Des matériaux et de la chimie pour la transition énergétique

La chimie, science souvent mal aimée en France, joue un rôle clé dans la plupart des secteurs de l’énergie. A l’occasion de l’année internationale de la chimie, en 2011, les chimistes ont mis en évidence les thématiques qui vont structurer la recherche chimique dans les dix prochaines années et qui ont toutes leur importance pour l’énergie. Dans le domaine très vaste de la transition énergétique, la chimie travaille sur cinq fronts : – la relation entre les propriétés (par exemple la conductivité électrique) et les structures des matériaux (une électrode de batterie notamment) – la synthèse de matériaux  permettant de trouver des propriétés nouvelles ou d’améliorer les performances de matériaux (c’est le cas notamment pour les cellules solaires) – la cinétique de réactions via la catalyse (produire de l’hydrogène par exemple) – l’alliance avec la biologie pour réaliser des synthèses de génomes (la production de biocarburants) – des nouvelles réactions consommant moins d’énergie ou pour extraire des matériaux (le recyclage de terres rares ou le cycle du plutonium pour le nucléaire).energie_logo_h2

Si on se limite aux énergies renouvelables et au stockage de l’énergie, la littérature scientifique récente illustre bien les potentialités de la chimie. S’agissant du solaire photovoltaïque, la préoccupation est d’abaisser les coûts des cellules et de trouver des matériaux nouveaux avec des bons rendements (la plupart des cellules au silicium on des rendements supérieurs à 15%). La chimie du solide propose une solution nouvelle avec un matériau semi-conducteur de la famille des pérovskites (en général ce sont des oxydes métalliques) un organométallique composé d’un halogène (le chlore, l’iode ou le brome) et d’un métal comme le plomb ou l’étain déposé en phase vapeur sur un support (M.Liu et al. « Efficient planar heterojunction perovskite solar cells by vapor deposition », Nature, vol. 501, p. 395, 19 September 2013, www.nature.com). Le rendement de ces cellules est de 15% avec un voltage supérieur à celui du silicium. C’est une nouvelle filière qui est testée qui a l’avantage d’être facile à utiliser éventuellement en tandem avec le silicium car elle n’absorbe pas les mêmes photons. Les plastiques semi-conducteurs ( le trans-polyacétylène par exemple) sont une autre filière de cellules sur laquelle travaillent les chimistes, leurs rendements pour l’heure ne dépassent pas 10% mais leur coût est moins élevé que celui du silicium. L’objectif est d’augmenter la mobilité des électrons dans ces matériaux pour élever le rendement (il faut éviter la présence de microcristaux ou d’agrégats dans le matériau avec des polymères à longue chaîne), des polythiophènes (contenant du soufre) à longue chaîne rigide ouvrent peut-être des perspectives intéressantes (R.A.Street, « Unraveling charge transport in conjugated polymers », Science, vol. 341, p. 1072, 6 September 2013, www.sciencemag.org ). Les diodes émettrices de lumière (LED), constituées de semi-conducteurs électroluminescents, sont très intéressantes du point de vue énergétique (leur rendement lumineux est très élevé), et là encore les matériaux plastiques offrent des perspectives intéressantes, ainsi des couches superposées de plastiques semi-conducteurs permettraient-elles de réaliser des diodes  émettant de la lumière blanche ce qui serait un avantage considérable (C.Groves, « Bright design », Nature Materials, vol. 12, p. 597, July 2013, www.nature.com/naturematerials).

