Quelle politique énergétique pour le Japon?

 Le Japon publie périodiquement un « Plan énergétique » qui planifie dans une certaine mesure les grandes lignes de sa politique énergétique. Peu de temps avant la catastrophe nucléaire de Fukushima  provoquée, en mars 2011, par un tsunami dévastateur, le Japon qui produisait alors 30% de son électricité avec des réacteurs nucléaires avait décidé de porter à 50% cette part du nucléaire en 2030. La catastrophe a évidemment eu un impact majeur sur la stratégie énergétique du Japon car le pays a été contraint d’arrêter progressivement ses 48 réacteurs nucléaires (le dernier d’entre eux été arrêté en septembre 2013). Depuis lors, les débats sur l’avenir de la politique énergétique, et en particulier du nucléaire, n’ont pas cessé alors que les conséquences de la catastrophe sont encore très visibles dans la région de Fukushima où des « refugiés nucléaires » ne peuvent regagner leur domicile situé dans une zone interdite (nombre d’entre eux ont de plus perdu leur maison dans le tsunami). Les projets énergétiques ont dû être totalement révisés mais le Japon a d’abord dû parer au plus pressé en en remplaçant le nucléaire pour la production d’électricité par de l’énergie thermique produite avec du gaz, du fuel et du charbon (cf. P. Papon « « Le Japon à la recherche d’une stratégie énergétique », Futuribles, No 400 p. 119, mai-Juin 2014, www.futuribles.com). La production d’électricité a baissé de 10% entre 2010 et 2013 et une partie de la production par le nucléaire a été remplacée par celle de centrales thermiques alimentées par des combustibles fossiles (qui assurent 90 % de la production électrique aujourd’hui au lieu de 60 % avant Fukushima) qui sont importés : ainsi les importations de GNL pour faire face à la demande ont augmenté de 25%. Les experts japonais estiment que le surcoût de l’énergie depuis 2011 et les importations d’énergie sont largement responsables du déficit de la balance commerciale japonaise enregistré depuis  2011 (pour la première fois depuis trente et un ans). Une agence gouvernementale a estimé à 3800 milliards de yens le surcoût de l’énergie supporté par l’économie japonaise en 2013 (environ 25 milliards d’euros soit 0,6% du PIB ce qui n’est pas négligeable).

Le Premier ministre Shinzo Abe et son gouvernement ont tergiversé avant d’annoncer, début avril, un nouveau plan énergétique (le quatrième) post-Fukushima (cf. Japan Times, Reiji Yoshida, « Cabinet OKs new energy policy, kills no-nuclear goal »,11 avril 2014, www.japantimes.co.jp ). Confronté à une opposition au nucléaire d’une partie importante de la population (soutenue en particulier par des milieux bouddhistes), le gouvernement a temporisé avant de définir une nouvelle politique qui a été discuté, semble-t-il, au sein du parti gouvernemental le LDP; il a attendu, en particulier, que soit passé le cap politique important de l’élection du nouveau gouverneur de la préfecture de Tokyo (12 millions d’habitants), en février, où un « pro-nucléaire » a été finalement élu. Dans ce nouveau plan, le cabinet ouvre la porte au redémarrage du nucléaire avec prudence en utilisant une formulation alambiquée à la normande : « l’énergie nucléaire est une filière importante pour la charge de base de la production électrique ». Ce plan prévoit un redémarrage des réacteurs arrêtés mais avec des mesures de sûreté renforcées sous le contrôle de la nouvelle Agence de sûreté nucléaire et, à terme, une diminution de la dépendance nucléaire du Japon (D. Cyranoski, “Japan caught up in energy dilemma”, Nature, Vol. 507, p.17, 6 March 2014, www.nature.com). Il fixe un objectif général d’assurer au Japon, qui dépend fortement d’importations d’énergie, un approvisionnement énergétique stable. Le plan qui a été rendu public reste très qualitatif dans la mesure où il ne fixe pas d’objectifs chiffrés pour le mix énergétique, ceux-ci devraient être fixés dans un délai de deux ou trois ans notamment pour la part des énergies renouvelables que de nombreux experts estiment difficile de laisser dans un flou artistique (cf. IEEJ, e-Newsletter Discussions on the review of the energy policies No 35 Avril 2014, http://eneken.ieej.og.jp ).

