Scénarios pour l’avenir du nucléaire: l’uranium a-t-il dit son dernier mot?

Image00059.jpgDepuis la catastrophe nucléaire de Fukushima, l’avenir de l’énergie nucléaire est en débat dans un monde où la plupart des scénarios imaginent que la demande d’énergie ira encore en croissant dans les prochaines décennies. Existe-t-il d’autres filières possibles que celles en service actuellement et qui utilisent l’uranium ? La question est loin d’être nouvelle mais elle mérite d’être reposée.

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Le nucléaire est d’actualité, en France comme dans beaucoup de pays développés ou en développement. Rappelons simplement quelques faits récents. En France, le président de la République, François Hollande, a fixé à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique (environ 75% aujourd’hui) tandis qu’EDF annonçait que le coût de construction de l’EPR (un réacteur de troisième génération) s’élèverait sans doute à 8,5 milliards d’euros. Quant au Japon, après Fukushima, il hésite encore sur la voie à suivre. L’ancien gouvernement, tout en ayant remis en marche deux réacteurs nucléaires en 2012 qui avaient été arrêtés, avait pris la décision de sortir du nucléaire à l’horizon 2040, mais le nouveau gouvernement, sorti des urnes fin décembre, semble vouloir la remettre en cause.
Dans un monde qui semble vouloir rester énergivore, quelle est la place du nucléaire dans les scénarios énergétiques ? L’AIE dans son World Energy Outlook 2012, publié en novembre dernier (www.iea.org ), « prévoit » une forte progression de la demande d’électricité d’ici à 2035. Ainsi, son scénario de base fait l’hypothèse que la production mondiale d’électricité augmenterait de 70 % sur la période 2010-2035 (la consommation d’énergie primaire n’augmentant « que » de 40%), et celle d’origine nucléaire de 60% (sa part reculant de 13 à 12%) avec une puissance installée qui passerait de 400 GW à 580 GW (multipliée par dix en Chine sur la période 2010-2035). Un scénario alternatif « climatique » (il permet de respecter l’objectif de Copenhague de limiter à 2°C le réchauffement du climat) s’il est moins ambitieux pour la production d’électricité (+50%), prévoit en revanche un doublement de l’électricité nucléaire. La société Exxon-Mobil dans son scénario pour 2040 (Exxon-Mobil, 2013, The energy outlook for energy : a view to 2040, www.exxonmobil.com ) ne prévoit qu’une augmentation de 40% de la demande d’électricité en 2040 mais avec un doublement de la production nucléaire. Il est vrai que la percée du gaz de schiste aux Etats-Unis va changer la donne, dans la mesure où ceux-ci n’envisagent plus une relance du nucléaire et miseront sur des centrales thermiques au gaz dont le prix s’est effondré.

  La totalité des scénarios actuels pour le nucléaire, à l’horizon 2030, font l’hypothèse que les centrales fonctionneront avec les filières actuelles à l’uranium et avec de l’eau légère (bouillante ou pressurisée) comme modérateur et comme fluide caloporteur, et avec des conditions de sûreté renforcées. Les réacteurs EPR dont des prototypes sont en cours de construction en France à Flamanville et en Finlande (avec des surcoûts importants) ainsi qu’en Chine. Toutefois, plusieurs filières innovantes sont envisagées pour l’avenir (cf. M.Waldrop, « Radical reactors », Nature, 6 December 2012, vol. 492, p. 26, www.nature.com ). La première consisterait à faire fonctionner les réacteurs à uranium à haute température. Ils produiraient de la vapeur à 1000°C pour des turbines (avec un rendement très élevé) ou à des fins industrielles. Le combustible (de l’uranium enrobé dans du carbure de silicium serait stable jusque 1600°C), le fluide caloporteur serait de l’hélium ou un mélange liquide de fluorures de lithium et de béryllium. La Chine a lancé la construction, fin décembre, d’un réacteur prototype de 200 MW pour cette filière.Le projet Antares d’Areva, en France, est un projet de ce type. La filière dite des surgénérateurs est une autre voie : elle utiliserait le plutonium comme combustible (celui-ci est produit dans un réacteur à uranium lorsque l’uranium 238 qui n’est pas fissile absorbe un neutron) avec des neutrons dits rapides (leur énergie cinétique est plus grande). Une vingtaine de réacteurs de ce type ont déjà fonctionné dans le monde et la France, pour sa part, en a testé deux prototypes, Phénix et Superphénix, refroidis au sodium liquide ; le Japon avait, avant Fukushima, un projet en cours et la Chine également. La filière des surgénérateurs (la IVe génération du nucléaire) aurait le grand avantage de régler pour plusieurs siècles la question de l’approvisionnement en combustible, un réacteur « classique » pouvant produire à lui seul plusieurs charges de plutonium pour un surgénérateur alors que les ressources actuelles en uranium ne garantissent que pour 80 ans de fonctionnement des réacteurs actuels. Le problème clé est celui d’assurer la sûreté de fonctionnement des futurs réacteurs qui doivent extraire la chaleur du cœur soit avec un métal liquide (du sodium comme pour Superphénix, ou un alliage de plomb et de bismuth) ou des sels fondus, soit avec un gaz comme l’hélium ; les réacteurs fonctionneraient à très haute température (500 à 800° C) et leur rendement serait donc élevé.

