Les grandes centrales solaires ont elles un avenir?

 Dans un récent rapport sur les perspectives des techniques énergétiques, l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) passe en revue toutes les techniques qui permettraient de d’atteindre l’objectif de « décarbonisation »  de l’énergie afin de diminuer les émissions de CO2 (IEA, Energy Technology Perspectives 2015, Mobilizing innovation to accelerate action, www.iea.org). Elle estime ainsi que l’intensité énergétique devrait diminuer de 2,6% par an en 2050 (1,1% aujourd’hui), le rythme actuel devant s’accélérer car la planète n’est pas sur la trajectoire d’un scénario à 2°C. Elle constate aussi que la forte baisse en 2014, inattendue, du prix du pétrole a donné un mauvais signal aux investissements dans les énergies renouvelables, même si la progression continue des filières renouvelables (éolien et solaire) est incontestable. Dans son nouveau rapport, l’AIE renouvelle un double message qui est un leitmotiv depuis quelques années : la décarbonisation de l’électricité et la diffusion de ses usages sont un point critique pour la transition énergétique et cela requiert un très grand effort d’innovation et d’investissements dans des secteurs comme les cellules solaires et les batteries pour le stockage de l’électricité. On observera que le Conseil mondial de l’énergie (il réunit les organismes et entreprises et publiques et privées du secteur de l’énergie, notamment les électriciens, d’une centaine de pays) exprime une position tout à fait semblable (cf. Conseil Mondial de l’Energie, World Energy Trilemma, priority actions on climate change and how to balance the trilemma, 2015, www.worldenergy.org ).

Peut-on être plus précis et proposer une vision prospective de l’avenir des filières renouvelables et en particulier du solaire ? Nous avons abordé, à plusieurs reprises la question dans notre blog et souligné, en particulier, les perspectives qu’ouvraient des nouveaux matériaux pour les cellules solaires, en particulier les pérovskites organiques et inorganiques qui pourraient être une alternative au silicium. Les publications récentes confirment cette percée, le rendement des cellules avec des pérovskites étant, en 2015, légèrement supérieur à 20% (cf. M.A. Green and T.Bein, « Perovskite  cells charge forward », Nature Materials, vol. 14, p. 559, June 2015, www.nature.com/naturematerials ). Si on se limite aux centrales solaires photovoltaïques, ce que nous ferons ici, peut-on envisager construire des centrales de grande puissance qui contribueraient à la production de l’électricité en base ? C’est à cette question que tente de répondre un récent rapport d’un groupe de travail de l’AIE (IEA,  Energy from the Desert: Very Large Scale PV Power Plants for Shifting to Renewable Energy Future www.iea-pvps.org ). Les experts de l’AIE se situent dans la perspective volontariste d’un scénario limitant le réchauffement climatique à 2°C : la part de l’électricité produite à partir de filières « décarbonées » tomberait à 10% en 2050 avec 65% d’énergies renouvelables (le restant étant assuré par le nucléaire et des centrales thermiques avec un captage et un stockage du CO2). Dans une variante plus volontariste la part des renouvelables passerait à 79% avec le solaire photovoltaïque (16%) en deuxième position derrière l’hydraulique.

