Energie mondiale : des scénarios sous tension

En publiant, début novembre, l’ensemble des conclusions de son cinquième rapport sur le climat, les experts du GIEC ont de nouveau tiré un signal d’alarme : il est « extrêmement probable » (une probabilité estimée à 95%) que l’« activité humaine est la cause principale du réchauffement observé » depuis le milieu du XXsiècle.Si l’en croit leur scénario le plus pessimiste, après une hausse de 0,85 °C en moyenne entre 1880 et 2012, l’augmentation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre pourrait atteindre 4,8°C à l’horizon 2100 par rapport à la période 1986-2005, en supposant que les émissions de gaz à effet continuent à leur rythme actuel (entre 0,3 °C et 3,1 °C pour les autres scénarios). Rappelons que l’objectif « officiel », retenu lors suite à la conférence de Copenhague sur le climat de Copenhague en 2009, est de limiter à 2° C le réchauffement climatique entre la fin du siècle et les débuts de l’âge industriel (soit 1850) , ce qui suppose de diminuer par un facteur 2 les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050 et en particulier celles de CO2. Depuis lors les  débats vont bon train avec un point focal qui est la transition énergétique : comment parvenir à cet objectif au niveau mondial ? Que signifie cette transition énergétique ? Comment orienter à la baisse la demande d’énergie. ? On sait que la France ainsi que d’autre pays européens se sont engagés de diminuer par un facteur quatre leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Toutes ces questions sont des enjeux pour la conférence de Paris sur le climat de 2015.

Le rapport annuel, son édition  2014, sur l’énergie mondiale que vient de publier l’Agence Internationale de l’Energie (AIE, World Energy Outlook 2014, www.worldenergyoutlook.org) n’incite pas à l’optimisme puisqu’il estime que « Le système énergétique mondial risque de ne pas être à la hauteur des espoirs et des attentes placés en lui ». Le scénario central de l’AIE prévoit une augmentation de la demande énergétique mondiale de 37% d’ici 2040 mais, il est vrai, avec une diminution de l’intensité énergétique. La croissance de la demande énergétique (à un rythme annuel de 1% par an après 2025 au lieu de 2% actuellement) serait stable dans tous les pays développés, notamment en Europe mais aussi aux Etats-Unis, alors qu’elle augmenterait  fortement en Asie, en Afrique, au Moyen Orient et en Amérique du sud, en 2030 la Chine deviendrait le premier pays consommateur de pétrole dans le monde.

Le scénario central de l’AIE qui ne permettrait  pas d’atteindre l’objectif de Copenhague  envisage un mix énergétique  mondial à l’horizon 2040 qui serait un « quatre quarts » avec quatre filières d’importance presque égales pour l’énergie primaire : le pétrole, le gaz, le charbon et les sources d’énergie à faible émissions de carbone (renouvelables et nucléaire), toutefois la part des énergies fossiles diminuerait passant de 80 à 74% . L’AIE ne « prévoit » pas de disette de pétrole, la production augmentant de près de 15% entre 2012 et 2040, avec une croissance forte de celle de pays non-membres de l’OPEP jusqu’en 2025 (en particulier aux USA avec le pétrole de schiste mais aussi au Brésil). Quant à la production de gaz,  elle ferait un  bond de 50% avec une forte contribution de celle de gaz de schiste dont la part passerait de 17%, aujourd’hui, à 31%, en revanche la production de charbon n’augmenterait que faiblement à un rythme annuel de 0,5%. Les mesures prises pour limiter le réchauffement climatique conduiraient à une forte croissance (80%) de la demande d’électricité d’ici 2040 avec un tiers d’énergie renouvelable dans le mix électrique (21% en 2012) et une forte croissance du nucléaire (essentiellement dans les pays hors-OCDE) dont la puissance installée dans le monde passerait de 392 GW en 2012 à 620 GW en 2040. L’AIE estime d’ailleurs que le nucléaire est l’une des rares options disponibles à grande échelle pour diminuer les émissions de CO2.

Le rapport de l’AIE délivre un message ambigu sur l’énergie : optimisme du côté des réserves mais alerte sérieuse sur le climat. Il n’exclut pas des tensions sur le pétrole (dont le prix a chuté de près de 25 % depuis l’été) résultant de l’instabilité politique au Moyen-Orient qui est la source du pétrole « bon marché » mais aussi, souligne-t-il, à juste titre, le système énergétique risque de ne pas répondre aux attentes aux pays qui ont des besoins criants d’énergie comme le montrent les développements du rapport sur l’énergie en Afrique. L’AIE fait quelques constats : – l’Afrique sub-saharienne représente, aujourd’hui, 13% de la population de la planète mais elle ne consomme que 4% de l’énergie mondiale – son rythme de développement s’accélère et sa demande d’énergie a augmenté de 45% depuis l’an 2000 – un tiers seulement de la population a accès à l’électricité. De nombreuses études démographiques font état de la perspective d’une très forte croissance de la population de l’Afrique (cf. J. Damon « 25% de la population mondiale sera africaine en 2050 », Futuribles Vigie, www.futuribles.com et Gerland, P. et al. « World population stabilization unlikely this century”, Science, vol. 346, p. 234, 10 October 2014, www.science.org) : – la population de l’Afrique sub-saharienne doublerait entre 2012 et 2040 pour atteindre 1,75 milliard d’habitants (le Nigeria compterait 400 millions d’habitants en 2050) avec un taux de  croissance économique de 4,7% par an Image00006pour l’ensemble de l’Afrique.Cette croissance économique de l’Afrique sera portée par l’exploitation des ressources énergétiques (cf. P.Papon, « L’Afrique est-elle promise à devenir énergétique radieux ? » Futuribles Vigie, www.futuribles.com): une croissance de 80% de la demande (elle passerait de 740 Mtep en 2012 à 1300 Mtep en 2040) avec un doublement de la consommation de pétrole d’ici 2040, un doublement de la production de gaz – la bioénergie (essentiellement le bois) demeurant la principale ressource – un quadruplement de la capacité de production d’électricité. Il n’est pas certain que la manne pétrolière permettra à l’Afrique de faire face à ses besoins énergétiques.

Il est clair que les besoins croissants en énergie des pays en développement pour accéder à la « modernité » (qui suppose notamment un accès à l’électricité….) vont peser dans la négociation climatique qui est engagée. Avec quelles filières pourront-ils y faire face et avec quel soutien des pays développés ? C’est une question d’équité et de solidarité à laquelle il est difficile mais nécessaire de répondre. L’accord « climatique » conclu, récemment, entre la Chine et les Etats-Unis  – ces derniers s’engagent à diminuer de 26 à 28 % leurs émissions de CO2 d’ici 2025 (par rapport à 2005) et la Chine de commencer à les baisser « vers 2030 » – va dans le bon sens et va faciliter la négociation climatique. La science  et la technologie, sources d’innovations, donnent certes des raisons d’optimisme, souligne l’AIE, mais il reste à savoir si le volontarisme affiché sera suffisant pour mettre en marche la transition énergétique qui, de toute façon, sera une entreprise de longue haleine.


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