Reserves de pétrole et de gaz : certitudes et incertitudes

  Il existe toujours de fortes incertitudes sur les conditions d’exploitation d’un gisement pétrolier dont le contenu exploitable ne sera véritablement connu qu’en fin d’exploitation. Pour évaluer une réserve, les géologues procèdent à l’aide de méthodes probabilistes, ils ont l’habitude de qualifier de « prouvées » les réserves dont la probabilité que le pétrole, ou le gaz, soit extrait d’un gisement en exploitation de façon rentable avec les techniques disponibles s’élève à au moins 90%. Ils prennent aussi en compte des réserves qualifiées de « probables » qui concernent des gisements découverts qui ont une probabilité de plus de 50% d’être exploités, l’incertitude tenant à la géologie du gisement et aux conditions économiques pour mener à bien un projet pétrolier (Cf. Laherrère, J., « Les perspectives pétrolières et gazières », Futuribles, No 373, p. 5, avril 2011, www.futuribles.com ) et ils additionnent, parfois, ces deux catégories de réserves. Rappelons aussi que les découvertes de nouveaux gisements ont été rares ces dernières années, les plus importantes  ont été faites au Brésil et au Mozambique. Constatons enfin qu’en dépit de la crise économique rampante qui a touché les pays occidentaux depuis 2008, la consommation mondiale d’hydrocarbures ne s’est pas ralentie, portée par la croissance économique des pays émergents comme la Chine.

   Si l’on s’en tient aux réserves prouvées de pétrole, la majorité des experts converge sur le chiffre de 1500 milliards de barils (1500 Gbarils) soit 230 Gtep (la production mondiale s’établissait à 86 millions de barils/jour en 2012, Cf. le rapport BP Statistical review of World Energy 2013 www.bp.com/statiscalreview et AIE, World Energy Outlook 2013, www.iea.org ). Ces réserves correspondent à environ 50 ans de consommation à Image00032son rythme actuel  mais leur évaluation suscite des questions. Il faut d’abord remarquer qu’elle tient compte du pétrole brut, des gaz condensés en liquide dans le gisement ou à sa sortie ainsi que du pétrole extrait des sables bitumineux du Canada et du bassin de l’Orénoque au Venezuela (environ 350 Gbarils d’un pétrole difficile à exploiter) mais pas du pétrole de schiste. L’exploitation de ces pétroles « difficiles », nécessitant en particulier de l’eau pour séparer les hydrocarbures sera probablement coûteuse (elle est commencée au Canada) et se heurtera à des oppositions. Par ailleurs, ces chiffres sont contestés par des experts qui les estiment trop optimistes, on peut, en effet, les qualifier d’« officiels» car ce sont les compagnies et les Etats qui les communiquent. D’autres experts qui ont passé au peigne fin les évaluations techniques de chaque région de production aboutissent à des estimations plus pessimistes car, selon eux, les réserves ne dépasseraient pas 1000-1200 Gbarils. Ils soulignent, en effet, que les pays de l’OPEP ont volontairement gonflé les chiffres de leurs réserves (Cf. en particulier Laherrère, J., « Les perspectives pétrolières et gazières », Futuribles, No 373, p. 5, avril 2011, www.futuribles.com ) de près de 300 Gbarils dans les années 1990 afin d’augmenter leurs quotas de production.

Quant aux réserves prouvées de gaz naturel, toujours selon BP, elles s’élèveraient  à 180 000 milliards de m3 (soit environ 170 Gtep) et représenteraient environ 55 ans de consommation mondiale. Notons que ces estimations ne tiennent pas compte des ressources en gaz ou en pétrole de schiste (et en gaz de houille) qui sont, pour l’heure mal évaluées et elles aussi controversées, notamment en Europe. Tenant compte des perspectives de l’exploitation de gisements de gaz de schiste, l’AIE affiche depuis plusieurs années un fort optimisme au sujet de l’avenir du gaz et, sur la base de données essentiellement américaines il est vrai, elle évoque régulièrement la perspective d’un « âge d’or du gaz » estimant que les réserves totales de gaz non-conventionnel et conventionnel seraient équivalentes et, combinées, elles nous garantiraient au minimum un siècle de consommation. Toutefois, il y a lieu d’être prudent même s’il est indéniable que les Etats-Unis ont changé la donne énergétique en lançant l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste à un rythme très élevé (Cf. P.Papon « Le gaz de schiste : mythes et réalité », Futuribles No 399, p. 81, mars-avril 2014, www.futuribes.com).

