ambiante (40 à 85°C) mais avec le sérieux inconvénient de nécessiter Pile H2 Schéma bisl’utilisation d’un métal noble comme catalyseur dans les électrodes, le platine est le plus efficace. Une pile est constituée par l’assemblage de plusieurs cellules (200 pour une puissance de 50 kW) et son rendement est excellent, il est de 80 à 90% (dans les conditions nominales de fonctionnement d’un moteur à plus basse puissance il  n’est que de 55 %), elle alimente un moteur électrique dont le rendement est proche de 90%. L’utilisation du platine comme catalyseur est le point critique pour ces piles car c’est un métal rare et donc coûteux (28 € /g) et elles doivent fonctionner avec de l’hydrogène exempt d’impuretés (et notamment de monoxyde de carbone qui peut être un résidu de la production d’hydrogène) qui peuvent empoisonner le catalyseur.

Une variante des piles PEMFC consiste à remplacer l’hydrogène par du méthanol qui peut être transformé en hydrogène dans la pile. Elle permet un stockage liquide ce qui est un avantage, mais le méthanol est très toxique…Les autres variantes consistent à fonctionner soit avec des électrolytes liquides (potasse, carbonates fondus ou acide phosphorique) mais à plus haute température (500-600° C), les liquides étant par ailleurs corrosifs, soit avec des électrolytes solides (une céramique en zircone dopée avec de l’yttrium) fonctionnant là encore à température élevée (600-1000°C), mais avec un catalyseur moins onéreux que le platine (un oxyde de cérium et du ruthénium) et un rendement de 40 à 50%. Des travaux récents (Gorte, R.J., « Cooling down ceramic fuel cells », Science, vol. 394, issue 6254, p. 1290, 18 September 2015, www.sciencemag.org) permettent d’envisager une pile à céramique avec un bon rendement dans une gamme de température de 250-550°C, fonctionnant avec de l’hydrogène produit directement dans la pile. Les piles fonctionnant à haute température sont plus adaptées à des installations stationnaires de production d’électricité.

   L’utilisation de l’hydrogène avec une pile à combustible dans un véhicule suppose de faire sauter plusieurs verrous techniques (cf. Pierre Papon, « L’hydrogène une filière énergétique entre promesses et incertitudes », Futuribles Vigie, No 186, 5 janvier 2016, www.futuribles.com ). Le premier est celui de sa production, la politique d’atténuation du changement climatique, suppose d’opérer à partir d’une ressource non-carbonée, excluant donc les hydrocarbures, il reste donc l’électrolyse de l’eau avec une électricité produite par des énergies renouvelables ou le nucléaire, ce qui représenterait des investissements très importants (le rendement de l’électrolyse devant par ailleurs être augmenté). Pour des usages liés à des véhicules électriques, il sera nécessaire de construire des infrastructures pour la distribution et le stockage de l’hydrogène dans des stations-services pour distribuer l’hydrogène sous pression à des véhicules (la compression consomme 10% de l’énergie) ; la société l’Air Liquide s’est lancée dans cette opération (cf. figure). Il semble difficile de construire un réseau national de gazoducs, et les stations-services devront soit être approvisionnées par des camions citernes cryogéniques, soit produire sur place l’hydrogène par électrolyse de l’eau et un stockage sous pression, des AirLiquide Staion H2solutions qui risquent d’être coûteuses.Le stockage de l’hydrogène dans un véhicule électrique est un deuxième problème. Le stockage liquide étant peu économique, la solution privilégiée est celle d’un stockage sous une pression de 700 bars dans un réservoir en matériau composite (sous cette pression on stocke 5 kg d’hydrogène dans un réservoir de 125 litres dont le poids est d’environ 100 kg). Des conditions draconiennes de sécurité doivent être respectées pour éviter des fuites (l’hydrogène étant très léger il diffusera rapidement dans l’air mais il est très inflammable). Enfin, le principal obstacle à l’utilisation à grande échelle de piles fonctionnant avec du platine sera, outre son coût, sa disponibilité : la mise sur le marché de 10 millions de voitures/an représenterait, par exemple, dans l’état actuel de la technique, une consommation de 150 tonnes/an de platine soit les trois quartsde la production mondiale annuelle (assurée à 80% par l’Afrique du Sud) ce qui irréaliste, même si un recyclage est évidemment possible. Ce sont quatre verrous très sérieux.

