Le gaz naturel: une énergie d’avenir mais avec des incertitudes

Image00030.pngLe gaz naturel est un vecteur énergétique dont la contribution à l’énergie primaire mondiale a connu une croissance continue depuis plusieurs décennies, parmi les énergies fossiles elle est celle dont l’utilisation a le plus faible impact climatique. La donne a changé depuis peu car les Etats-Unis ont bousculé les prévisions mondiales sur l’avenir du gaz en développant massivement l’exploitation du gaz de schiste. Il est utile de s’interroger sur l’avenir de ce vecteur énergétique au moment où s’engage en France un débat sur la transition énergétique et où l’exploitation éventuelle des ressources en gaz de schiste fait polémique.

 
Dans son World Energy Outlook 2012 (www.worldenergyoutlook.org ), l’AIE a souligné que la demande mondiale de gaz a progressé de 60 % sur la période 1990-2010. Cette progression s’explique par sa commodité d’utilisation, en particulier pour le chauffage des bâtiments ainsi que dans les centrales électriques. A calories produites égales, le gaz naturel (essentiellement du méthane) dégage 60% de moins de CO2 que le charbon et 30 % de moins que le fioul, son impact climatique est donc plus faible. Trois secteurs sont pratiquement à parité pour son utilisation, le bâtiment, la production d’électricité et l’industrie. La demande mondiale de gaz a baissé de 2% en 2009 (un effet de la crise) pour rebondir de 7,5% en 2010 (année avec un hiver froid dans l’hémisphère nord) mais limitée à 2,2% en 2011 (22% de l’énergie primaire). On observe aussi depuis le début de la crise économique une baisse marquée de la demande en Europe (une baisse de 24% en Allemagne et de 14% en France en 2011) mais une hausse quasi-continue depuis 2001 aux USA qui résulte de la percée du gaz de schiste et, plus récemment au Japon où la consommation a augmenté très fortement en 2011 après la catastrophe de Fukushima. Selon le scénario « nouvelles politiques » de l’AIE, la demande mondiale de gaz croitrait en moyenne de 1,6 % par an jusqu’en 2035, portée par la croissance économique des pays « émergents », et notamment de la Chine (elle « prévoit » une multiplication par un facteur quatre de sa consommation de gaz d’ici à 2035 !). Dans une variante de son scénario, l’AIE fait l’hypothèse que le gaz naturel deviendrait en 2035 la deuxième filière énergétique au niveau mondial : ce serait un « âge d’or pour le gaz ».

  Pourra-t-on faire face à la demande de gaz? Les évaluations des réserves de gaz « prouvées » (une probabilité de 90% d’être exploitées) sont optimistes : selon BP (Statistical Review of World Energy, www.bp.com/statisticalreview ) elles représenteraient environ 65 ans de consommation. Si l’on prend en compte les ressources « non conventionnelles » et « techniquement » récupérables, selon les estimations optimistes de l’AIE, celles-ci permettraient d’assurer 230 années de consommation ! (cf. P.Papon "Vers un eldorado gazier", Futuribles, No 2013, p. 148, janvier 2013, www.futuribles.com ). Les gaz non-conventionnels (dits aussi de roche mère) sont piégés soit dans des roches peu perméables (d’origine argileuse comme le schiste), soit dans des veines de charbon qui dégazent (c’est l’origine du grisou) soit dans des réservoirs complétement étanches (un gaz baptisé « tight gas » en anglais, une distinction assez floue avec le gaz de schiste) dont il faut les extraire. Les réserves ne tiennent pas compte des hydrates de gaz (du méthane) dont les Japonais vont commencer à expérimenter l’exploitation… Depuis 2005, l’exploitation intensive du gaz de schiste aux Etats-Unis a ouvert de nouvelles perspectives car la progression de sa production y a été spectaculaire (23% de la production totale de gaz aux USA en 2011), elle a été rendue possible par des méthodes de forage innovantes, la fracturation hydraulique (cf. le rapport de l’IFP, P.Vially, G.Maissonier, T.Rouaud, Hydrocarbures de roche-mère, Etat des lieux, www.ifpenergiesnouvelles.fr ).
La croissance rapide de l’exploitation du gaz de schiste aux USA a changé la donne sur le marché du gaz naturel,
le prix du gaz y ayant chuté de près d’un facteur quatre (environ 1 c€ /kW) et ceux-ci sont devenus, en 2009, le premier producteur mondial de gaz (20 % de la production mondiale en 2011).

 Ce « boom » du gaz a déclenché une véritable réaction en chaîne: – les importations de gaz des USA ont pratiquement cessé et ils envisagent désormais de devenir exportateurs de gaz, dès 2016, qu’ils substituent au charbon dans leurs centrales thermiques – ils peuvent alors exporter plus de charbon, en particulier en Europe où son prix a chuté (il est passé de 100 € la tonne en 2011 à 60 € la tonne en 2012), les pays européens augmentant leur production d’électricité à partir du charbon et du même coup leurs émissions de CO2 – le prix du gaz étant tombé au-dessous de son coût de production, les Américains extraient du pétrole de schiste poussant à la hausse leur production de pétrole (une production de près de 1 million de barils jours d’huile de schiste) qui pourrait ainsi dépasser celle de l’Arabie Saoudite d’ici 2020 !
Cette révolution du gaz non conventionnel traversera-t-elle l’Atlantique et le Pacifique ? Cela est possible mais pas certain, car même si l’AIE est optimiste quant à l’avenir du gaz non conventionnel (26 % de la production totale de gaz en 2035 dans le scénario de l’AIE), il n’en demeure pas moins que celle-ci reste soumise à de sérieuses contraintes économiques et environnementales. En effet les conditions géologiques et économiques américaines, très favorables, ne se retrouvent pas nécessairement dans d’autres pays, notamment en Europe où les conditions sont différentes (la densité de population y est souvent plus importante). Les estimations de ressources en dehors de l’Amérique du Nord doivent être confirmées, les données émanant essentiellement de l’US Geological Survey. Les ressources exploitables se trouvent surtout aux USA, en Chine, au Canada, en Australie, en Inde (90% des ressources potentielles) mais l’Europe n’en serait pas dépourvue, notamment la Pologne et la France.