  Les réacteurs actuels fonctionnent avec des cœurs solides (ils peuvent évidemment fondre en cas de rupture accidentelle du système de refroidissement comme cela s’est produit à Fukushima) qui ont l’avantage de posséder une géométrie fixe, en principe prévisible, mais qui est complexe (un assemblage de barres d’uranium par exemple dont la structure interne peut varier avec l’irradiation). Si le combustible est liquide, les problèmes d’évolution de la structure du cœur ne se posent plus. Celui-ci peut être un sel d’uranium fondu comme le tétrafluorure d’uranium, mélangé avec des fluorures de lithium et de béryllium, qui est aussi le fluide caloporteur. Ces réacteurs à sels fondus ont l’avantage de se prêter à une extraction en continu des produits de fission dans une unité extérieure de recyclage. En cas d’accident, le combustible liquide du cœur peut se déverser dans une fosse profonde où il se solidifierait. Les USA envisagent d’en construire un prototype.

 Une troisième option, envisagée il y a longtemps, consisterait à utiliser le thorium comme combustible (les minerais de thorium seraient trois plus abondants que celui d’uranium). Ce métal est fertile (il peut capturer un neutron) et se transformer en uranium 233 qui, lui, est fissile (comme l’uranium 235) et donc utilisable comme combustible, par exemple dans des surgénérateurs. C’est une voie dans laquelle s’est engagée l’Inde, l’uranium 233 a le désavantage d’être difficile à manipuler et l’avantage d’être ainsi moins « proliférant » (difficile à utiliser pour fabriquer une arme nucléaire). En fait, les choses ne seraient pas aussi simples selon des experts américains (S.F.Ashley, « Thorium fuel has risks », Nature, 6 December, vol. 492, p. 31, www.nature.com ). En effet, si le thorium naturel n’est pas fissile, bombardé par des neutrons il se transforme en uranium 233 qui est fissile mais qui est mélangé à de l’uranium 232 qui se décompose en donnant des produits de fission libérant des rayons gamma très dangereux. Le risque pour la prolifération serait que l’on puisse produire de l’uranium 233 à partir du thorium sans le mélanger à de l’uranium 232 radiotoxique et difficile à manipuler (il suffit de 8 kg d’uranium 233 pour construire une bombe atomique). Une possibilité serait de passer par le protactinium 233 qui est un isotope intermédiaire qui se forme à partir du thorium irradié et que l’on peut séparer par voie chimique. Le caractère non proliférant des réacteurs à thorium ne serait donc pas « en béton » et ceux-ci devraient donc être surveillés par l’IAEA (International Agency for Atomic Energy). Des futurs réacteurs (dont la construction est envisagée par la Chine, l’Inde et éventuellement le Royaume-Uni et l’Australie) pourraient utiliser des sels fondus de fluorures de thorium (mélangés à des fluorures d’uranium, de béryllium et de lithium). Un nucléaire au thorium supposerait la construction d’infrastructures spécifiques pour le retraitement des combustibles.

La sûreté des réacteurs va certainment prendre une plus grande importance à l’avenir après fukushima. L’option des réacteurs à combustibles liquides offre sans doute des avantages de ce point de vue. L’option, proposée par le physicien C.Rubbia, consistant à bombarder avec un accélérateur de particules une cible de plomb placée au centre d’un réacteur qui émet des neutrons provoquant une réaction en chaîne dans le combustible, serait aussi intéressante ; un arrêt de l’accélérateur interromprait, en effet, la réaction en chaîne. Les nouvelles filières nucléaires, qui à un stade ou un autre, mobiliseraient de l’uranium – qui n’aurait pas dit son dernier mot – ne seront pas opérationnelles avant 2030-2040, elles seraient une véritable rupture technique pour le nucléaire car elles prolongeraient sa « durée de vie ». L’avenir du nucléaire est sans doute entre les mains d’une quintette de pays, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Inde et la Chine, à laquelle se joindrait le Japon si son nouveau gouvernement revenait sur la décision de sortir du nucléaire. Il ne restera ouvert qu’au prix d’un effort considérable de recherche.


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