Recherche sur l’énergie : enjeux et priorités

einstein.jpegLes grandes thématiques de l’énergie (économies d’énergie, énergies renouvelables, nucléaire, etc.) appellent presque toutes des progrès scientifiques et techniques. Qui plus est, certaines filières ne peuvent être mises en oeuvre qu’au prix de ruptures qui peuvent changer la donne énergétique à long terme comme ce fut le cas à plusieurs reprises au cours de l’Histoire (avec l’avènement du pétrole ou du nucléaire par exemple). Comment peut-on orienter la recherche pour faire sauter des verrous et prendre des paris pour l’avenir ? Il est important de tenter de répondre à cette question alors que s’engage un débat sur la transition énergétique qui, jusqu’à présent, n’a accodé que peu de place aux questions de science et de technologie!

Stimuler et orienter la recherche-développement (R&D) a toujours été une opération difficile dans le domaine de l’énergie comme dans d’autres. On risque le plus souvent de s’en tenir soit à des objectifs qui extrapolent la situation actuelle soit à des orientations générales sans grande portée. Force est de constater aussi que les politiques nationales de R&D (il en va de même pour la politique européenne) se contentent toutes d’afficher des priorités identiques au premier rang desquelles figurent les nanotechnologies et les biotechnologies dont l’intérêt pour l’énergie n’est évidemment pas négligeable. Nombre de rapports sur la recherche en énergie déclinent des grandes thématiques sectorielles sans surprises, il en va ainsi du rapport sur les « Grands défis de la transition énergétique », publié fin 201 par l’Alliance ANCRE regroupant les principaux organismes de recherche français sur l’énergie (www.allianceenergie.fr ) ainsi que du récent rapport de l’Académie des sciences, La recherche sceintifique face aux défis de l’énergie (EDP sciences, Paris, 2013, www.academie-sciences.fr ). On trouve dans ces rapports un balayage des cinq ou six principaux secteurs (les énergies extraites de la biomasse, les énergies fossiles et géothermiques, les énergies nucléaires, le solaire, etc.), cela est certes utile mais manque souvent de vision prospective (c’est particulièrement le cas pour le rapport de l’ANCRE).
On peut tenter une autre approche en trois temps (comme la valse !). Le premier consiste à identifier les thématiques où des avancées sont indispensables sans pour autant viser des « ruptures ». Sans faire un inventaire à la Prevert on trouve ainsi la question de l’amélioration des rendements des moteurs thermiques (rarement citée) – ce qui suppose la mise au point de matériaux résistants à des hautes températures ou de nouvelles architectures – et la production des biocarburants de deuxième génération (de l’éthanol notamment) à partir de la biomasse et de troisième génération (à partir d’algues) en perfectionnant les procédés biologiques ou thermochimiques. S’agissant des énergies renouvelables si l’éolien terrestre peut être considéré comme « mature », il est nécessaire d’extrapoler la puissance des turbines actuelles dans la gamme des 10-20 MW en mettant au point des composants robustes et allégés mais aussi d’assurer les bonnes conditions de fonctionnement des éoliennes off-shore et des hydroliennes qui sont encore au stade du développement. Quant au solaire l’amélioration des performances des cellules actuelles au silicium ou avec d’autres matériaux semi-conducteurs (tellurure de cadmium ou nitrures) est une priorité. Le solaire à concentration (ou thermodynamique) n’a pas besoin de ruptures mais d’améliorations des miroirs et des dispositifs de stockage de la chaleur.

Un deuxième temps consisterait à identifier les « verrous » scientifiques et techniques qu’il faudrait faire sauter au prix d’un effort de longue haleine. Pour schématiser on peut en citer cinq. Quatre d’entre eux concernent l’électricité : – son stockage avec les batteries et les piles à combustible qui est un point clé – le nucléaire dit de quatrième génération (mettant en oeuvre des réacteurs surgénérateurs au plutonium et un liquide caloporteur tel que le sodium fondu (ou un alliage métallique ou un gaz) fonctionnant dans des bonnes conditions de sûreté – un nouveau solaire avec des matériaux nouveaux offrant un bon rendement (par exemple des matériaux organiques semi-conducteurs) – les réseaux dits « intelligents » (smart grids en anglais) capables d’assurer le transport et la distribution d’électricité produite à la fois par des grandes centrales fonctionnant en quasi-permanence et des installations intermittentes comme des centrales solaires ou des fermes éoliennes (cela suppose la mise au point de lignes adaptées, de capteurs, de compteurs, etc.). Le cinquième verrou bloque l’exploitation de certains hydrocarbures ou la séparation du CO2 (et son stockage), émis par des centrales thermiques faute de moyens physico-chimiques économiques. Il s’agit de trouver des procédés de forages nouveaux tant pour l’exploitation de pétrole et de gaz très profond (en off-shore notamment) ou de roches-mères (le pétrole et le gaz de schiste par exemple), évitant d’utiliser des moyens polluants (de l’eau sous haute pression avec des additifs chimiques notamment pour le gaz de schiste). A plus long terme, l’exploitation des hydrates de méthane (du méthane piégé dans une matrice de glace) nécessitera la mise au point de techniques de forage et de pompage spécifiques et sûres. On peut espérer avoir des réponses sur un certain nombre de ces questions vers 2030.