La recherche a ouvert, il est vrai, des pistes nouvelles. Le stockage de l’hydrogène dans un solide métallique est une alternative au stockage gazeux. Si l’on exclut le palladium, un métal cher, on peut former un hydrure métallique (l’hydrogène est absorbé par un métal), l’hydrure de magnésium est le matériau le plus favorable (il stocke 7,6 g d’hydrogène dans 100 g d’hydrure sous forme de galettes). Ce procédé est industrialisé par la société McPhy Energy à Grenoble (une start-up créée par le Cea et le Cnrs). Ce mode de stockage est bien adapté à des installations fixes alimentant des piles à combustible produisant du courant électrique pour un immeuble ou être intégrées à un stockage de l’électricité produite par une source intermittente. Pour éviter l’utilisation du platine, des composés organiques composés du nickel ont été envisagés (par des équipes du Cea, du Cnrs et du collège de France) mais leur rendement est encore inférieur à celui des piles fonctionnant avec le platine. L’utilisation du platine sous forme de nanoparticules incorporées dans les électrodes poreuses (en graphite, le graphène est envisagé)permet d’en diminuer le poids et l’on descend, aujourd’hui, jusqu’à environ 0,3 g/kW (soit 15g de platine pour une pile de 50 kW).  On peut envisager aussi des voies nouvelles pour la production d’hydrogène. Un procédé classique consisterait soit à dégrader de la biomasse en présence de vapeur d’eau par de la chaleur solaire (dans un four par exemple) en présence d’un catalyseur. Une alternative consisterait à réaliser une photosynthèse artificielle assistée par des catalyseurs synthétiques, l’hydrogène est produit à partir de la vapeur d’eau avec des cellules solaires en réalisant sa photolyse.Les électrons extraits du silicium par la lumière peuvent être utilisés dans des réactions électrochimiques de décomposition des molécules d’eau en présence de catalyseurs peu coûteux et avec un bon rendement. Des travaux sont réalisés dans ce domaine au MIT et par des équipes du Cea, de l’université Joseph Fourier et du Cnrs à Grenoble (Marc Fontecave) qui ont synthétisé des composés soufrés métalliques (à base de nickel, et de fer) qui ont une bonne activité catalytique. Le principal aléa de ces techniques est la perte d’efficacité des catalyseurs au cours du temps. Des travaux récents montrent qu’un catalyseur sous forme de nanotubes d’oxyde de titane permet d’obtenir des bons rendements (J-B. Sambur et al. « Sub-particle and photocurrent maping to optimise catalyst-modified photoanodes » Nature, No 530, p. 77, February 2016, www.nature.com). Ce sont des techniques très prospectives qui peuvent ouvrir des perspectives à une chimie solaire.

 

Les perspective de la filière hydrogène sont contrastées. Plusieurs constructeurs automobiles commercialisent des véhicules équipés de piles à combustible PEMFC au platine (des bus expérimentaux ont fonctionné à Barcelone et Berlin), c’est le cas, notamment, des Japonais et des Allemands qui ont mis en service des flottes de prototypes de véhicules, certains étant commercialisés. La voiture à hydrogène était la vedette du salon de l’automobile de Tokyo, le Tokyo Motor Show 2015, qui s’est tenu en novembre 2015, il a mis en évidence les ambitions de l’industrie automobile japonaise en matière de motorisation électrique notamment avec des piles à combustible. Toyota commercialise depuis 2014 un modèle de ce type, la Mirai, rechargeable rapidement (vendue, en 2015, au prix de 56 000 €), il escompte produire 20 000 voitures de ce type en 2020. Le gouvernement japonais a, lui aussi, une grande ambition pour l’industrie de l’hydrogène et il veut faire des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020 une vitrine pour promouvoir la technologie japonaise (cf. Ambassade de France au Japon, Service de la science et de la technologie, « L’hydrogène énergie en vue des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 », Antoine Saporta et Sébastien Codina, août 2015, www.ambafrance-jp.org). Ainsi 35 stations-services seront construites dans Tokyo pour approvisionner en hydrogène les voitures circulant pendant les JO (une subvention de 22 000 € serait accordée pour l’achat d’une voiture !). Le volontarisme japonais s’explique sans doute la volonté de rééquilibrer le mix énergétique du Japon après Fukushima, en développant les énergies renouvelables pour la production d’électricité. Observons qu’en France, la région Rhône-Alpes–Auvergne a lancé le projet HyWay, avec le soutien de l’ADEME, qui a pour objectif de promouvoir des véhicules électriques fonctionnant avec une pile à hydrogène équipant des véhicules utilitaires, la Kangoo ZE H2, équipée d’une pile construite par la PME grenobloise Symbio Fcell (elle prolonge l’autonomie de sa batterie classique). Le coût des piles est une donnée importante pour l’avenir de ces véhicules. Le département de l’énergie américain (DOE) l’a estimé, en 2015, à 280 $ / kW pour une série de 20 000 unités (soit 14 000 $ pour une pile de 50 kW, DOE Hydrogen and Fuel cells program record, Fuell cell system cost, September 2014), ce coût tomberait à 55$ /kW pour une production de 500 000 unités, il serait de près de 25 000 € pour la Kangoo.