L’Agence de sûreté nucléaire procède d’ores et déjà à une évaluation des conditions de sûreté de fonctionnement de plusieurs réacteurs nucléaires, en particulier celles des deux réacteurs de la centrale de Sendai (une ville au nord de Fukushima), construits non loin d’une faille sismique et la société qui l’exploite a relevé les normes de sécurité sismique qui lui sont appliquées.  Le gouvernement s’est engagé à développer les énergies renouvelables au cours des trois prochaines années. Ainsi la préfecture de Fukushima a-t-elle prévu la construction d’un parc énergétique important comportant des centrales solaires et éoliennes, des installations pour utiliser la biomasse et des plateformes off-shore avec des éoliennes (deux éoliennes flottantes de 7 MW chacune sont en cours d’installation), ce parc est sensé assurer l’autonomie énergétique de la région en 2040. Un nouvel institut de recherche sur l’énergie devait être inauguré dans la région pour appuyer ce plan régional. En parallèle, le plan pour le développement des énergies marines, adopté en avril 2013, devrait êtreenergie_des_mers_vague_2 finalisé. Sept préfectures ont proposé onze sites au total pour construire des prototypes d’installations de production d’électricité par une filière marine (éoliennes flottantes, hydroliennes, énergie des vagues, filière marémotrice, énergie thermique). Enfin, la compagnie japonaise JAPEX  (Japan Petroleum Exploration) a annoncé, début avril, qu’elle avait commencé  l’exploitation commerciale d’un gisement de pétrole de schiste par fracturation hydraulique, le gisement d’Ayukawa dans la préfecture d’Akita (située au nord-ouest du Japon) et qu’elle envisageait l’exploitation de gaz de schiste sur ce même gisement.

Le nouveau plan énergétique du Japon est en débat avant d’être présenté au Parlement  qui va sans doute l’amender. Il laisse beaucoup de questions dans l’ombre et il est difficile de  savoir qu’elle en sera la version finale, notamment pour le nucléaire dont le redémarrage se heurte à une forte opposition. Quoi qu’il en soit, le Japon dont le gouvernement Abe est soucieux de relancer l’économie et d’assurer la compétitivité de l’industrie pour qu’elle exporte est contraint de trouver une nouvelle dynamique pour sa stratégie énergétique. Le Japon possède d’incontestables atouts scientifiques et techniques pour certaines filières notamment le solaire (il est le premier déposant mondial de brevets dans ce domaine), la géothermie et les biocarburants produits à partir d’algues et l’on voit qu’il est prêt à faire feu de tout bois comme le montre le lancement de l’exploitation, même modeste, de pétrole de schiste (en 2013 les Japonais avaient réalisé une première en  extrayant du méthane d’un gisement sous-marin d’hydrate de méthane) et il n’hésitera pas à augmenter son effort de R&D dans tous ces domaines. On doit observer cependant que le Japon manque d’une tradition de débat public sur les grandes questions de société, celle de l’énergie par exemple. Sur un sujet aussi délicat que le nucléaire c’est un véritable handicap car l’opinion publique se méfie des « shoguns de l’ombre » (les grandes entreprises, les hauts fonctionnaires et les hommes politiques au pouvoir) qui prennent les décisions sans que les options soient vraiment débattues en public. L’ombre de la catastrophe de Fukushima, mal gérée par la compagnie Tepco et le gouvernement d’alors, va planer sur la politique énergétique dans la mesure où elle ne peut qu’inciter l’opinion à la méfiance.


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