Le troisième temps, où la prospective est aussi nécessaire, consiste à identifier les questions clés qui faute de connaissances scientifiques et techniques  appropriées bloquent d’éventuelles ruptures. Ce sont les chantiers sur le front de la science ou de la technique qui permettront des avancées pour faire sauter des verrous. Pour schématiser nous raisonnerons par « paquets ». Un premier paquet est constitué par les questions de matériaux (les nanomatériaux comme le graphène ou des nanotubes mais aussi les substituts aux terres rares), de surface, d’interface et de catalyse. Mieux comprendre, par exemple, ce qui se passe à la surface et à l’interface de films ou de cristaux (des nanocristaux notamment) dans une cellule photovoltaïque ou à l’interface d’une électrode de batterie (ou de pile à combustible) avec un électrolyte est un point clé. De même l’utilisation de phénomènes d’amplification de l’absorption la lumière à la surface d’une cellule (par ce que l’on appelle des plasmons ou des effets non linéaires) permettrait peut-être d’en concevoir des nouvelles. La catalyse qui est aussi souvent un phénomène de surface – que l’on retrouve dans la synthèse de biocarburants et dans les piles à combustible- est une autre question clé. Un autre paquet est constitué à lui seul par la biologie synthétique et la génétique. Pour faire simple il s’agit de pousser les feux sur les techniques de la biologie synthétique afin de réaliser des synthèses de génomes de bactéries, de levures, voire de microalgues, à partir de nucléotides, en les reprogrammant pour qu’elles produisent des enzymes dégradant la cellulose voire directement des carburants. C’est une voie difficile mais un vrai pari scientifique. Le troisième « paquet » englobe la physique et la chimie nucléaires, il s’agit de travailler sur le cycle de combustible pour la génération IV du nucléaire, le plutonium mais aussi le thorium qui est une alternative au plutonium, et aussi sur les techniques pour se débarrasser des déchets à vie longue (l’utilisation d’accélérateurs est une voie possible). Notre dernier paquet, le quatrième, concerne l’approche « système » de l’énergétique, il s’agit de toutes les techniques de l’informatique, de l’automatique et de la cybernétique essentielles pour le contrôle des réseaux et l’intégration des centrales de production intermittentes sans oublier la cybersécurité (on lira à ce sujet le rapport du NIST (Strategic R&D opportunities for 21 st century, Cyber- physical systems, coonnecting computer end information systems with the physical world, www.nist.gov/el/isd ). Une vision très prospective de l’énergie (l’horizon 2050) conduit à être vigilant sur les possibles ruptures dans le champ de la physique des particules et plus généralement des concepts d’énergie et de matière et qui pourraient déboucher sur un nouveau nucléaire. Il en va de même pour la fusion thermonucléaire dont la percée demeure encore très hypothétique mais qui mérite d’être suivie avec attention (en particulier le projet Iter et les perspectives des techniques laser). Enfin, last but not least, la transition énergétique suppose une changement des systémes de production et des modes de vie et donc une meilleure connaissance des comportements sociaux, des modes de vie et des conditions de travail. la recherche en sciences sociales et humaines est un moyen priviliégié pour y parvenir.

Les chantiers de recherche sont très vastes, et leur exploration va demander du temps bien davantage qu’on ne le dit d’ailleurs. Que faire en pratique? Une politique scientifique suppose d’abord une réflexion prospective souvent à peine esquissée, en France notamment. pour fixer des priorités. S’il faut en effet « ratisser large » pour ouvrir la voie à des futures ruptures (les « paquets » de notre troisième temps) les moyens d’un pays comme la France sont forcément limités et des effets de concentration sur des thématiques sont nécessaires notamment pour faire sauter les verrous que nous avons identifiés. Le système institutionnel français en matière d’énergie est vaste : – les ministères chargés de la recherche, de l’énergie et de l’industrie et l’ANR (Agence nationale de la recherche) – des organismes de recherche dont le CEA (rebaptisé Commissariat aux énergies alternatives) et l’Institut Français du Pétrole (qui s’est adjoint les énergies nouvelles) – l’ADEME qui pilote notamment les projets pour les économies d’énergie – le Commissariat aux investissements qui finance des grands projets – l’ANCRE la fédération des organismes de recherche travaillant sur l’énergie –et bien sûr le tissu des entreprises. Il n’est pas certain que cette organisation complexe permette de réaliser les indispensables synergies entre les acteurs et surtout de soutenir efficacement les bons paris scientifiques sur la base d’idées qui sont souvent proposées par des laboratoires académiques. Autrement dit, il manque en France l’équivalent d’une agence du type de l’ARPA-E (Advanved Research Projects Agency for Energy), une agence fédérale, qui a été créée aux Etats-Unis il y a sept ans et qui finance des projets à risque. La création de nouvelles agences ou organismes n’est pas dans l’air du temps et la solution la plus opérationnelle consisterait à faire jouer à l’ADEME ce rôle d’agence de projets ("neutre" par rapport aux conlits de compétence institutionnels) avec un rôle de catalyseur en renforçant sa capacité de prospective. Le même problème se pose au niveau européen où il existe bien un plan stratégique pour la politique énergétique, le SET plan, et une European Energy Research Alliance qui regroupe quinze acteurs de la recherche mais la tendance européenne à créer de vastes consortiums de recherche dilue les responsabilités et ne permet pas de concentrer efficacement des moyens afin de mobiliser un potentiel de recherche pour réaliser une percée. Là aussi la création d’une agence de projets serait nécessaire si l’on veut que l’UE réponde aux défis de la transition énergétique.

Le débat sur la transition énergétique qui a été lancé il ya quelques mois en France n’a pour l’heure pas abordé ces quetions de science et de technologie, il est souhaitable qu’il le fasse car c’est en invetissant dans les chantiers de la recherche que l’on prépare l’avenir.


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