L’accord nucléaire avec l’Iran: un changement de donne géopolitique et énergétique

   L’Iran et le groupe 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne), avaient conclu un accord à Lausanne, le 2 avril 2015, qui fixait un cadre général pour un accord nucléaire définitif. Il restait à préciser les conditions de son application et c’était l’objectif de la négociation qui s’est prolongée à Vienne jusqu’au 14 juillet, date à laquelle ont été réglées les importantes questions en suspens portant, notamment sur le contrôle des activités nucléaires de l’Iran et la levée des sanctions imposées à ce pays du fait de son implication dans un programme à finalité militaire. L’objectif central des négociations, depuis douze ans, était de mettre une barrière à l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire, en lui imposant un « breakout time » d’au moins un an (le délai pour produire l’uranium enrichi pour construire une bombe atomique s’il n’acceptait pas un accord) alors qu’aujourd’hui compte tenu des avancées techniques de l’Iran ce délai serait de 2 à 3 mois. L’accord de Vienne atteindra cet objectif. 

   Il constitue un « Joint Comprehensive Action Plan » (une centaine de pages avec 5 annexes très détaillées disponibles sur le site de l’UE, European Union External Action Service, de Federica Mogherini chargée des relations extérieures de l’UE, eeas.europa.eu ) applicable sur une période 10 à 15 ans (avec plusieurs paliers) : l’Iran s’engage à fortement limiter ses possibilités d’enrichissement de l’uranium et d’utilisation de combustibles nucléaires. Il ne pourra disposer que de 6104 centrifugeuses (de classe 1, les moins performantes) au lieu de 19 000 centrifugeuses actuellement dans ses deux centres de Natanz et Fordow, au sud de Téhéran (mais seules 5060 d’entre elles pourront être utilisées pour de l’enrichissement de l’uranium) les autres étant placées sous contrôle de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) de Vienne. Il devra réduire son stock d’uranium enrichi (7,5 tonnes) à 300 kg enrichi à 3,67% (utilisable dans des réacteurs). Ces centres devront être reconvertis à des activités de recherche civile. Une partie de l’uranium enrichi entre 5 et 20% dont l’Iran dispose pourra être utilisé pour un réacteur de recherche à Téhéran. L’Iran devra reconfigurer son réacteur à eau lourde de 40 MW à Arak, au sud de Téhéran, pouvant produire du plutonium utilisable dans une bombe atomique (7,7 kg par an), pour qu’il fonctionne avec de l’uranium faiblement enrichi ; son stock d’eau lourde sera limité sans qu’il puisse construire d’autre réacteur de ce type pendant 15 ans. Les combustibles nucléaires usagés devront être transférés à l’extérieur du pays pour être éventuellement retraités photo: usine de production d’eau lourde d’Arak Majid/Getty).    

   Le contrôle de la mise en œuvre de l’accord est un point clé. L’Iran a accepté que l’AIEA inspecte toutes ses installations, civiles et militaires. Il a par ailleurs signé avec l’AIEA, le 14 juillet à Vienne, un protocole d’accord qui va permettre à celle-ci de faire un état complet d’ici la fin 2015 de ses activités nucléaires, notamment celles à finalité militaire. Enfin, il est prévu qu’après approbation de l’accord par le Conseil de sécurité de l’ONU (intervenue le 20 juillet) et vérification du respect par l’Iran de ses engagements, les mesures d’embargo économique (avec le gel de ses avoirs financiers dans des banques de l’ordre de 150 Milliards de dollars, les importations de matériels « sensibles » resteront interdites) prises à son encontre pour l’amener à arrêter son programme nucléaire militaire seront progressivement levées avec l’accord de l’ONU début 2016 sans doute ?). L’embargo économique a fortement pénalisé l’Iran (depuis 2012 les pays occidentaux ont interrompu leurs importations de pétrole de l’Iran, le Japon partiellement mais pas la Chine) et il est la cause de tensions sociales internes expliquant largement l’ouverture iranienne. L’embargo portant sur les livraisons d’armes ne sera pas levé de sitôt. L’accord prévoit un mécanisme subtile dit de « Snap back » qui permet à l’un des pays du 5+1 qui estimerait que l’Iran ne respecte pas ses engagements d’exiger une enquête et, éventuellement, de demander au Conseil de sécurité de lever l’arrêt des mesures de sanctions économiques. Un comité mixte de suivi de l’accord sera par ailleurs mis en place.

