Baisse du pétrole: quel avenir pour le pétrole et le gaz non-conventionnels ?

Après avoir atteint un sommet à 115 $ en juin 2014, le cours du baril (Brent) a fortement chuté depuis lors ; après une nette remontée en début d’année, il a de nouveau baissé cet été et fluctue, aujourd’hui, autour de 50 $. L’abondance de l’offre alors que la croissance économique mondiale ralentissait notamment en Chine (la demande mondiale de pétrole n’a augmenté « que » de 0,9% en 2014) explique en partie cette chute. La progression de 70 % depuis 2010 de la production de pétrole aux Etats-Unis (9,5 millions barils/jour en juin 2015 contre 5,6 millions en 2010) due essentiellement à l’exploitation fulgurante du pétrole non-conventionnel (près de 45% du pétrole en 2014) explique aussi cette baisse du baril dans un contexte où l’Arabie-Saoudite a refusé de diminuer sa production pour jouer son rôle de régulateur du marché avec l’arrière-pensée de tenter de casser la production du pétrole de schiste tout en diminuant la rente pétrolière de la Russie et de l’Iran.

Rappelons que la technique de fracturation hydraulique a permis l’exploitation rapide de gaz du gaz non-conventionnel aux Etats-Unis, la production américaine de gaz augmentant de près de 40% depuis 2005, puis de celle de pétrole. Rappelons aussi que ce gaz ou ce pétrole sont piégés dans des roches imperméables à faible porosité ; la « source » ou roche mère, est en même temps le réservoir, des schistes notamment qui sont des roches feuilletées (cf. P. Papon « Le Gaz de schiste : mythes et réalités », Futuribles No 399, p.81, mars-avril 2014, et Futuribles Vigie , No 181, 21 août 2015, www.futuribles.com et Bauquis, P-R., Parlons gaz de schiste, Paris, La documentation française, 2015). Le label non-conventionnel, souvent utilisé, a l’avantage d’être plus général (il s’applique ainsi au gaz de houille). La progression de la production de gaz a été très rapide aux Etats-Unis, après 2008 (elle est passée de 570 Gm3 en 2008 à 730 Gm3 en 2014) grâce essentiellement à la percée de l’exploitation du gaz non-conventionnel (la moitié de la production) et elle a provoqué une baisse très forte de son prix. Il a atteint un point bas à 2 $/MBtu en 2012, en dessous du seuil de rentabilité des puits ce qui avait contribué à arrêter l’exploitation de certains d’entre eux ; la plupart des installations de forage ont alors été « reconverties » vers l’exploitation de pétrole non-conventionnel. Les cours se sont redressés jusqu’à 4 $/Mbtu fin 2014 (retombés à 3 $ début 2015). Pour l’heure, sur la base des données d’exploitation récentes, il semble que la baisse du prix du pétrole n’a pas eu d’impact sensible sur l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels. Ni la production de pétrole ni celle de gaz n’ont baissé depuis un an. Celle de pétrole a même augmenté légèrement jusqu’en juin 2015 (9,54 Millions de barils/jour), elle a toutefois commencé à baisser en juillet (9,44 Mb/j) et l’IEA « prévoit » que cette baisse continuera jusqu’en octobre 2016 compte tenu de la conjoncture de la demande (Cf. EIA, « Petroleum and other liquids », www.eia.gov), mais le nombre de forage de nouveaux puits (verticaux et horizontaux) a fortement diminué (100 000 puits ont été forés entre 2005 et janvier 2015 aux USA) et l’exploitation de certains puits est en arrêt.

