Le nucléaire a-t-il un avenir: so Watt?

    La catastrophe de Fukushima survenue au Japon, en mars 2011, à la suite d’un violent tsunami a marqué les esprits et conduit le Japon à mettre en veilleuse ses centrales nucléaires (sans prendre de décision pour l’avenir) tandis que plusieurs européens, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique et l’Italie, ont renoncé au nucléaire. La France, en revanche, poursuit sa politique nucléaire (mais a décidé d’abaisser à 50% sa part dans la production électrique) que le Royaume-Uni a décidé de relancer en 2013 tandis que la Chine, après une courte pause, poursuit son important programme de construction de réacteurs. Bon nombre de rapports de prospective sur l’avenir énergétique de la planète font l’hypothèse d’une progression de la production d’électricité d’origine nucléaire dans le monde à l’horizon 2035. Selon le scénario « nouvelles politiques » du World Energy Outlook 2013 de l’AIE (AIE, www.iea.org ), celle-ci progresserait de 75 % d’ici 2035, la puissance mondiale installée passant de 394 GW en 2012 à 578 GW en 2035 (avec 114 GW installés par la Chine). Quant au  dernier rapport BP il « prévoit » une croissance annuelle de 1,9 % de la production nucléaire d’ici 2035, assurée essentiellement par les pays en développement comme la Chine et l’Inde, sa part dans l’énergie primaire ne progressant pas (5%) (BP  Energy Outlook 2035  www.bp.com/content/dam/bp/pdf/Energy-economics/Energy-Outlook ).

    L’avenir du nucléaire dépend de façon critique de sa rentabilité économique et de sa sûreté. Dans un livre écrit avec une approche non partisane, Nucléaire On/Off, Analyse économique d’un pari (Dunod, 2013), François Lévêque, professeur d’économie à l’Ecole des mines ParisTech, procède à un examen complet du dossier du nucléaire en France et dans le monde. Il montre que le calcul du coût de production d’un MWh nucléaire nécessite de tenir compte de plusieurs données : le coût des investissements, le taux d’actualisation pour le capital, les coûts des investissements, du combustible (faible), du stockage des déchets et du démantèlement des réacteurs, l’incidence de mesures pour renforcer leur sûreté (après Fukushima) et enfin la responsabilité financière en cas d’accident (qui va payer les éventuels dégâts). La Cour des comptes avait chiffré à 40 € / MWh le coût de production du MWh nucléaire en France (hors coût du démantèlement, Cour des Comptes, Les coûts de la filière nucléaire, La Documentation française, 2012, www.ccomptes.fr ) mais, selon F.Lévêque, il n’y a pas un seul coût mais plusieurs coûts du nucléaire variable d’un pays à un autre, ce qu’illustre la polémique sur les coûts de construction des EPR à Flamanville (il sera d’environ 8,5 milliards d’euros), en Finlande et en Chine (où il semble que le devis initial sera tenu. Le nucléaire semble souffrir d’une « malédiction » des coûts croissants avec une escalade des prix du kW construit, les centrales les plus récentes coûtant plus chères que les premières, leur niveau de sûreté étant plus élevé et les centrales ne bénéficiant pas suffisamment d’effet de série pour amortir les coûts sur de nombreux réacteurs. En France, EDF a augmenté par paliers les puissances des réacteurs sur des petites séries, le coût de construction des derniers réacteurs couplés au réseau par EDF au début des années 2000, ceux de Chooz et Civaux, sont estimés à 1450 €/ kW (la Chine qui construit de nombreux réacteurs pourrait enWind Turbines bénéficier). La compétitivité du nucléaire à long terme ne s’améliorera certes sans doute pas, mais le coût du kWh produit par les filières renouvelables (éolien et solaire), elles sont intermittentes, est également entaché d’incertitude et varie beaucoup d’un pays à l’autre. En fin de compte, le coût de l’électricité va dépendre de plusieurs paramètres, le prix du CO2 (avec des quotas d’émission) est une inconnue majeure car s’il augmentait substantiellement il pénaliserait fortement les centrales à gaz et au charbon aujourd’hui les plus compétitives pour la production d’électricité.