Les conséquences d’un accord sur le nucléaire sont de plusieurs ordres. Au plan scientifique et technique d’abord, l’Iran devra reconvertir ses activités nucléaires tout en maintenant un programme civil sous contrôle international. Plusieurs annexes de l’accord listent une série de possibilités pour des activités nucléaires en coopération. Lors des négociations de Lausanne, il avait été ainsi envisagé de transformer le centre de Fordow en un centre international de recherche en physique, équipé éventuellement d’accélérateurs linéaires de particules, c’est une proposition du secrétaire américain à l’énergie, Ernest Moniz, qui a participé à toutes les négociations et, semble-t-il, de la France. Des centrifugeuses à Fordow seraient reconverties pour produire des isotopes de l’iridium et du molybdène 98. Ce dernier serait irradié par des neutrons dans le réacteur d’Arak pour produire le molybdène 99, un radio-isotope proche du technétium 99 très utilisé en médecine nucléaire ; l’iridium 192 produit avec des neutrons serait utilisé en gammagraphie pour détecter des failles dans des métaux (cf. Stone, R., « Iran deal would transform its nuclear infrastructures », Science, Vol. 348, p.164, 10 April 2015, www.sciencemag.org ). Il est également proposé à l’Iran d’être associé au programme international ITER sur la fusion thermonucléaire (ce n’est pas forcément un cadeau !).

   L’Iran pourra développer son programme nucléaire civil en construisant des réacteurs électronucléaire à eau légère (il a affirmé que c’était l’un de ses objectifs). Observons que c’était déjà le projet du chah qui avait conduit l’Iran à prendre une participation de 10% dans l’usine française d’Eurodif (pour l’enrichissement de l’uranium…). L’Iran possède un seul réacteur de 1 GW en activité à Bouchehr sur le Golfe persique dont le combustible a été fourni par la Russie. Dans un pays à forte sismicité, le nucléaire n’est pas sans risques et sans poser de centrale_nuclaire_arorfrigrateur_2questions, la centrale de Bouchehr a d’ailleurs été touchée par un tremblement de terre en 2013…Il est opportunément suggéré à l’Iran dans l’une des annexes de l’accord de Vienne consacré à la sûreté nucléaire de construire un institut sur la sûreté nucléaire pour la formation et la recherche.    Le débat sur les activités nucléaires de l’Iran ne doit pas occulter le fait que le potentiel scientifique de l’Iran a connu un développement remarquable depuis dix ans. En effet, selon les indicateurs de l’Observatoire des Sciences et des Techniques (OST, Indicateurs de référence, Espace scientifique et technique, www.obs-ost.fr ), celui-ci a fortement augmenté ses dépenses de R&D entre 2002 et 2012 (0,8% du PIB en 2011) et multiplié par un facteur sept sa part dans les publications scientifiques mondiales ce qui le place au 18e rang mondial (1,4% toutes disciplines confondues), il est vrai que leur indice d’impact est au-dessous de la moyenne mondiale. Dans un domaine de pointe comme les nanomatériaux, l’Iran a créé un réseau national de recherche (une quarantaine de centres) avec l’objectif de figurer parmi les quinze pays leaders dans le domaine (Iran nanotechnology Initiative Council, www.nano.ir).L’Iran (77 millions d’habitants) est doté d’une élite scientifique, artistique et littéraire, qui est un très grand atout pour son développement économique et industriel.

  Il ne faut pas oublier que l’Iran qui possède 9 % des réserves mondiales de pétrole et 16% de celles de gaz est une grande puissance pétrolière et gazière potentielle. Sa production pétrolière a souffert de l’embargo sur ses exportations mais sans doute pas autant qu’on le dit. En effet, selon les statistiques de BP, la production iranienne est passée de 4,4 Millions de barils/jour en 2008 à 3,6Mb/jour en 2014 (cf. BP Statiscical Review of World Energy, 2015, www.bp.com/statiscalreview), celle de gaz a légèrement augmenté sur la même période. L’accord nucléaire avec la levée proche des sanctions économiques qui lui ont été imposées, ouvre à l’Iran la perspective d’une augmentation de sa production de pétrole d’au minimum 1 à 2 Mb/jour ainsi que celle de gaz et donc de son retour sur le marché international des hydrocarbures Ce retour sur le marché ne sera pas immédiat car il lui faudra investir dans des infrastructures et il est donc difficile de faire des prévisions sur l’impact qu’il aura sur le cours du baril de pétrole dans les deux ans à venir. La forte baisse du cours du pétrole en 2014, provoquée par la décision de l’Arabie Saoudite de ne pas limiter sa production et par la forte progression de la production de pétrole de schiste américaine, handicape considérablement les pays producteurs comme l’Iran car les redevances pétrolières représentent de 60 à 80% de leurs budgets (c’est d’ailleurs un objectif de la stratégie menée par l’Arabie). L’Iran a un grand besoin de ses recettes pétrolières pour son développement.          