En fait, les progrès techniques importants réalisés dans les forages depuis 2010 ont permis de maintenir la croissance de la production : – le nombre de jours nécessaires pour forer un puits a diminué de moitié en cinq ans – l’espacement entre puits verticaux sur un même site a également diminué de moitié (150 m en 2014 contre 300 m en 2010) – la longueur des puits horizontaux qui fracturent la roche et servent de drain pour pomper le pétrole (ou le gaz) peut atteindre 2 km (au lieu de 1 km au maximum en 2010) et leur nombre a augmenté. Ce progrès technique pallie, partiellement, le sérieux handicap des gisements non-conventionnels : le faible taux de récupération du pétrole ou du gaz (5% au lieu de 50% pour le pétrole conventionnel) mais il augmente lentement. Les seuils de rentabilité des gisements de pétrole conventionnel (terrestres) et non-conventionnel sont, depuis 2014, équivalents (60$ le baril en moyenne, coût global d’exploitation avec un taux de retour sur investissement de 10%, variant beaucoup d’un site à l’autre pour un même bassin), ils sont légèrement inférieurs pour le pétrole de schiste du Nord-Dakota (56$ le baril). Toutefois, la mauvaise conjoncture a mis en faillite des petites sociétés, certaines étant rachetées pas des grandes compagnies qui, initialement, n’avaient pas cru à l’avenir des hydrocarbures non-conventionnels.

On observera aussi que le débat sur les impacts environnementaux de la fracturation hydraulique demeure aux Etats-Unis car elle y suscite des oppositions locales comme en Europe d’ailleurs. L’Etat de New-York l’a ainsi interdite, en décembre 2014, jusqu’à nouvel ordre, et l’Ohio l’envisage aussi. Un rapport récent de l’EPA (Environment Protection Agency, Assessment of the potential impact of hydraulic fracturing for oil and gas on drinking water resources, Washington, 2015, www.epa.gov ) sur la contamination potentielle des eaux potables (la fracturation utilise un volume très important d’eau avec du sable et une dizaine d’additifs chimiques) révèle que 7000 ressources d’eau potable sont situées à moins d’un mile d’un site de forage. Si l’EPA conclut qu’elle n’a pas pu mettre en évidence d’impact sérieux de la fracturation sur les réserves d’eau potable (150 incidents, déversements accidentels d’eau de forage, ont été reportés, 10% d’entre eux ayant contaminé des eaux de surface), elle recommande une surveillance pour détecter d’éventuelles contaminations de nappes phréatiques par des rejets. Plus généralement, les réglementations concernant les forages ont été renforcées, en application du Clean Water Act et du Clean Air Act. Dans 27 Etats, les projets de forage doivent faire l’objet d’une déclaration préalable indiquant, notamment, les additifs chimiques qui seront utilisés, le public devant être informé avant les opérations. Enfin, on a détecté une augmentation très importante des petits séismes dans certains Etats du centre et de l’est des Etats-Unis, notamment dans l’Oklahoma (avec un de magnitude 5,6 en 2011) : leur fréquence moyenne annuelle a augmenté passant de 20 séismes de magnitude égale ou supérieure à 3 sur la période 1970 -2000 à 100 sur la période 2010-2013 (un phénomène analogue a été constaté au Canada et au Royaume Uni (cf.Witze, A., « Artificial quakes shake Oklahoma », Nature,vol. 520, p. 418, 23 April 2015, www.nature.com). Ces séismes n’auraient pas pour origine la fracturation des roches (elle n’induirait que des microséismes de magnitude 1) mais des rejets de volumes importants d’eau de forage à grande profondeur qui, en provoquant des stress dans les roches, agiraient sur des failles.

