Vers la Cop 21: quels engagements énergétiques pour le climat?

Les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans leur dernier rapport, publié en 2014, ont souligné que nous ne pourrions maintenir l’augmentation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre en deçà de 2°C (avec une probabilité de 50%) que si nous réduisions de 40 à 70 %, d’ici 2050, les émissions mondiales de gaz à effet de serre et principalement celles de CO2. Les climato-sceptiques contestent les arguments de la très grande majorité des climatologues attribuant le réchauffement climatique (0,85° C entre 1880 et 2012) aux émissions de CO2 par les combustibles fossiles, sans pour autant apporter des arguments convaincants à leur déni. Observons que si l’augmentation de la température moyenne de la Terre semble s’être ralentie entre 1998 et 2012, ce phénomène est expliqué et qu’il n’y donc pas eu de « hiatus » dans la progression du réchauffement climatique (cf. K .E. Trenberth « Has there been a hiatus ?», Science, vol. 349, No 6249, p. 691,14 August 2015, www.sciencemag.org). Cette pause thermale s’explique par la variabilité interne du climat avec en particulier un très fort El Nino en 1997-1998 (un très fort réchauffement du Pacifique dont les eaux chaudes de surface se déplacent vers l’est, celui-ci jouant un rôle clé dans la variabilité du climat) et, depuis 2013, on observe une forte remontée de la température moyenne terrestre.

La négociation en cours sur le climat qui devrait aboutir, on l’espère, à un accord lors de la Cop 21, doit permettre de répondre à trois questions : – quels efforts de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, et notamment de CO2, les pays sont-ils disposés à consentir et en fonction de quels critères ? – faut-il faire porter seulement les efforts sur l’atténuation du changement climatique et ne doit-on pas aussi envisager d’ores et déjà une adaptation au changement climatique ? – quelle aide aux pays en développement les pays les plus développés sont-ils prêts à leur apporter ? L’énergie est au coeur du débat puisque la diminution drastique des émissions de CO2 requiert sa « décarbonisation », c’est-à-dire une transition énergétique visant à remplacer les énergies fossiles (80% de l’énergie primaire) par d’autres filières. Où en est-on sur ce chemin ? Dans un rapport spécial dédié au climat, l’Agence internationale de l’Energie (AIE), publié en mai 2015 (IEA, World Energy Outlook 2015 Energy and climate change, mai 2015, www.iea.org ), faisait, pour la première fois, un constat optimiste : en 2014 avec une croissance économique mondiale de 3%, les émissions mondiales de CO2 n’avaient pas augmenté, pour la première fois depuis 40 ans, et l’intensité énergétique de l’économie avait reculé de 2,3%. C’est un signal encourageant mais l’objectif à atteindre (fixé à 2°C lors de la conférence de Copenhague en 2009) est encore loin : pour résumer les choses de façon simple, il « faudrait » que la consommation d’énergies fossiles de la planète ne dépasse pas 1000 Gigatonnes en équivalent CO2 (émis par combustion soit 32 Gtonnes en 2014) d’ici la fin du siècle (cf. J. Tollefson, « Scientists step in to assess carbon-emissions pledges », Nature, vol. 521, p. 404, 28 May 2015, www.nature.com) ou, dit autrement, que les émissions de CO2 diminuent de 40 à 70% d’ici 2050.

On touche là le point critique de la négociation pour la Cop 21. En effet, on doit faire deux constats : – la Chine contribue, aujourd’hui, à 25% des émissions, l’Amérique du nord à 19%, l’UE et la Turquie ainsi que l’ex URSS chacune à 11%, le Bloc Japon-Australie-Nouvelle Zélande à 5%, l’Asie (hors Chine et Japon) à 13%, l’Afrique à 4% et l’Amérique latine à 5 % – il existe un écart d’un facteur dix dans les consommations d’énergie par habitant entre les pays européens et les pays de l’Afrique sub-saharienne (un facteur quinze avec les Etats-Unis) et 1,2 milliard d’habitants de la planète n’ont pas d’accès à l’électricité. Sur quelle base faut-il alors « décarboner » l’énergie ? Ne doit-on pas tenir compte d’un principe d’équité que revendiquent les pays du Sud qui ont besoin d’énergie pour assurer leur développement ? L’un des Fumée charbon Pologneenjeux de la négociation porte sur la possibilité de trouver un accord sur les efforts de réduction des émissions de CO2 des pays les plus développés qui « compenserait », dans une certaine mesure, l’inévitable augmentation de celle des pays en développement, tous les pays s’engageant toutefois à atteindre un « pic » de ses émissions. L’accord « climatique » conclu entre la Chine et les Etats-Unis en 2015 va dans ce sens – ces derniers s’engagent à diminuer de 26 à 28 % leurs émissions de CO2 d’ici 2025 (par rapport à 2005) et la Chine de commencer à les baisser « vers 2030 », l’UE prévoyant de réduire de 40% les siennes (par rapport à leur niveau de 1995) – mais l’ensemble des scénarios nationaux de réduction proposés, à l’heure actuelle, avant la Cop21 s’inscrit plutôt sur une trajectoire d’un réchauffement climatique proche de 3°C (la photo est celle d’une centrale thermique en Pologne).

