Les innovations pour la transition énergétique : time and money

 

Le gouvernement français en décidant une relance de la politique industrielle a labellisé trente-quatre projets industriels dont six au moins ont une dimension énergétique (notamment une voiture à 2 litres/100km, des batteries avec une grande autonomie, des bornes de recharge pour batterie, les biocarburants, les réseaux électriques intelligents, etc.). Cette démarche est incontestablement positive même si elle se démarque du colbertisme d’antan qui à travers des grands programmes technologiques avait permis l’émergence des filières nucléaires et aérospatiale  (mais conduit à l’échec du Plan calcul), les projets seront en effet pilotés par les entreprises.

jamais_contente   La plupart des systèmes énergétiques du futur, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables, feront appel, bien plus que par le passé, à une très grande variété de techniques et donc à des compétences les plus diverses (en physique, en chimie, en informatique  et en biologie), aussi les grands programmes à la française ne sont-ils probablement plus adaptés au techniques énergétiques (le problème se pose encore toutefois pour le nucléaire). Mais le succès du nouveau plan industriel français reposera sur la possibilité de mettre au point des innovations qui ne sont pas encore toutes parvenues à maturité (c’est probablement le cas pour tous les dispositifs de stockage de l’électricité, les batteries en particulier), un très important effort de R&D à long terme, celui-ci  requiert des investissements, s’impose donc mais le plan gouvernemental n’en souffle mot (la photo de la voiture électrique « La jamais contente » qui en  1900 a atteint les 100km/heure illustre bien la lenteur des progrès techniques dans ce domaine) . L’émergence de ces innovations prendra du temps ; le temps est une donnée fondamentale qui est rarement prise en compte d’ailleurs dans les débats sur la transition énergétique.

   Quelques publications scientifiques de ces derniers mois qui n’ont pas trouvé d’échos dans la presse illustrent bien ce constat. Les matériaux sont une question centrale pour tous les systèmes énergétiques, nous l’avons souligné à de multiples reprises (il en va de même dans beaucoup de domaines), c’est un constat que font en particulier les Etats-Unis qui ont lancé en 2013 la « United-States Materials Genome Initiative » (cf. Nature Materials, vol. 12, March 2013, p. 173, www.nature.com/naturematerials,  « Fuelling discovery by sharing »). Il ne s’agit pas de transposer les techniques de la génétique aux matériaux mais bien davantage d’imaginer systématiquement les bonnes combinaisons de structures (nano ou non) et les compositions stoechiométriques qui vont conférer des propriétés intéressantes  à des matériaux (par exemple pour la conductivité électrique des électrodes ou de l’électrolyte de batteries), de la même façon que le séquençage d’un génome permet de repérer les propriétés de gènes et de leurs combinaisons pour les modifier. Ce travail suppose la collaboration de chercheurs aux compétences complémentaires et aussi un travail de modélisation des matériaux qui permet de tester des structures nouvelles. On constate ainsi que si les premières batteries lithium-ion qui commencent à être utilisées dans les automobiles ont été mises au point en laboratoire à la fin des années 1980, elles demandent encore de nombreux perfectionnements, notamment de leurs électrodes. Une publication récente de deux laboratoires allemands (dans ce même numéro de Nature Materials, vol. 12, March 2013, p. 228, « P.Hartmann and al. “A recharcheable room-temperature sodium superoxide (NaO2) battery”, www.nature.com/naturematerials) fait état de la mise au point d’une nouvelle batterie métal-air utilisant le sodium (au lieu du lithium) avec une grande intensité énergique et fonctionnant à température ambiante (elle utilise une électrode utilisant de l’air piégé dans du graphite). Il est trop tôt pour savoir si ce dispositif est une réelle percée qui ouvre une nouvelle voie  mais ce travail montre que les options pour les batteries restent largement ouvertes.

    Nous donnerons un troisième exemple dans un domaine totalement différent et fort ancien qui est celui de la synthèse de l’ammoniac. Comme on le sait cette synthèse est réalisée depuis un siècle par le procédé Haber-Bosch avec un catalyseur (un composé du fer) à haute température (350-550 °C) et à très haute pression (150-350 atmosphère), il permet de rompre les liaisons de l’azote et de le faire réagir avec l’hydrogène ce qui est très énergivore. Il est vital pour la production d’engrais pour l’agriculture (une production de 100 millions de tonnes d’ammoniac par an environ) mais il consomme beaucoup d’énergie : aujourd’hui 1% de l’énergie mondiale. Petite parenthèse historique : le savant allemand qui l’a inventé  au début du siècle dernier, F. Haber (prix Nobel de chimie en 1918), est parfois considéré comme un bienfaiteur de l’humanité pour cette découverte, mais il a aussi mis aussi au point pendant la guerre de 1914 les premières armes chimique, la « fameuse » ypérite ou gaz moutarde ainsi que le phosgène, qui font l’actualité aujourd’hui…ce qui n’a pas empêché les nazis de le chasser de son institut vingt ans plus tard car il était juif….. Or dans une publication récente deux équipes japonaises et une équipe chinoise (T.Shima et al, « Dinitrogen cleavage and hydrogenation by a trinuclear titanium polyhydrid complex », Science, vol 340, p.1549, 28 June 2013, www.sciencemag.org) ont montré que cette réaction de synthèse de l’ammoniac était possible à température ambiante et pression ordinaire avec un catalyseur composé de trois atomes de titane (un trihydrure). Si ce procédé était transposé à l’échelle industrielle avec un bon rendement il permettrait à la planète de réaliser une importante économie d’énergie. Affaire à suivre et dont l’impact industriel est peut être important. Là encore on constate que les techniques les plus « traditionnelles » peuvent être révolutionnées par la science.

Lancer une stratégie industrielle pour l’énergie est une mesure de bons sens (encore faudrait-il  qu’elle s’articule avec les pôles de compétitivité) mais si l’on veut préparer l’avenir il ne suffit de proclamer la mobilisation pour l’innovation, il faut aussi, en effet, investir dans la recherche (money) et laisser le temps au temps (time). Cela veut dire qu’il faut définir une stratégie qui permet de prendre des paris scientifiques et techniques. Le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur a confié, en 2013, à l’ANCRE (Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Energie, www.allianceenergie.fr ) la tâche de préparer cette stratégie. Celle-ci a réalisé  un très intéressant document qu’elle a rendu public en juillet (une contribution en quelque sorte au débat sur la transition énergétique dont la synthèse finale, on doit le regretter, ne donne qu’un petit coup de chapeau à la R&D). A côté d’une revue des grandes thématiques de la recherche, l’ANCRE souligne aussi la nécessité de miser sur des recherches à long terme qui sont les seules à pouvoir conduire à des ruptures comme le montrent les travaux récents que nous avons cités (nous reviendrons sur ce document important). L’avenir est encore largement ouvert.

 


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