La structure des matériaux (électrodes et électrolyte) joue un rôle tout aussi essentiel dans les batteries et les piles à combustible. C’est le cas pour les batteries lithium-ion qui ont fait une percée (notamment pour les véhicules électriques, voire pour le stockage en « masse » pour des installations adaptées à des sources intermittentes). La chimie des matériaux, là encore, doit permettre d’améliorer les performances des batteries électrochimiques, en particulier leur densité énergétique et leur capacité à subir de très nombreux cycles de charge et de décharge. Une possibilité sur laquelle travaillent les chimistes est de mettre au  point des nouvelles structures d’oxydes en couches dans lesquelles vont s’insérer les ions de lithium, une nouvelle génération d’oxydes de lithium et de manganèse, de cobalt et de nickel (ou un oxyde de lithium de ruthénium et d’étain) offre ainsi une perspective intéressante (M. Shatiya, « Reversible anionic redox chemistry in high capacity layered-oxide electrodes », Nature Materials, vol. 12, p. 827, September 2013, www.nature.com/naturematerials ). Le problème se pose en termes voisins pour d’autre types de batteries dont les performances pourraient être supérieurs à celles des batteries lithium-ion : des systèmes oxygène-métal (l’oxygène forme un oxyde pendant la décharge qui est décomposé lors de la charge) tels que les couples lithium-air, zinc-air, ou un super-oxyde de sodium ; le couple  lithium-soufre est également un bon candidat pour des grandes installations de stockage de l’électricité (une densité d’énergie cinq fois plus élevée que les batteries lithium-ion actuelles). La chimie du carbone n’a probablement pas dit son dernier mot dans le domaine des batteries (les anodes de plusieurs systèmes de batteries sont en graphite) voire des cellules solaires. Le graphène constitué de couches de carbone monoatomiques est ainsi un matériau poreux très léger et excellent conducteur qui pourrait être utilisé pour réaliser des électrodes de batteries lithium/air ; on peut de même envisager réaliser une électrode avec du fullerène, une cage de soixante atomes de carbone  qui constitue en quelque sorte une ancre à laquelle va s’attacher un ion lithium. Des couches superposées de graphène et de composés de métaux de transition comme le molybdène sont des candidats possibles comme constituants de cellules solaires mais jusqu’à présent les rendements obtenus sont faibles.

La vitesse des réactions chimiques est souvent un point clé dans le fonctionnement de systèmes énergétiques. C’est le cas en particulier pour les piles à combustible à hydrogène des moteurs électriques qui fonctionnent à température ambiante et qui utilisent le platine comme catalyseur (il accélère l’oxydation de l’hydrogène à l’anode) et la chimie doit trouver une alternative aux métaux platinoïdes qui sont très coûteux, des pistes organiques peuvent s’avérer intéressantes (par exemple des phtalocyanines de cobalt ou de fer). Il reste bien sûr le problème de la production de l’hydrogène (soit pas électrolyse de l’eau ou par voie thermochimique à partir du gaz naturel). Une alternative au gaz naturel est le méthanol, l’alcool le plus simple, qui permet de produire de l’hydrogène à l’aide d’un catalyseur qui est un composé organique du ruthénium. La voie photochimique, utilisant l’électricité photovoltaïque pour décomposer la vapeur d’eau (ce que savent faire les plantes) est une possibilité, là encore il faut un bon catalyseur (le molybdène et l’étain sont une possibilité ainsi que des composés organiques). Une équipe suisse de l’EPFL à Lausanne a montré que l’on pouvait obtenir de très bons rendements avec des photoélectrodes constituées de nanoparticules d’oxyde fer.  Une alternative consisterait à utiliser la chaleur solaire, dans un four par exemple, un laboratoire américain a ainsi mis au point récemment un nouveau catalyseur constitué par un oxyde de manganèse pour décomposer la vapeur d’eau et fonctionnant dans un cycle à 1000-1400° C (C L. Muhich  and al, « Efficient generation of H2 by splitting water with an isothermal cycle”, Science, vol.341, p. 540, 2 August 2013 www.sciencemag.org ).

La chimie intervient dans d’autres secteurs de l’énergétique. Une alliance avec la biologie, notamment la « biologie » synthétique, ouvre des perspectives intéressantes pour la fabrication de biocarburants soit à partir de la biomasse (la cellulose par exemple) soit en utilisant  des microorganismes génétiquement modifiés. De même le recyclage incontournable de métaux (effectif pour le platine)  et notamment des terres rares (le dysprosium constituant les aimants de turbines d’éoliennes et de moteurs électriques de voitures hybrides est  crucial). Enfin dans notre avant-dernier blog nous signalions la « rupture » possible (nous étions prudents !) que constituait la mise au point d’un nouveau catalyseur à base de titane permettant de faire réagir l’hydrogène avec l’azote à température ambiante, une étape possible vers une synthèse de l’ammoniac consommant beaucoup moins d’énergie (aujourd’hui de 1% à 2% de la consommation mondiale d’énergie). La chimie, souvent un parent pauvre des stratégies de recherche énergétique, est un point de passage obligé pour les voies de la transition énergétique.


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