   Le protocole de Kyoto (adopté en 1997) imposant à chaque pays des objectifs précis de réduction de ses émissions de CO2 (seuls les pays les plus développés étaient alors concernés) a été un échec dont il faut tenir compte. En effet, seuls quelques pays, les membres de l’UE notamment, on atteint les objectifs de réduction de leurs émissions de CO2 en 2012, mais les Etats-Unis ne l’ont pas ratifié et plusieurs autres, dont le Japon et la Russie, ont refusé de renouveler leur engagement au-delà de 2012. Il est nécessaire, en revanche, que les pays émergents émetteurs importants de CO2, la Chine et l’Inde notamment, s’engagent à réduire les leurs. Une répartition des réductions fixée par tête d’habitant qui semble équitable paraît politiquement impossible à appliquer (dans un tel scénario la Chine aurait un « quota » correspondant à 17 % des émissions mondiales, l’Asie (hors Chine et Japon) de 25%,  l’UE et la Turquie de 6%, l’Amérique du nord de 5%, et l’Afrique de 18%….). Alors que faire (comme disait Lénine…) ? L’AIE propose un scénario « Bridge » avec quatre piliers : – admettre le principe d’un pic d’émission pour chaque pays avec des mesures concrètes – procéder à des révisions quinquennales des scénarios nationaux  – s’entendre sur un objectif commun à long terme sur les émissions de gaz à effet de serre (avec un pic « vers » 2020) – mettre en place un processus de suivi des objectifs de la transition énergétique. Plusieurs mesures concrètes accompagnent ce scénario : accroitre l’efficacité énergétique, éliminer progressivement les centrales électriques à charbon les moins efficaces, accroître fortement les investissements dans les énergies renouvelables dans la filière électrique (les faire passer de 270 milliards de $ en 2014 à 400 milliards de $ en 2030,  éliminer les subventions aux combustibles fossiles (500 milliards de $ en 2014) et les émissions de méthane dans le secteur énergétique d’ici 2030.

Il reste à s’entendre sur le nerf de la guerre, c’est-à-dire un financement du fonds de soutien aux pays en développement pour les aider dans leur effort de lutte contre le réchauffement climatique, c’est le rôle du « Fonds vert » adopté à Cancun en 2010, qui devrait être doté de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Il est possible qu’un accord puisse être trouvé sur la contribution des Etats au financement de ce Fonds, abondé par celle de banques (Banque Mondiale notamment, BAD en Afrique) voire d’entreprises. Mais il ne suffira sans doute pas pour pallier les effets du réchauffement climatique (l’adaptation à la montée du niveau des océans, l’aggravation des sécheresses dans certaines régions, etc.) et aider les pays en développement à s’engager dans la transition énergétique sachant que l’urbanisation de la planète est loin d’être achevée (54% en 2014 et probablement 65% en 2050) ; les efforts à accomplir en Afrique sont particulièrement importants, 600 millions d’Africains n’ayant pas l’électricité alors les énergies renouvelables modernes y sont très peu développées (cf. IRENA, Africa 2030 road map for a renewable energy future, www.irena.org). Selon l’économiste britannique Nicholas Stern l’effort annuel mondial pour préserver le climat ne représenterait « que » 1 % du PIB mondial (cf. l’analyse de son dernier livre « Why are we waiting ? » par Olivier Godard dans Futuribles www.futuribles.com). Selon nombre d’économistes un point clé pour l’application d’un futur accord serait l’engagement de mettre en place une taxation du carbone selon des modalités variables selon les pays (par exemple taxe sur les émissions de CO2, quotas d’émissions payants) ; un prix mondial unique du carbone serait irréaliste et inéquitable. Elle aurait un double objectif : freiner l’utilisation des énergies fossiles (notamment le charbon) et financer la transition énergétique (notamment le Fonds vert) ; le scénario de l’AIE est muet sur ce point fondamental. On oublie trop souvent aussi la nécessité d’augmenter le financement d’un effort international de R&D, car la transition énergétique ne se fera pas sans ruptures techniques et sans transferts de techniques vers le Sud. Force est  de constater que le compte n’y est pas. En effet, selon une note récente de l’AIE (IEA Key trends in IEA public energy technology RD&D budgets, www.iea.org ) les budgets publics de R&D des pays de l’AIE diminuent depuis 2010 (17 milliards de $ de dépenses en 2014 soit une diminution de 6 % par rapport à 2011). Il n’est pas certain que ce point soit évoqué lors de la Cop 21.

Un futur accord sur le climat devra tenir en équilibre entre des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre à long terme et un minimum de contraintes sur des engagements (des scénarios nationaux « contrôlables » par exemple avec des mécanismes concrets pour engager la transition énergétique). On peut évidemment s’interroger sur la possibilité réelle d’atteindre l’objectif de Copenhague (limiter à 2°C le réchauffement climatique): n’est-il pas trop tard ? Sans doute, mais si l’on est un modérément optimiste, on se réconfortera en observant que la Cop 21 va se dérouler à un moment où l’opinion internationale commence à prendre conscience des enjeux du réchauffement climatique. L’essentiel sera d’engager un mouvement d’inflexion nette de la consommation des énergies fossiles (l’éditeur Le Pommier a lancé avec ses auteurs, dont celui de ce blog, l’opération « Je m’engage pour le climat », certains de leurs livres sur l’énergie et le climat sont en accès libre sur internet : www.pourlascience.fr/jemengagepourleclimat). Il restera à mettre en oeuvre un projet politique pour un développement équitable de la planète…. ce qui n’est pas une mince affaire.

 

 


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