Quels scénarios pour la transition énergétique ?

Un coup de projecteur sur les scénarios énergétiques mondiaux est utile. Dans son dernier rapport sur l’énergie, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) (IEA, World Energy Outlook 2013, www.iea.org) décrit l’évolution future de la scène énergétique mondiale à l’aide de plusieurs  scénarios. Son scénario  central, « Nouvelles politiques », qui intègre parmi ses hypothèses de base les inflexions récentes des politiques énergétiques qui, si elles vont ralentir la croissance de la demande, ne permettront pas de limiter à 2° C le réchauffement climatique (l’objectif retenu à Copenhague et en débat lors de la récente conférence sur le climat à Varsovie). Selon le scénario central de l’AIE, la demande mondiale d’énergie primaire augmenterait d’un tiers d’ici 2035 et atteindrait 17,3 Gtep. Un deuxième scénario plus volontariste, dit « 450 », qui limite à 450 ppm (parties par million en équivalent CO2) la concentration en gaz à effet de serre plafonne à 15 Gtep la demande mondiale d’énergie en 2035. Si toutes les filières sont promises à une forte croissance dans le scénario central, le rythme de celle du pétrole et du charbon serait nettement plus faible, alors que la croissance  de la demande de gaz naturel (48%), du nucléaire (66%) et des énergies renouvelables (77%) s’accéléreraient. La demande d’électricité, en très forte croissance (75%), serait satisfaite à près du tiers par les énergies renouvelables en 2035 dans le scénario central (le poids du charbon diminuant) et à  50% dans le scénario « 450 » (avec un poids important du nucléaire). Le Conseil Mondial de l’Energie propose, quant à lui, des scénarios plus contrastés pour l’horizon 2050,  baptisés « Jazz » et « Symphonie » (Conseil Mondial de l’Energie, Les scénarios mondiaux de l’énergie à l’horizon 2050, Paris, 2013, www.wec-france.org) : une augmentation de la demande d’énergie primaire dans une fourchette de 27% à 61% avec une part des énergies fossiles qui demeure largement prédominante dans les deux scénarios : 77% dans le moins volontariste, « Jazz ». La part des énergies renouvelables dans l’énergie primaire montant à 30% dans « Symphonie » (20% dans « Jazz »).

 

   Les scénarios jouent aussi leur rôle dans le débat sur la transition énergétique en France.  En proposant des scénarios énergétiques pour la France à l’horizon 2050, l’Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Energie (ANCRE), qui coordonne, en France, la stratégie de R&D en matière d’énergie des principaux organismes de recherche publics et des universités, apporte sa contribution à la préparation de la future loi sur l’énergie qui doit être votée par le parlement fin 2014 (ANCRE, Scénarios de l’Ancre pour la transition énergétique, 2013, www.allianceenergie.fr). Elle propose 3 scénarios qui permettraient de diviser par un facteur 4 au moins les émissions de gaz à effet de serre par la France à l’horizon 2050, décrivant à la fois des évolutions contrastées de la demande et du mix énergétique final. L’ANCRE fait  l’hypothèse dans ses trois scénarios que la part de l’électricité produite par le nucléaire passerait à 50 % en 2025 (75 % aujourd’hui). Le premier d’entre eux « Sobriété renforcée » (SOB) suppose que les Trail Through Corn Fieldcomportements individuels et collectifs permettront de diminuer de façon drastique la demande primaire et finale (-41% de baisse pour celle-ci), au prix d’un programme très important de rénovation thermique des bâtiments (650 000 logements par an au lieu de 125 000 aujourd’hui) et du développement des énergies renouvelables. Lors des débats sur la transition énergétique, rappelons-le,  l’hypothèse d’une diminution de moitié de la consommation d’énergie primaire  a été longuement évoquée (il sera difficile de l’inscrire dans la future loi). Le scénario « Décarbonisation par l’électricité » (ELE) mise sur un effort d’efficacité énergétique avec un important fort accroissement des usages de l’électricité notamment dans les transports (45% de mobilité électrique en 2050 ce qui est considérable). Enfin le troisième scénario, « Vecteurs diversifiés » (DIV), privilégie également l’efficacité  énergétique avec une utilisation importante de la biomasse (notamment des biocarburants) et  de la chaleur produite par cogénération. Dans les scénarios ELE et DIV la demande finale d’énergie chute de 27%. Dans les trois scénarios la part de l’électricité produite à partir des filières d’énergies renouvelables augmenterait fortement (elle serait dans une fourchette de 40 à 50% au lieu de 15% en 2013).  Une variante du scénario ELE relâchant la contrainte sur le nucléaire (sa part baisserait lentement pour atteindre 60% en 2050), permettrait une plus grande réduction des émissions de CO2.

L’ANCRE souligne que ses scénarios volontaristes représentent une rupture dans l’évolution de la demande d’énergie primaire par habitant qui, en 2050, retrouverait son niveau des années 1960 alors que cette demande stagne (ou chute légèrement) depuis le début de la crise. Ceci suppose une modification des comportements avec un rythme soutenu d’innovation et un effort de R&D pour faire sauter des verrous techniques (la capture et le stockage du CO2, le stockage de l’électricité notamment). L’ANCRE fait preuve d’une extrême prudence en évaluant Les implications des scénarios, elle estime à 1000 milliards d’euros le coût total des investissements nécessaires à la transition, mais si elle ne  chiffre pas en détail le prix des énergies (notamment celui l’électricité des filières renouvelables),  elle en « prévoit » toutefois sa forte hausse (un doublement pour l’électricité) mais avec un impact atténué sur les ménages du fait de la baisse des consommations. De même, l’ANCRE ne chiffre-t-elle que partiellement l’impact sur l’emploi des scénarios, il sera très probablement positif dans le secteur du BTP si le programme de rénovation thermique des bâtiments est lancé (300 000 emplois créés au total ?), mais il demeure très incertain dans celui des transports (il serait négatif avec le scénario « Sobriété »). Le scénario DIV qui mise sur l’exploitation de la biomasse suppose la mobilisation de 5 millions d’hectares agricoles pour sa réalisation ce qui est considérable et peut-être irréaliste.

Tous ces scénarios sont incontestablement utiles mais ils n’épuisent pas le débat qui doit naviguer entre le « possible », le « souhaitable » et « l’acceptable » (cf. l’intéressant article de B. David, M. de Lattre-Gasquet, S.Mathy, J-E. Moncomble, et J.Rozenberg, « Prospective énergétique : le possible, le souhaitable et l’acceptable », Futuribles, no 398, p. 37, Janvier-Février 2014, www.futuribles.com ). C’est précisément le travail de la prospective de révéler les obstacles, d’identifier les verrous à faire sauter pour que le souhaitable devienne possible afin que les stratégies énergétiques acceptables par les acteurs soient réalistes. Ce travail est loin d’être achevé en France comme ailleurs….


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