L’impact économique des hydrocarbures non-conventionnels aux Etats Unis est peu contestable, nombre d’experts américains estimant que l’euphorie gazière et pétrolière a contribué à la reprise économique, les Etats-Unis bénéficiant d’une énergie à bon marché et la chimie américaine d’une matière première (le gaz) peu coûteuse. Mais cette situation est-elle durable ? Si l’EIA (Energy Information Agency) « prévoit » une croissance de la production de pétrole non-conventionnel dans les prochaines années aux Etats-Unis avec son plafonnement vers 2020-2030 avant une décroissance après 2035, celle de gaz poursuivant une croissance plus modérée entre 2020 et 2040, d’autres experts estiment, en revanche, que cette exploitation sera un phénomène éphémère. Si le prix du baril demeurait bas, il est probable que la production d’hydrocarbures non-conventionnels se concentrerait dans les régions du Nord-Est et proches du Golfe du Mexique (le Texas, cf. la carte qui montre les principales régions d’exploitation). Peut-on escompter le développement hors USA de l’exploitation du gaz et du pétrole non-conventionnels ? Rappelons d’abord que le « modèle américain » d’exploitation de gisements non-conventionnels n’est probablement pas transposable sur les autres continents : le droit du sous-sol est avantageux aux USA (propriété privée du sol et du sous-sol), avantages fiscaux pour les entreprises, existence de tout un réseau d’entreprises de service pour le forage très dynamiques et une géologie favorable sur une grande partie du territoire. Cette exploitation semble débuter lentement, depuis 2014, dans un petit nombre de pays (le pétrole en Argentine, la photo représente le gisement de Vaca Muerta, et le gaz au Mexique). Au Québec, où il existe des ressources dans le sud du bassin du Saint Laurent, le gouvernement de la province a interdit USA Carte non-conventionnelcette exploitation pour des raisons environnementales. En Europe la situation reste floue. La fracturation hydraulique a été interdite par la loi en France en 2011 (l’évaluation des ressources exploitables n’a pas été réellement entreprise). Au Royaume-Uni le gouvernement a autorisé des forages d’exploration malgré des oppositions, en Allemagne l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels va être autorisée mais avec des conditions très strictes. La Russie, la Chine (où près de 250 puits ont été forés et où l’exploitation du gaz commencerait fin 2015), l’Australie et l’Argentine qui auraient des ressources importantes ne resteront certainement pas l’arme au pied. En Algérie, enfin, un projet d’exploration par fracturation hydraulique dans la région d’In Salah dans le Sud algérien a déclenché de violentes manifestations d’opposition en février 2015.

Il est difficile d’augurer de l’impact que l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels aura sur la production mondiale d’hydrocarbures. Les Etats-Unis vont devenir rapidement exportateurs de gaz (sous forme de GNL) ce qui peut gêner des producteurs comme le Qatar, voire l’Algérie et l’Iran, mais il est peu probable qu’ils exportent du pétrole (ils importent encore 40% de leur consommation). Le prix du baril restera un paramètre fluctuant (les estimations d’évolution du prix du baril, ces récentes années, se sont avérées en grande partie inexactes), son niveau dépendra de l’évolution de la demande mondiale et du contexte politique dans des régions comme le Moyen-Orient (le retour de l’Iran sur le marché international du pétrole et du gaz, suite à l’accord nucléaire de Vienne, changera la donne) ; il est vrai que la baisse du prix du baril handicape considérablement tous les pays producteurs qui ont besoin des redevances pétrolières et gazières pour équilibrer leurs budgets (pour la plupart d’entre eux un cours du baril supérieur à 80 $ est indispensable).

L’avenir des hydrocarbures non-conventionnels demeure ouvert : la géologie, la technologie qui peut progresser, la politique et l’économie pèseront dans les décisions qui seront prises pour développer ou freiner leur exploitation d’ici 2030. On observera que si les géologues connaissaient de longue date l’existence de gisements de gaz de schiste, ils n’ont pas anticipé la rapide percée de leur exploitation, après 2005, avec la technique de la fracturation hydraulique N’oublions pas non plus que le développement de l’exploitation du gaz de schiste qui permet de maintenir le prix du gaz à un niveau bas, pose le problème de sa place dans la transition énergétique, sa combustion émet deux fois moins de CO2 que le charbon à calories égales, ce qui est un avantage, mais il pourrait aussi perturber la montée en puissance des énergies renouvelables, même si cela ne semble pas avoir été le cas jusqu’à présent.


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