La  montée en puissance de la filière solaire à très haut niveau (4500 GW en 2050 ?) n’est envisageable que si l’on parvient à équiper la planète avec des grandes centrales. C’est un véritable défi auquel on peut faire face, selon l’AIE, en équipant les déserts avec des centrales. En effet, le rayonnement solaire a une faible densité (1 kW/m2 au maximum sous nos latitudes) et sa distribution géographique est très variable. Cette intensité est particulièrement importante dans les zones désertiques de la planète qui représentent le tiers de la surface au sol et il suffirait, théoriquement, d’équiper 8% de la surface des déserts avec des centrales photovoltaïques pour faire face aux besoins mondiaux actuels d’énergie primaire. Le désert de Gobi entre la Chine et la Mongolie (13 millions d’hectares) fournirait en électricité, à lui seul, l’équivalent de 5 fois l’énergie primaire mondiale. Sur la base d’études topographiques (avec des données satellitaires) Solaire thermique Europeportant sur six déserts (le Sahara étant le plus important), l’AIE estime que des grandes centrales solaires pourraient fournir 50% de l’électricité mondiale en 2050. Aujourd’hui, si le solaire s’est développé en zone urbaines et rurales avec des petites installations individuelles (panneaux sur des toits et des terrasses), il existe d’ores et déjà une vingtaine de centrales  d’une puissance supérieure à  100 MW (elle ne fonctionnent, il faut le rappeler, qu’en moyenne à 20% du temps à leur puissance nominale) et il existe plusieurs centrales aux Etats-Unis (une dans l’Arizona et une en Californie) et en Chine d’une puissance de  500 MW.

Le scénario envisagé par l’AIE est-il réaliste ? Il est nécessaire d’y regarder de plus près. Les conditions de fonctionnement dans un désert sont souvent difficiles. L’environnement est difficile : certaines zones (dunes, montagnes) sont exclues, les vents de sable et les fortes variations de température sont un handicap, le manque d’eau peut-être également gênant (nettoyage des panneaux). Différentes solutions sont envisagées pour le nettoyage des panneaux solaires, notamment des robots. L’éloignement des sites de production dans les déserts des zones de consommation est également un handicap que l’on doit pallier en construisant des lignes électriques et un réseau interconnecté. L’AIE estime que le coût des panneaux au kWh installé pourrait être divisé par un facteur trois d’ici 2050 avec un coût de production dans une fourchette de 0,05-0,15 $/kWh en dollar 2013 mais avec l’hypothèse d’une durée de vie des panneaux de 30 ans qui paraît très optimiste. Une alternative au silicium est envisagée avec des cellules dotées de lentilles optiques concentrant le rayonnement solaire (pour des cellules au silicium) ou des cellules comportant plusieurs semi-conducteurs (notamment des jonctions AsGa-GaInp-GaInAs-GaInAsP dont le rendement atteint 45%) mais dont le coût est plus élevé. N’oublions, par ailleurs, que la filière à concentration (ou thermodynamique) est une alternative que l’AIE ne prend pas en compte dans ce rapport mais dont elle tient compte dans ses scénarios.  Si l’AIE a étudié en détail les possibilités de développement de la filière dans les déserts de Chine avec un réseau électrique dans l’Asie du Nord-Est, elle est, en revanche, beaucoup moins diserte sur les possibilités d’implanter des grandes centrales sur les autres continents, notamment en Afrique. L’importance des investissements nécessaires à la construction de grandes centrales est probablement un obstacle à cette implantation en Afrique où de petites centrales rurales « off-grid » (hors réseau) seraient probablement mieux adaptées. Le projet Desertec que des entreprises allemandes voulaient lancer en Afrique du Nord a d’ailleurs fait long feu (on imagine d’ailleurs mal la construction de centrales solaires dans des régions comme le sud-algérien ou le Mali…).

Il est probablement difficile d’escompter un développement des centrales solaires de grande puissance (500-1000 MW) et sur une grande échelle dans toutes les régions désertiques. Il posera en effet de sérieux problèmes de logistique et, qui plus est, l’AIE est probablement trop optimiste sur le coût de production du kWh qui serait produit. En revanche, cette solution est peut-être viable dans certaines régions des Etats-Unis de la Chine, où elle y est expérimentée, du Moyen-Orient ou de l’Amérique du Sud. L’Europe est évidemment mal placée pour escompter mettre en œuvre une telle filière (la carte indique l’intensité solaire en Europe et Afrique du nord en kWh/an équivalent thermique) le seul espoir pour exploiter des centrales solaires de grande puissance est d’améliorer les rendements des cellules grâce à une rupture technique.

 


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