 
L’exploitaion du gaz de schiste par fracturation hydraulique a un impact environnemental non négligeable car elle utilise des volumes importants d’eau chargée de produits chimiques dont impact est mal évalué. Un rapport récent de la Royal Society et de la Royal Academy of Engineering au Royaume Uni a fait clairement le point sur la question. (Shale gas extraction in the UK : a review of hydraulic fracturing, Londres, juin 2012, www.royalsociety.org ). Il souligne d’abord que la très grande majorité de sites d’exploitation étant situés très en-dessous des nappes phréatiques, les pollutions par de l’eau injectée dans les forages sont peu probables (sauf si les puits de forages sont mal protégés). En revanche des pollutions provenant des rejets d’eau en surface sont possibles. Des risques sismiques ne sont pas exclus lors des opérations de forage, mais ils correspondraient à des tremblements de terre de magnitude inférieure à 4, tandis que l’impact sur le climat de rejets accidentels de méthane ne doit pas être négligé car celui-ci est un gaz à effet de serre puissant. La Royal Society conclut son rapport avec des recommandations (ce que fait aussi l’AIE) pour contrôler drastiquement les sites d’exploitation (notamment les rejets d’eau) et appelle aussi à une expérimentation.

  L’Europe qui est très dépendante de ses importations pour son approvisionnement en gaz (la plupart des gisements de l’Europe, à l’exception peut-être de ceux de la Norvège, s’épuisant) s’inquiète pour son indépendance gazière et ce d’autant plus que plusieurs pays européens (l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et la Suisse) ont décidé de sortir du nucléaire. L’augmenation continue du prix du gaz pèse fortement sur les consommateurs (particuliers et entreprises) et explique largement sans doute la forte baisse de consommation survenue en 2011. S’agissant de la France on peut observer que l’origine de ses importations de gaz est diversifiée : elles proviennent pour 32% de Norvège, à 14% de Russie, à 14% d’Algérie (les événements récents ont montré aussi la vulnérabilité de ces gisements) et à 15% des Pays-Bas. Le prix de l’énergie et en particulier du gaz est un paramètre important des politiques énergétiques et industrielles, comme l’a souligné le rapport Gallois, et ce d’autant plus que l’arrêt de centrales nucléaires doit être partiellement compensé par la mise en service de centrales à gaz pour assurer notamment les pointes de consommation ; en France le prix du gaz est légèrement au-dessus de cette moyenne européenne. On ne peut donc pas éviter un débat sur la stratégie gazière. C’est dans ce contexte que l’exploitation du gaz de schiste s’est invitée dans les débats en Europe, notamment en France en 2011 où la loi du 13 juillet 2011 a interdit l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures par fracturation hydraulique sans véritable expertise scientifique préalable…On remarquera que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) a été finalement mandaté pour faire un rapport sur la question en janvier 2013.
Le débat porte aujourd’hui sur la possibilité de lancer une expérimentation que n’interdit pas la loi et que le gouvernement et le Président de la République n’ont pas exclue. Avant toute exploitation d’hydrocarbures de roche mère une première démarche consisterait à évaluer les ressources potentielles (des données géologiques sont sans doute entre les mains du BRGM, voire de l’ANDRA qui a procédé à de nombreux forages préalables à des opérations d’enfouissement de déchets nucléaires). La deuxième est de tester d’autres méthodes que la fracturation hydraulique utilisant l’eau sous pression. Le rapport de la Royal Society cite d’autres techniques possibles déjà testées : le CO2 liquide qui aurait l’avantage de ne pas dissoudre des métaux des roches, des liquides comme le propane et l’éthane gélifiés, des mousses avec de l’azote et des gels divers. Des techniques électriques peuvent également être envisagées pour disloquer les schistes (en utilisant des condensateurs dont la décharge peut provoquer un claquage de matériaux). La seule façon d’ouvrir de nouvelles voies techniques est d’expérimenter, c’est la voie dans laquelle se lancent le Royaume-Uni et la Pologne alors que l’Allemagne se refuse à fermer la porte à l’exploitation de gaz non conventionnel.

La politique de l’énergie, en France comme dans tous les pays européens, doit considérer que l’approvisionnement en gaz est un dossier clé car celui-ci a à la fois une importance industrielle et «domestique » compte tenu de son rôle dans le chauffage. Le prix futur du gaz fait partie de l’équation ce que montrent les protestations et les litiges que suscitent en France les augmentations successives des tarifs au cours de l’année 2012 et début 2013 (2%). Face à ces perspectives, s’agissant des potentialités de l’exploitation du gaz de schiste (voire du pétrole), on peut penser que de ne pas tenter en France une expérimentation strictement contôlée serait une erreur stratégique pour la politique énergétique. Cette politique gazière est une composante d’un politique européenne de l’énergie qui a du mal à émerger; elle contribue aussi à une politique de lutte contre le réchauffement climatique dans la mesure où le gaz peut se substituer à un combustible fossile comme le charbon.


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