 « Calculer » le risque d’un accident nucléaire majeur n’est pas un exercice facile, il impose une évaluation probabiliste du risque d’accident en examinant avec précision un « arbre » d’événements qui peuvent y conduire, l’accident majeur étant la fusion du cœur d’un réacteur (une fréquence de cinq accidents pour 100 000 années de fonctionnement d’un réacteur selon certaines estimations), avec éventuellement des émanations radioactives dans l’environnement, comme à Tchernobyl et à Fukushima pouvant avoir une incidence sanitaire grave. Selon F. Lévêque, les études de probabilité de sûreté ont beaucoup progressé, elles permettent de détecter des maillons faibles dans un type de réacteur, un travail qui exige d’imaginer de multiples scénarios (celui d’un violent tsunami avec une destruction totale de l’alimentation électrique n’avait pas été pris en compte à Fukushima). Il souligne aussi que le public a souvent une perception biaisée des probabilités et donc des risques d’accidents, la probabilité perçue étant supérieure à la probabilité calculée, sans doute pour des raisons psychologiques. D’où une question redoutable : le décideur politique sur une question comme le nucléaire doit-il prendre sa décision en fonction de la probabilité calculée par les experts (F.Lévêque penche pour cette solution) ou sur celle perçue par le public ? La sûreté nucléaire exige une totale indépendance de l’Autorité nationale de sûreté. Fukushima a mis en évidence la faillite, de l’Autorité de sûreté du japon qui n’avait aucune indépendance par rapport à l’Administration et aux industriels (les manquements à ses recommandations n’étaient pas sanctionnés). En France, l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) et aux Etats-Unis la NRC (Nuclear Regulatory Commission) jouissent d’une véritable indépendance et si les approches françaises et américaines de la sûreté sont différentes, elles peuvent être considérées, selon F. Lévêque, comme efficaces. Liée à la sûreté nucléaire, reste la question de la responsabilité civile en cas d’accident grave  à laquelle on n’a pas encore apporté de réponse (en France la responsabilité d’EDF est plafonnée).

Est-il possible d’envisager d’autres générations de réacteurs pour améliorer la compétitivité du nucléaire ? La réponse à cette question n’est pas évidente. Les réacteurs de troisième génération, les EPR en cours de construction, doivent améliorer la sûreté et leur gain de puissance et leur meilleur rendement (des réacteurs de 1600 MW fonctionnant à plus haute température avec un meilleur taux d’utilisation du combustible) devraient être un facteur de compétitivité mais il la première série produira, très probablemnt, un kWh à un coût plus élevé (70 €/ MWh ?). Une autre solution consisterait à construire des réacteurs de puissance moyenne (dans une gamme 200-1000 MW) moins coûteux en capital, elle est envisagée par Babcok&Wilcox, un constructeurs américain, qui travaille sur un modèle de réacteur de 180 MW de puissance (Kevin Bullis, « Can small reactors ignite a nuclear renaissance ? » MIT Technology Review , March 28 2013,  www.technologyreview.com). Ces solutions, intéressantes pour des pays en développement, ne tiendront la route que si leur rentabilité économique est prouvée avec des  conditions de sécurité draconiennes (les pays en développement n’ayant pour la plupart aucune « culture » de sûreté).

La fusion thermonucléaire que nous avons évoquée à plusieurs reprises est une deuxième voie pour le nucléaire. Pour l’heure le pari est engagé avec le tokamak international Iter (un confinement du plasma par des champs magnétiques très élevés), en cours de construction à Cadarache, qui poursuit son bonhomme de chemin (un coût total estimé aujourd’hui à 16 milliards d’euros) mais dont on n’attend pas de résultats avant 2027 (une puissance thermique totale délivrée de 500 MW thermique). La gestion du projet est difficile car il va falloir assembler les différents composants d’un réacteur fabriqués aux quatre coins de la planète. Il existe deux alternatives aux tokamaks. La première est celle du confinement inertiel où le déclenchement de la fusion est provoqué par des lasers. Si l’on a pu obtenir la fusion, on n’est pas parvenu à l’entretenir pour produire l’ignition (une fusion auto-entretenue). La seconde voie consisterait à déclencher la fusion par des décharges électriques puissantes dans un plasma qui induisent un champ magnétique très intense comprimant le plasma porté à très haute température par des lasers. La machine Z (au laboratoire  Sandia aux USA) a ainsi pu produire un très grand nombre de neutrons de fusion l’an dernier (W.W. Gibbs, « Triple-threat method sparks hope for fusion », Nature, vol.505, p.9, 2 January 2014, www.nature.com ). Quelle que soit la technique, la fusion reste encore très lointaine sur un chemin plein d’aléas.

L’électricité du futur sera sans doute un mixte : des filières renouvelable intermittentes, ne pouvant pas faire face aux pointes de consommation, une base constituée par des centrales à gaz, nucléaires et hydrauliques. Observons pour conclure que si l’énergie nucléaire s’est installée durablement sur la planète, en permettant une relative indépendance énergétique, elle constitue un pari économique risqué car le coût du kWh électrique reste entaché d’incertitudes  L’émergence d’un club nucléaire (des Etats qui veulent développer la filière électronucléaire) impose une  gouvernance internationale de la sûreté qui est loin d’exister. C’est un débat que l’on ne peut pas esquiver.

 


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