Transition énergétique à la « française »: quo vadis?

   Le projet de loi de programmation sur l’énergie en France, adopté par le Conseil des ministres, le 18 juin, se veut « Un nouveau modèle énergétique français » qui prépare l’après-pétrole (cf. Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, www.devloppement-durable.gouv.fr/nouveaumodeleenergetique). Aussi affiche-t-il des ambitions importantes pour l’avenir : renforcer l’indépendance énergétique de la France tout en luttant contre le réchauffement climatique, créer 100 000 emplois en trois ans. La loi va fixer les grands objectifs de ce modèle énergétique et prévoir les moyens pour les atteindre. Les commentaires de la presse sur les mesures annoncées ont été pour la plupart positifs, celle-ci soulignant, en général, que le projet était un compromis ménageant les équilibres et évitant les ruptures. Ce nouveau modèle énergétique va se construire autour de cinq grands objectifs à moyen et long termes qui seront inscrits dans la loi : – une réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 (un objectif européen) – une diminution de 30% de la consommation  d’énergies fossiles en France en 2030 – ramener la part du nucléaire à 50 % en 2025 (75% environ aujourd’hui) – porter la part des énergies renouvelables à 32% de notre consommation énergétique finale (156 Mtep en 2012) ce qui correspondra à 40% de l’électricité produite (au lieu de 16,7% en 2013), 38% de la chaleur consommée et 15% des carburants utilisés (7% en 2012) – diviser par deux la consommation française d’énergie finale en 2050. Six principes « structurants » devront permettre d’atteindre ces objectifs, au nombre desquels on trouve la maîtrise de la demande d’énergie, la diversification des sources d’approvisionnement et la diminution de la consommation d’énergies fossiles, l’augmentation de la part des énergies renouvelables, l’association des citoyens, des territoires et des entreprises aux choix, la nécessaire transparence, le développement de la recherche, la mise en place de moyens de stockage de l’énergie.

   Des mesures financières concrètes pour mettre en oeuvre cette politique sont prévues, les plus importantes concernent le bâtiment et les transports. La rénovation thermique des bâtiments (ils consomment 44% de l’énergie finale) est un point clé pour la transition énergétique avec un objectif de rénovation portant sur 500 000 logements par an : un crédit d’impôt portant sur 30% des investissements réalisés sera mis en place ainsi que des « Eco-prêts » à taux nul, des « tiers financeurs » pourront avancer les moyens pour des travaux. Dans le domaine des transports (35% de l’énergie finale avec des importations d’énergie vieille_maison_biss’élevant à 69 milliards d’euros en 2012) la priorité est aux véhicules électriques. Il est prévu d’accorder un bonus de 10 000 euros pour l’achat de véhicules électriques (en abandonnant un véhicule diesel) et 7 millions de points de recharge des véhicules seront installés d’ici 2050. En revanche, les moyens mis en oeuvre pour produire des biocarburants ne sont pas précisés. La Caisse des dépôts disposera d’un fonds de 5 milliards d’euros pour attribuer des prêts pour la « transition énergétique et la croissance verte » à un taux de 2% pour des projets sur la transition énergétique (sur les transports notamment).

La production d’électricité est un point dur du projet de loi avec deux dispositions majeures : – baisser à 50 % la part de la production d’électricité d’origine nucléaire dès 2025  – porter à 40% celle des énergies renouvelables dans le mix électrique en 2030 (27% en 2020). Dans cette perspective, le renforcement de la sûreté nucléaire doit être assuré sous le contrôle de l’Autorité de Sûreté Nucléaire dont le rôle sera renforcé, tandis que des actions pour développer les énergies renouvelable seront lancées : augmenter la production de biogaz (1500 projets de méthaniseurs), création d’une filière d’excellence dans les énergies marines, baisse du coût des investissements dans les énergies renouvelables et valorisation de la recherche dans ce domaine. Douze actions concrètes doivent permettre un pilotage de la politique énergétique, notamment à travers une stratégie pluriannuelle de l’énergie et par une stratégie « bas carbone » établie pour trois périodes de cinq ans. On notera que la puissance nucléaire installée en France sera plafonnée à 63,2GW (son niveau actuel) et que la part d’électricité produite par chaque source sera l’objet d’une programmation pluriannuelle, EDF devant élaborer son plan stratégique en conformité avec cette programmation, il sera validé par son Conseil d’Administration puis par l’Etat.