    L’accord nucléaire avec l’Iran conduit à au moins trois observations de nature politique. La première est le constat qu’il constitue un succès diplomatique pour les Etats-Unis et, en premier lieu pour le Président Obama, ainsi que pour l’Iran, et la presse internationale l’a amplement souligné. Il est vrai que l’on doit s’attendre à une longue bataille au Congrès américain, où les opposants à la politique du président Obama sont nombreux chez les Républicains, pour retarder la levée des sanctions. A plus ou moins long terme, cet accord va probablement changer la donne au Moyen-Orient et dans les régions périphériques sur bien des plans, et pas seulement sur celui du nucléaire (cf. P. Papon, « Quelles perspectives après l’accord nucléaire avec l’Iran ?», Futuribles, No 407 juillet-août 2015 www.futuribles.com). En effet il remet l’Iran dans le jeu international et il va renforcer son influence régionale, a surtout si, à terme, son poids économique est renforcé, alors que la région du Golfe est l’enjeu de conflits qui se sont exacerbés, va se trouver amplifiée, surtout si, à terme, son poids économique est renforcé. C’est sans doute ce que redoutent ceux qui ont manifesté des réticences à son égard, notamment Israël et l’Arabie Saoudite (la France a fait de la résistance dans la négociation jouant le rôle de « père fouettard » sans doute pour leur montrer qu’elle faisait preuve de vigilance dans cette affaire). La seconde observation concerne l’avenir du nucléaire.

   L’accord avec l’Iran renforce à la fois le rôle de l’AIEA et du Traité de non -prolifération nucléaire (TNP) car une négociation sous l’égide des 5 membres permanents du Conseil de sécurité a obligé un pays à respecter, sous contrôle, les règles strictes du TNP pour développer ses activités nucléaires civiles ce qui demeure une condition clé pour le développement du nucléaire civil (on observera qu’Israël qui proteste véhément contre la signature de l’accord avec l’Iran n’a a pas signé le TNP et s’est doté de l’arme nucléaire…tout comme l’Inde et le Pakistan). On peut envisager aussi que l’AIEA étende ses missions pour évaluer les conditions de sûreté des installations nucléaires, notamment les nouveaux réacteurs (ce qui ne fait pas partie stricto sensu de ses missions). S’agissant du Moyen-Orient, la possibilité parfois évoquée (depuis 1974) de sa dénucléarisation (au sens militaire) est une perspective très lointaine, elle supposerait une coopération étroite des pays de la région dans le domaine du nucléaire civil (par exemple au niveau de la R&D) ; 22 pays de la région l’ont, toutefois, de nouveau proposé, en 2014, dans une lettre conjointe au Secrétaire général de l’ONU (ni la Syrie ni Israël ne l’ont signée, cf. A.Glaser, Z.Mian et F. Von Hippel, « After the Iran deal : multinational enrichment », Science, Vol. 348, issue 6241, p.1320, 19 June 2015, www.sciencemag.org). La troisième observation concerne le pétrole, le retour de l’Iran sur le marché pèsera sur le cours du baril et peut reporter de quelques années le pic de la production, ce qui est bon pour l’économie mais est une mauvaise nouvelle pour le climat dans la mesure où il peut retarder la montée en puissance des énergies renouvelables dans certains pays. On peut espérer que le potentiel scientifique et technique de l’Iran, et éventuellement celui de l’Arabie saoudite permettra de développer leur potentiel d’énergie solaire qui est très important pour satisfaire leurs propres besoins. Quoi qu’il en soit, l’accord nucléaire de Vienne est un tournant pour la politique énergétique.


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