La rentabilité économique des voitures à hydrogène est très loin d’être assurée…. D’autant plus que selon France Stratégie, le prix à la « pompe » du kg d’hydrogène serait dans une fourchette de 10 à 13 € le kg soit au minimum trois fois le prix des carburants conventionnels. Les piles à combustible pour véhicules électriques vont se trouver en concurrence directe avec les batteries, celles-ci ont certes besoin de progrès techniques pour améliorer leur densité électrique (150 Wh/kg aujourd’hui) et abaisser leur coût mais la construction de bornes de recharge électrique posera moins de problèmes techniques et peut être réalisée pratiquement partout, y compris dans des parkings privés (une solution exclue pour la recharge d’hydrogène). Ce problème s’était posé pour les voitures électriques en 1900, leurs batteries au plomb avaient une très faible autonomie et, en l’absence à l’époque d’un réseau électrique couvrant tout un pays, notamment aux Etats-Unis, la voiture à moteur à essence plus facile à approvisionner s’est très rapidement imposée.

Le « stockage » de l’électricité, un point clé pour la transition énergétique, est envisageable à l’aide de piles à combustible : on utiliserait l’électricité produite par des sources renouvelables intermittentes (une centrale solaire photovoltaïque par exemple) pour produire de l’hydrogène  par l’électrolyse de l’eau, stocké il alimenterait une pile à combustible pour « restituer » de l’électricité mais le rendement de la pile et sa durabilité seront des facteurs clés. C’est une option intéressante pour la filière hydrogène car, dans des installations fixes, on peut utiliser des piles fonctionnant à haute température (ce qui évite l’utilisation du platine comme catalyseur) qui ont un bon rendement et avec un stockage sous forme solide, dans des hydrures par exemple, qui pose moins de problèmes de sécurité que celui à haute pression. La centrale solaire expérimentale Myrte à Ajaccio, réalisée par le Cea et Areva, en coopération avec l’université de Corte et le Cnrs, teste cette solution de stockage (l’électricité solaire est utilisée pour produire pendant la journée de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, stocké il peut alimenter une pile à combustible de 100 kWpour restituer de l’électricité de nuit).

 

  Le passage à une économie de l’hydrogène s’avère très aléatoire car il reste beaucoup de verrous scientifiques, techniques et économiques à faire sauter pour que l’hydrogène puisse s’imposer comme une filière crédible, tout particulièrement dans les transports. Dans un article récent, des chercheurs du JRC (Centre commun de recherche de l’UE) estiment cependant que le rôle de l’hydrogène dans une Europe « décarbonisée » pourrait s’affirmer en 2050 : de 5 à 6% de l’énergie finale dans l’industrie et les transports. Ce serait au mieux une niche mais ils font état de doutes sur la percée des piles stationnaires (A. Sgobbi et al. « How far away is hydrogen? Its role in the medium and long term decarbonisation of the European energy system », International journal of energy system, 41, p. 19, 2016, www.sciencedirect.com). L’ADEME  dans un note récente est, elle aussi, relativement optimiste (ADEME, L’hydrogène dans la transition énergétique,  février 2016,  www. ademe.fr).   Force est de constater que les progrès de la recherche ont été relativement lents depuis les premiers succès des piles à combustible dans le domaine spatial et qu’ils n’ont pas permis de véritable rupture pour faire sauter l’obstacle de l’utilisation du platine. Une utilisation à grande échelle des piles à combustible à hydrogène dans les véhicules demeure problématique car elle suppose la mise en place d’un système technique complet et complexe qui va de la production de l’hydrogène à son utilisation dans un moteur et dont le coût total n’est jamais chiffré. En revanche, cette solution pourrait s’avérer, plus facilement adaptée au stockage de l’électricité. En fin de compte la R&D sur les batteries devrait reste une véritable priorité des stratégies de recherche. Le capitaine Némo peut encore considérer que sa pile à combustible est une voie d’avenir et qu’elle est sans doute destinée à le rester.


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