L’électricité sera-t-elle la force motrice du système énergétique du futur?

L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) publie un rapport biennal de prospective sur les technologies de l’énergie et son édition 2014 est consacrée aux potentialités de l’électricité à l’horizon 2050(IEA, Energy Technology Perspectives 2014, Harnessing electricity potential, www.iea.org). Les filières de production de l’électricité sont, en effet, importantes dans la mesure où, selon l’AIE, la production de l’électricité utilise, actuellement, 40% de l’énergie primaire mondiale et représente 40% des émissions de CO2, et où celle-ci fait  l’hypothèse que la demande d’électricité va croître dans les prochaines décennies. L’objectif des politiques nationales est de passer à une production électrique à « bas carbone » ; celui-ci est d’ailleurs au centre du projet de loi sur l’énergie en France.

Dans son rapport, l’AIE dresse un bilan des évolutions récentes de la production d’électricité ainsi que de sa consommation dans les grands secteurs de l’économie mondiale. Ce bilan n’incite pas à l’optimisme : – l’intensité en carbone de l’énergie n’a baissé que de 1% en 40 ans, les technologies pour le charbon « propre » sont peu utilisées – l’éolien terrestre est parvenu à maturité mais les énergies renouvelables émergent lentement (mais fortement en Asie) – la catastrophe de Fukushima a fortement perturbé la « renaissance » du nucléaire – la progression des ventes mondiales de véhicules électriques est lente (avec néanmoins une forte progression en 2013). La plupart des scénarios énergétiques mondiaux pour 2050, en particulier ceux de l’AIE, envisagent une forte montée de la demande d’électricité à l’horizon 2050 : la croissance de la demande se situerait dans une fourchette de 80 à 130 % et dans son scénario le plus volontariste, limitant le réchauffement climatique de la planète à 2°C, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité passerait de 20%, en 2012, à 60% en 2050. Rappelons, pour mémoire, que dans le projet de loi français pour l’énergie cette part se situerait à 40% en 2030.

Dans son rapport l’AIE examine spécifiquement six dossiers technico-économiques. Quelques faits majeurs se dégagent de ces dossiers. Le principal est sans doute que dans un scénario climatique volontariste où les énergies renouvelables prendraient la première place dans la production électrique, l’AIE « prévoit » que l’énergie solaire pourrait être la filière électrique dominante à l’échelle mondiale (électricité photovoltaïque et solaire à concentration). L’AIE fait aussi l’hypothèse que le gaz naturel, utilisé dans les turbines à gaz dont le rendement est aujourd’hui très élevé (il atteint 50%) devrait faciliter la transition énergétique en accompagnant la montée en puissance des énergies renouvelables intermittentes. L’électrification des transports terrestres est une troisième perspective importante pour l’AIE, elle ne pourra se concrétiser que si l’on dispose d’une électricité à un coût raisonnable et des infrastructures indispensables pour la recharge des batteries.

Le rapport de l’AIE met en exergue plusieurs verrous technico-économiques qu’il faut faire sauter. Elle souligne notamment que le stockage de l’électricité est un point clé pour le système électrique du futur (assuré aujourd’hui dans le monde à 99% par des installations de pompage hydraulique). Depuis près de dix ans, l’AIE fait un plaidoyer en faveur de la séparation et le stockage du CO2 émis par les centrales thermiques – ils permettraient de continuer à utiliser les combustibles fossiles (gaz naturel et charbon) pour la production d’électricité – ces techniques en sont encore au stade des tests et ne pourront véritablement décoller que si l’on taxe les émissions de CO2. L’AIE attire d’ailleurs l’attention sur la nécessité d’une taxation du carbone à un niveau significatif pour favoriser le décollage des filières renouvelables et la relance du nucléaire qui permettrait de financer les énergies non carbonées ainsi que sur celle d’augmenter substantiellement le financement de la R&D sur l’énergie

Ce nouveau rapport de l’AIE a le mérite de mettre en évidence la complexité du système technique qu’il va falloir mettre en oeuvre pour exploiter les potentialités de l’électricité. L’AIE fonde de grands espoirs sur l’énergie solaire qui serait la principale filière électrique en 2050 mais elle n’envisage pas d’alternative au silicium pour l’électricité photovoltaïque. Lecture faite, on reste toutefois sur sa faim car l’AIE ne tient compte que des techniques qui sont mures et s’agissant de l’énergie solaire, par exemple, elle n’envisage pas d’alternative au silicium, de façon générale elle ne fait pas d’hypothèses sur d’éventuelles percées techniques qui pourraient changer la donne à un horizon plus ou moins proche. En revanche, l’AIE fait des hypothèses sur les coûts de production de l’électricité qui sont un élément important du dossier sur son avenir. On doit observer que l’AIE n’évoque pas les aspects sociologiques de la montée en puissance de l’électricité: comportement des consommateurs, hostilité au nucléaire ou au stockage souterrain du CO2, etc. Selon l’AIE, l’accélération de l’électrification serait en quelque sorte la « force motrice » du système énergétique global mondial. 

Sans revenir en détail sur nos analyses précédentes, en particulier sur celles concernant le projet de loi sur l’énergie en France, on doit rappeler que de solides obstacles barrent encore la route d’accès à une électricité « décarbonée » (cf. Mosseri, R. et Jeandel, C.,  L’énergie à découvert,  CNRS Editions, 2013, www.cnrs.fr).  Contentons-nous de quelques observations. Si l’éolien terrestre peut être considéré comme une mature, c’est loin d’être le cas pour les filières solaires (photovoltaïque et à concentration). D’où la nécessité d’un effort de R&D sur des nouveaux matériaux pour les cellules photovoltaïques. DesImage00022 chimistes ont ainsi proposé une solution nouvelle avec un matériau organométallique semi-conducteur de la famille des pérovskites (en général ce sont des oxydes métalliques), composé d’un halogène (le chlore, l’iode ou le brome) et d’un métal comme le plomb ou l’étain préparé par déposition en phase vapeur sur un support. Le rendement de ces cellules est, à l’heure actuelle, de 18% avec un voltage supérieur à celui du silicium. Cette filière qui est actuellement testée, il faut s’assurer de la stabilité des cellules, a l’avantage d’être facile à utiliser, éventuellement en tandem avec le silicium car elle n’absorbe pas les mêmes photons (cf. M. Gräetzel, « The light and shade of perovskite solar cells », Nature Materials, 13, p. 838, 2014, www.nature.com/natmat). Le stockage de l’électricité est un autre verrou à faire sauter si l’on veut développer les énergies renouvelables et les voitures électriques et force est de constater que dans le domaine des batteries les progrès sont très lents. La densité énergétique des batteries lithium-ion, les plus performantes, est encore insuffisante (au maximum 200Wh/kg) et d’autres filières sont envisagées, par exemple avec des batteries lithium-air, ou avec des électrodes en oxydes de lithium, voire en magnésium.

L’électricité sera-t-elle la force motrice du système énergétique du futur, comme en est convaincue l’AIE ? Ce scénario mondial n’est crédible que si les politiques énergétiques nationales (et celle de l’Union Européenne) admettent d’une part la nécessité d’une taxation des émissions de CO2 et d’autre part prennent sérieusement en compte la nécessité d’un effort de R&D de longue haleine sur la plupart des filières énergétiques non carbonées.

 

 

 

 

 

 


Publié

dans

par

Étiquettes :