Après la conférence de Lima : l’énergie entre le climat et le développement

Le bilan de la conférence de l’ONU sur le climat qui s’est achevée à Lima le 14 décembre, est jugé par beaucoup comme décevant, même si les 195 Etats présents et l’Union européenne ont adopté un cadre général pour leurs futurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’envoyée spéciale de l’Onu pour le changement climatique, Mary Robinson, ancienne présidente de l’Irlande, a ainsi déclaré : « Les gouvernements à Lima ont fait le strict minimum pour garder le processus de négociations multilatéral en vie, mais ils n’ont pas fait assez pour convaincre que le monde est prêt à adopter un accord sur le climat ambitieux et équitable l’an prochain à Paris ». Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères français chargé de la préparation de la conférence de Paris de décembre 2015 qui devrait aboutir à un accord final a souligné, quant à lui, que le document de Lima était « une très bonne base de travail ». L’objectif final est de tenter de réduire de 40 à 70 % les émissions de gaz à effet de serre pour maintenir en deçà de 2°C le réchauffement climatique.

 

La négociation sur le climat doit résoudre une équation compliquée qui doit permettre de répondre à trois questions : – quels efforts de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, et notamment de CO2, les pays sont-ils disposés à consentir? – faut-il donner une priorité à l’adaptation au changement climatique ? – quelle aide les pays les plus développés sont-ils prêts à apporter aux pays en développement  ? L’énergie est donc soumise à deux contraintes : assurer le développement des pays de la planète dans des bonnes conditions tout en préservant le climat. Cela est d’autant plus difficile que les grandes régions du monde ne sont pas parvenues au même stade de développement et que les pays les plus pauvres revendiquent une « équité » dans l’accès à l’énergie. Les chiffres que nous avons souvent cités montrent bien que l’on est loin du compte : – un écart d’un facteur dix dans les consommations d’énergie par habitant entre les pays européens et les pays de l’Afrique sub-saharienne (un facteur dix avec les Etats-Unis) –1,2 milliard d’habitants de la planète n’ont pas d’accès à l’électricité (650 millions en Afrique) – dans le monde environ 2 milliards de personnes utilisent des déchets végétaux et du bois avec des poêles polluants pour faire la cuisine . Enfin, selon le scénario central de l’AIE  (AIE, World Energy Outlook 2014, www.worldenergyoutlook.org), la demande énergétique mondiale augmenterait de 37% d’ici 2040, avec une diminution de l’intensité énergétique et de la part des énergies fossiles (elle passerait de 80% à 74%) mais au prix d’une augmentation de 20% des émissions de CO2. Un ensemble de pays constitué par la Chine, l’Inde, l’Afrique, le Moyen-Orient et dans une certain mesure l’Amérique latine constituera le noyau dur de la croissance de la demande énergétique au moins jusqu’en 2040. L’un des enjeux de la négociation porte sur la possibilité de trouver un accord sur les efforts de réduction de la demande des pays les plus développés qui « compenserait », dans une certaine mesure, l’inévitable augmentation de celle des pays en développement. L’accord « climatique » conclu, récemment, entre la Chine et les Etats-Unis  – ces derniers s’engagent à diminuer de 26 à 28 % leurs émissions de CO2 d’ici 2025 (par rapport à 2005) et la Chine de commencer à les baisser « vers 2030 » – ainsi que la décision de l’UE de réduire de 40% ses émissions de CO2 (par rapport à leur niveau de 1990) vont dans le bon sens, mais cela n’est pas suffisant car ces démarches ne s’inscrivent pas sur la trajectoire d’un scénario de limitation à 2° C du réchauffement climatique. On peut penser aussi que deux grandes puissances comme la Chine et les Etats-Unis ne sont pas prêtes à s’engager dans un accord multilatéral contraignant. La Chine appuyant par ailleurs les revendications des pays les moins développés d’échapper à toute mesure de contrainte sur leur consommation d’énergie.