Existerait-il des « trésors cachés » recelant des gisements importants d’hydrocarbures, en particulier dans les  zones polaires ? C’est la question que l’on pose souvent à la « lumière » de propos d’experts. L’Océan Arctique est une zone particulièrement convoitée car son dégel avancé par le réchauffement climatique (la couverture de glace de l’océan à la fin de l’été diminue régulièrement depuis trente ans) laisse entrevoir la possibilité d’y exploiter des gisements potentiels de pétrole et de gaz off-shore. L’USGS (United States Geological Survey) a estimé ainsi que le quart des réserves mondiales d’hydrocarbures conventionnels restant à découvrir se trouverait dans cette région du globe (80% en off-shore). On remarquera toutefois, que sauf probablement sur les marges des plateaux continentaux des pays riverains,  aucune exploration systématique n’a été réalisée. Qui plus est l’espace arctique est une zone où les revendications sur la délimitation des ZEE (Zones Economiques Exclusives) sont l’enjeu de fortes rivalités entre les cinq pays riverains (Cf. S.Debruyne, « Quelques enjeux liés au dégel de l’Arctique », Futuribles, no 400, p. 122, mai-juin 2014 www.futuribes.com).

 

L’Antarctique est une autre zone, plus lointaine, qui pourrait attirer les convoitises pétrolières. L’avenir du pôle Sud est rarement l’objet d’une prospective, mais une récente note de l’Ecole de guerre économique souligne que l’importance des enjeux énergétiques de l’Antarctique n’échappe pas à des grandes puissances comme la Chine qui y a inauguré, à 2600 m d’altitude, sa quatrième station scientifique, Taishan, en février 2014  (Cf. Ecole de guerre économique, Philippe Sambussy, Les enjeux énergétiques en Antarctique, février 2014, www.infoguerre.fr/matrices-strategiques/les-enjeux-energetiques-en-antarctique/). Cette note est basée sur un rapport de prospective d’un institut australien, le Lowy Institute for International Policy (Lowy Institute for International Policy, Ellie Fogarty, Antarctica : assessing and protecting Australia’s interests, August 2011). Rappelons que le traité de l’Antarctique, signé en 1959 en pleine guerre froide par une cinquantaine d’Etats, a provisoirement « gelé » les revendications territoriales sur la région jusqu’en 2048 qui est considérée comme une « zone de paix » où seules sont autorisées des activités de recherche scientifique. Plusieurs Etats revendiquent une souveraineté sur une partie de l’Antarctique (découpé en zones d’un cercle centré sur le Pôle sud notamment la France avec la Terre Adélie) et ce traité a été complété par la convention de Madrid qui protège l’environnement et un protocole additionnel qui interdit toute activité minière. La perspective d’exploiter les ressources du sous-sol de l’Antarctique et des mers avoisinantes, après 2048, suscite spéculations et convoitises. Le rapport australien estime que les « réserves » de pétrole (sur le continent et en off-shore dans les mers de Weddell et de Ross sur plateau continental des territoires revendiqués par l’Australie et la Nouvelle Zélande) pourraient s’y élever à 203 milliards de barils (la précision de ce chiffre est étonnante !). Elles représenteraient la troisième réserve mondiale de pétrole derrière celles de l’Arabie Saoudite et du Venezuela. Aucune évaluation sérieuse de ces ressources n’a été réellement effectuée mais un grand nombre de pays, l’Australie voisine mais aussi la Chine et la Russie, veulent prendre position pour l’avenir en y menant des opérations « scientifiques »

La Russie sur sa base de Vostok (située à l’intérieur sur le territoire revendiqué par l’Australie) a réussi un forage scientifique dans la glace à 3800 mètre de profondeur (pour atteindre un lac) qui lui donne un expérience des forages profonds dans la glace, elle a prévu de renforcer ses infrastructures avec des nouveaux navires et lance un programme pour investiguer les ressources minérales et biologiques du continent. Les manœuvres pour l’avenir de l’Antarctique à l’horizon 2048 ont commencé et l’ancien Premier ministre Michel Rocard, ambassadeur pour les pôles, soulignait en 2013 que « les besoins pétroliers menacent le traité». En effet,  il est possible que les progrès des techniques de forage et la baisse de leur coût permettent de rentabiliser l’exploitation du pétrole et de minerais. Tout le problème est de savoir si les Etats signataires du traité de l’Antarctique accepteront que ses ressource soient exploitées (feront-elles parties du patrimoine de l’humanité ?).

  Quoi qu’il en soit l’accès aux ressources en hydrocarbures des zones polaires, des régions froides, restera pendant longtemps très aléatoire et controversé (comment faire dans des zones éloignées en cas d’accident du style de celui survenu en 2010 sur de la plateforme Deepwater horizon dans le golfe du Mexique ?). Il en va sans doute de même des ressources que constituent les hydrates de méthane que nous avons évoquées dans notre blog (elles se trouvent sur les marges océaniques et le Japon qui est en manque d’énergie a réussi un « première » en 2013, en dégazant pendant 6 jours une couche d’hydrate en 2013 par 1000 m de fond). On peut également se poser des questions sur l’exploitation des sables bitumineux, voire du pétrole et du gaz de schiste (à moins de trouver une alternative à la fracturation hydraulique avec de l’eau ce qui n’est pas exclu). Le réalisme conduit à conclure qu’il n’y a très pas probablement de ressources d’hydrocarbures cachées exploitables d’ici 2050….   

 


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