La transition énergétique est-elle créatrice d’emplois?

Rappelons qu’en France, la loi relative à la « Transition énergétique pour la croissance verte » se veut « un nouveau modèle énergétique français ». Votée par l’Assemblée nationale en 2014, elle est encore en débat au Sénat, ses ambitions sont importantes. Il s’agit, en effet, de lutter contre le réchauffement climatique, de renforcer l’indépendance énergétique de la France et de créer des emplois (cf. à ce sujet le dossier de Futuribles Vigie publié en septembre 2014, www.futuribles.com/fr/forum-transitionenergetique). Elle prévoit : – de réduire de 30% de la consommation  d’énergies fossiles et de 40% des émissions de gaz à effet de serre de la France en 2030 par rapport à 1990 (un objectif européen) avec leur division par un facteur quatre en 2050 – porter la part des énergies renouvelables dans notre consommation d’énergie à 23% en 2020 et à  32% de notre énergie finale en 2030 – diviser par deux notre consommation d’énergie finale en 2050. C’est aussi une loi d’incitation car elle comporte des mesures pour favoriser la rénovation thermique des bâtiments (ils consomment 44% de l’énergie finale) qui est un facteur important d’économie d’énergie, un objectif de rénovation de 500 000 logements par an d’ici 2017 figure dans son exposé des motifs. Dans les transports (35% de l’énergie finale) la priorité est donnée aux véhicules électriques. Quant à la production d’électricité, elle devrait être assurée à 40% par des énergies renouvelables en 2030 (au lieu de 16,7% en 2013), la part du nucléaire tombant à 50% dès 2025. En filigrane, on voit apparaître les les grands chantiers qui seraient susceptibles d’être créateurs d’emplois : l’efficacité énergétique, la rénovation thermique des bâtiments, les transports et les énergies renouvelables.

La nouvelle loi n’est certes pas votée, mais des décisions prises ces dernières années, à l’occasion des « Grenelle de l’environnement » (des réunions rassemblant les acteurs de la transition énergétique, à l’exception, il faut le noter, des organismes de recherche) ont balisé le terrain en proposant des objectifs qui sont inscrits dans la loi de 2014. On peut donc faire un bilan provisoire de l’évolution de l’emploi dans le secteur de l’énergie et c’est ce que fait depuis 2008 l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie). Ainsi, dans un rapport récent et très complet (Maîtrise de l’énergie et développement des énergies renouvelables Etat des lieux des marchés et des emplois, Stratégie et Etudes, No 43 avril 2015, www.ademe.fr ) elle porte un regard rétrospectif sur la période 2006-2013 en s’intéressant à une trentaine de segments de marchés (travaux de rénovation énergétique dans des bâtiments existants, véhicules particuliers, transports collectifs, équipements pour les énergies renouvelables, etc.).  L’agence fait plusieurs constats. Elle note, tout d’abord une évolution positive mais en dents de scie des marchés : une forte croissance pour ceux de l’amélioration énergétique et le développement des énergies renouvelables (ENR) sur la période 2006-2009 (+13,5% par an), une croissance faible (+4,1% par an) entre 2009 et 2011 sous l’impact de la crise, un rebond net entre 2011 et 2013 (+7,1% par an en moyenne). Elle constate des évolutions récentes et positives dans trois domaines qui en sont des moteurs: – la croissance de la puissance installée du parc ENR (éolien et solaire notamment) a poussé à la hausse les ventes d’électricité (y compris l’hydroélectricité) – un dynamisme du secteur des infrastructures ferroviaires et des transports collectifs en site propre (tramways notamment) – un dynamisme des équipements énergétiquement favorables pour les particuliers. Dernier constat, enfin, mais qui n’est pas positif : les investissements dans le solaire photovoltaïque et l’éolien ont chuté fortement sur la période récente alors qu’en revanche ceux pour les infrastructures pour la chaleur renouvelable étaient en hausse.