  Ce projet de loi a le mérite d’exister et de proposer des objectifs ambitieux à la politique énergétique avec des mesures concrètes pour les atteindre. Des outils pertinents seront également mis en place pour une programmation. Cela dit, on peut s’interroger sur le côté réaliste des objectifs. Sur le long terme, on peut douter qu’il soit possible de fixer par la loi un objectif de réduction de 50% de la consommation d’énergie finale en 2050 car on est encore dans une incertitude totale sur le contexte économique et démographique de la France à cet horizon. Rappelons qu’à l’occasion du débat sur la transition énergétique, l’Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Energie (ANCRE, www.allianceenergie.fr) a proposé trois scénarios qui permettraient de diviser par un facteur 4 les émissions de gaz à effet de serre par la France à l’horizon 2050, avec des évolutions contrastées de la demande et du mix énergétique final. Dans ces scénarios la part de l’électricité produite par le nucléaire passe à 50 % en 2025. Ils « prévoient » une chute de la demande finale de 27% pour deux d’entre eux et de 41% pour le plus volontariste qui suppose un programme très important de rénovation thermique des bâtiments et de développement des énergies renouvelables (Futuribles, « Scénarios de l’ANCRE pour la transition énergétique », mars 2014, www.futuribles.com ). S’agissant de l’horizon 2030, on peut aussi estimer que le calendrier est très tendu et qu’il est probablement peu réaliste de vouloir doubler en quinze ans la part d’électricité d’origine renouvelable (elle passerait de 16,7% en 2012 à 40%), cela suppose des investissements importants et, très certainement, une forte augmentation du kWh. Il n’est pas déraisonnable de diminuer la part du nucléaire dans le mix électrique car, à un niveau élevé (75% aujourd’hui), on court un risque sérieux de rupture de la production si un accident, même aux conséquences limitées, conduisait à arrêter plusieurs réacteurs pour des tests de sûreté. Qui plus est, on constate une élévation importante du coût du nucléaire en France (il est passé de 50€/MWh en 2010 à près de 60€/MWh en 2013, en euros courants,  une augmentation  qui s’explique notamment par les investissements de maintenance et de renforcement de la sûreté, cf.  Cour des Comptes, Le coût de production de l’électricité nucléaire, actualisation 2014, www.ccomptes.fr). Toutefois, il n’est pas certain que l’on puisse atteindre l’objectif de 50 % de nucléaire en 2025 car il suppose un effort considérable d’investissements dans les énergies renouvelables et les réseaux électriques.

Terminons par deux constats. Le premier concerne la recherche, elle aura certes une place dans les dispositions du projet, elle a droit à quelques coups de chapeau (il faut la « valoriser ») mais, au stade actuel, aucune référence n’est faite à la nécessité de faire sauter des verrous techniques importants qui bloqueront la transition énergétique  ce qui suppose un effort de R&D important dans des domaines comme : le stockage de l’électricité, notamment les batteries électriques, les réseaux électrique, les nouveaux matériaux pour le photovoltaïque, la production de biocarburants de deuxième et de troisième génération. Le second concerne la politique industrielle, force est de constater que ni les objectifs de la politique énergétique, ni les moyens d’action pour la piloter ne mentionnent la nécessité de mettre en œuvre une stratégie industrielle dans le domaine de l’énergie fondée sur la R&D, les innovations et les compétences. L’affaire Alstom (l’essentiel des compétences énergétiques de l’entreprise dans l’hydraulique et le nucléaire a été sauvegardé par l’action du gouvernement) a pourtant montré l’importance des enjeux industriels et la France qui a des atouts, notamment dans le nucléaire, doit les valoriser tout en prenant pied dans d’autres secteurs prometteurs. On ne doit pas oublier par ailleurs qu’une énergie à prix bas est un facteur de compétitivité pour l’industrie (ce que mentionne brièvement le projet de loi) comme le montre l’exemple actuel des Etats-Unis avec l’avantage que leur donne le gaz de schiste.

Le sociologue Max Weber écrivait dans Le savant et le politique : « La politique consiste en un effort tenace et énergique pour tarauder des planches en bois dur. Cet effort exige à la fois de la passion et du coup d’œil. Il est parfaitement exact de dire, et toute l’expérience historique le confirme, que l’on aurait jamais pu atteindre le possible si dans le monde on ne s’était pas toujours et sans cesse attaqué à l’impossible » (Weber, M., Le savant et le politique,Collection 10-18, Paris, Plon,1959, p.185). Son propos pourrait s’appliquer aux problèmes que pose la politique de l’énergie, en France comme dans d’autres pays. Réaliser une transition énergétique n’est pas une tâche impossible, mais celle-ci prendra du temps, elle suppose que l’on imagine des voies nouvelles pour les filières, pour les modes de gestion de l’énergie et les technique de financement ainsi qu’une stratégie européenne. Atteindre le possible suppose d’investir dans la recherche, notamment dans les sciences sociales pour comprendre l’évolution des sociétés, les motivations des citoyens, et un effort d’explication et de conviction. Cela requiert aussi de créer des filières industrielles. Tout cela s’apparente au « taraudage de planches en bois dur » qui impose au politique un long effort de concertation mais aussi de tenir un langage cohérent. Or, on ne peut pas afficher la volonté de promouvoir, à juste titre, les énergies renouvelables dans la production d’électricité, ce qui aura un coût, et en même temps annuler l’augmentation prévue du prix du kWh, comme l’a fait récemment la ministre chargée de l’énergie, ou dans un autre domaine, vouloir rationaliser les transports routiers tout en remplaçant une écotaxe par un mécanisme qui sera probablement moins efficace ; ces mesures sont contre-productives. Espérons que ce projet de loi n’est qu’une étape qui sera suivie par d’autres.


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