Les débats sur la relation énergie-climat conduisent aussi à s’interroger sur des modes d’évaluation des stratégies énergétiques (que beaucoup de pays récuseront probablement). Existe-t-il des « modèles » ? C’est cette évaluation à laquelle procèdent, depuis quelques années, le Conseil mondial de l’énergie et le Forum économique mondial (Forum de Davos).  Le Conseil Mondial de l’Energie (World Energy Council, World Energy Trilemma, 2014, http://www.worldenergy.org/wp-content/uploads/2014/11/20141105-Main-report.pdf) publie un classement pour l’énergie selon trois critères : la sécurité, l’équité et la « soutenabilité » environnementale. La France est à la neuvième place dans ce classement mondial où la Suisse est en tête. Dans ce classement on trouve la Colombie en 16e position, le Costa Rica en 19e position et le Qatar en 20e position. Le Forum économique mondial (World Economic Forum, Global energy architecture performance index report 2015, décembre 2014 http://www3.weforum.org/docs/WEF_GlobalEnergyArchitecture_2015.pdf), quant à lui, produit aussi un classement pour l’énergie avec trois critères : – la croissance économique et le développement (comment l’énergie contribue-t-elle à l’économie ? son coût, l’intensité énergétique, etc.) – la soutenabilité environnementale (émissions de gaz à effet de serre et de particules) – l’accès à l’énergie et la sécurité (autonomie du pays, qualité de l’électricité, poids des renouvelables et du nucléaire). La Suisse est encore no 1 mais la France est en troisième position. On observe la neuvième place de la Colombie dans ce classement et la onzième du Costa Rica qui doivent beaucoup leur place à la qualité environnementale de leur énergie. La position de la France  dans ces classements doit beaucoup à la place du nucléaire qui ne contribue pas au réchauffement climatique (la question du stockage des déchets nucléaires restant probablement dans l’ombre). Ces classements, assez fouillés dans leurs critères, sont toujours contestables (comme le classement dit de Shanghai  pour les universités que celles-ci ont fortement critiqué mais utilisé pour justifier des réformes plus ou moins abouties…), mais elles ont le mérite de forcer à une réflexion sur les critères qui devraient peser dans le choix des futurs mix énergétiques avec, en particulier, celui de l’équité dans l’accès à l’énergie (la question se posant également pour des pays comme la France).

  Existerait-il des moyens pour procéder à une transition énergétique « en douceur », en utilisant les techniques actuelles , tout on procédant à une montée en puissance des énergies renouvelables ? Le gaz est souvent considéré comme une ressource énergétique possible car sa combustion dégageant à calories égales deux fois moins de CO2 que le charbon, il pourrait prendre son relais dans les centrales thermiques qui assurent, aujourd’hui, 40% de la production mondiale d’électricité. L’utilisation du gaz de schiste est une possibilité : sa production a dépassé aux Etats-Unis celle de gaz conventionnel en 2013 et y a fait chuter le prix du gaz, ce qui a conduit à un remplacement partiel du charbon par le gaz dans la production électrique. Certains experts du climat doutent toutefois que le gaz utilisé dans des centrales thermiques serait une voie de passage vers une énergie à bas carbone  sans impact climatique. Cinq laboratoires (trois européens, un américain et un australien (cf. McJeon et al ; « Limited impact on decadal-scale climate change from increased use of natural gas », Nature, vol. 514, p. 482, 23 October 2014,www.nature.com, voir aussi P.Papon « Le gaz naturel :  roue de secours pour le climat ? », Futuribles Vigie, www.futuribles.com), ont évalué, à l’aide de cinq modèles climatiques, l’incidence sur le climat de la consommation d’énergie gaz_naturelavec deux hypothèses : – une abondance de gaz à coût de production peu élevé – une offre de gaz dite conventionnelle sans augmentation des ressources et avec des prix sur le marché en hausse modérée ou forte. Le premier scénario suppose implicitement que les techniques d’exploitation du gaz de schiste, et plus généralement de gaz « non-conventionnel », se généraliseraient avec des coûts maîtrisés (ce qui suppose que la baisse actuelle du prix du pétrole et probablement celle du gaz n’aurait pas d’incidence notable et durable). Les cinq modèles donnent des résultats assez convergents pour les émissions de CO2, ils prévoient que celles-ci  ne seraient réduites qu’au maximum de 2% en 2050 dans le cas le plus favorable. Un gaz naturel abondant et peu coûteux pourrait ralentir fortement le décollage des énergies renouvelables et pourrait aussi entraîner un effet rebond : en permettant de produire un kWh électrique à bas coût il stimulerait la production d’électricité et l’activité économique et par contrecoup les émissions de CO2. L’utilisation massive du gaz naturel serait sans doute moins nocive pour le climat que celle du charbon mais son impact sur son évolution du serait au mieux que faiblement positive.

La négociation sur le climat ne portera pas sur les mix énergétiques dont les Etats voudront garder la maîtrise mais il faut admettre qu’un effort global et volontariste sur les systèmes énergétiques sera nécessaire pour conduire la transition énergétique pendant une période qui sera inévitablement assez longue. Il pourrait être concerté sur une base régionale et la négociation pourrait peut-être déboucher sur les conditions à satisfaire pour mettre en œuvre une coopération internationale mieux organisée et équitable permettant de conduire cette transition. Ce serait une voie moyenne entre la lutte pour la limitation du réchauffement climatique et  une adaptation.


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