  Si l’on examine le bilan en emplois directs sur la période 2006-2014 pour les secteurs de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, celui-ci est « globalement positif » puisque les emplois y sont passés de 200 000 en 2006 à 321 000 en 2014. La progression est nette dans une période, il faut le souligner, de crise économique rampante et de croissance du chômage. La progression est la plus forte dans les secteurs liés à l’amélioration de l’efficacité énergétique où l’on est passé de 141 000 emplois à 237 000 sur la même période (avec un doublement des effectifs pour les transports et une augmentation de près de 50% dans le résidentiel). La progression est moins nette pour les énergies renouvelables où l’on est passé de 36 000 emplois à 47 000 pour les marchés d’équipement et d’installation, les emplois liés aux ventes d’énergie ayant également fortement progressé mais restant faibles (37 000 emplois en 2014). On observe toutefois qu’après une pointe en 2010 l’emploi dans les équipements pour les ENR a fortement chuté depuis lors, les effectifs passant de 70 000 à 47 000, la filière photovoltaïque subit un véritable energie_heure_des_choix_photo_eolienneeffondrement, les emplois chutant de 31 500 à 8 500 entre 2010 et 2014. L’emploi dans le marché des pompes à chaleur connaît lui aussi une forte chute tandis qu’il ne décolle pas et régresse même  dans celui du solaire thermique; il se maintient dans le secteur du bois mais chute fortement dans celui des unités de production de biocarburants.

  On peut tirer un premier enseignement de ce bilan : le secteur de l’amélioration de l’efficacité énergétique est sans doute le plus porteur en terme d’emplois et il a l’avantage de moins peser sur la balance des importations/exportations (contrairement au solaire) des équipements qui est devenue négative en 2009 (un déficit de 2 milliards € en 2014). Ces chiffres conduisent à fortement nuancer le discours sur le caractère porteur en termes de créations d’emplois des ENR. Un global des emplois pour l’énergie devrait  tenir compte du secteur nucléaire (environ 125 000 emplois directs) qui est exportateur mais qui connait depuis peu une crise industrielle.

Le débat sur l’impact de la transition énergétique n’est pas spécifique à la France, il existe en particulier en Allemagne comme l’a montré une récente étude de l’OPECST qui comparaît les stratégies énergétiques française et allemande (OPECST, Le tournant énergétique allemand : quels enseignements pour la transition énergétique française ? Rapport de J-Y. Le Déaut et B. Sido, Février 2015,  www.assemblee-nationale.fr/opecst . Cf. aussi P.Papon, Futuribles Vigie Futuribles Vigie Peut-on tirer des enseignements du tournant énergétique allemand ?  www.futuribles.com.). Dans le cadre de sa politique énergétique, l’Allemagne  accorde une priorité très nette aux énergies renouvelables qui est incontestablement respectée : les énergies renouvelables représentaient près de 25 % de la production électrique en 2014 (avec 13% pour l’éolien et le solaire, le restant provenant de l’hydraulique et de la biomasse), huit centrales nucléaires ont été fermées en 2011, l’objectif pour 2020 (35% de renouvelables) sera sans doute atteint. L’OPECST souligne que le bilan en termes d’emplois du développement des énergies renouvelables, au sens large, est nettement positif : il comptait environ 400 000 emplois en 2011 et presque le double dans le secteur de l’efficacité énergétique. Ces emplois ont été créés en une dizaine d’années). Le bilan semble plus favorable qu’en France. Toutefois l’industrie allemande du photovoltaïque s’est effondrée face à concurrence chinoise (80% des panneaux solaires sont importés de Chine) et, en 2013, 40 000 emplois y ont été supprimés (l’Allemagne conservant toutefois le quart du marché mondial des éoliennes).

Le bilan en termes d’emplois d’une politique de transition énergétique doit être pour l’heure nuancé. L’amélioration de l’efficacité énergétique est très probablement le secteur le plus porteur en termes de créations d’emplois dans les dix prochaines années. Les ENR sont dans l’attente d’une stratégie industrielle qui permettrait à la fois de mettre sur le marché des équipements et de créer des emplois (en particulier dans un « nouveau solaire »). Il ne faut pas oublier non plus que la transition énergétique doit tenir compte de l’avantage que constitue pour une économie (les entreprises et les ménages) d’une énergie peu coûteuse, l’industrie doit donc aussi avoir pour objectif de diminuer le coût de ENR, ceci suppose également d’accroître l’effort de recherche.


Publié

dans

par

Étiquettes :