Transition énergétique: 2030 un horizon « critique »

Image00009.pngLe débat sur la transition énergétique qui commence en France éclairera-t-il notre horizon énergétique ? Les scénarios qui ne manqueront pas d’être proposés à l’occasion de ce débat aideront sans doute à explorer les chemins possibles en proposant des chemins possibles, mais identifieront-ils tous les obstacles qui se trouvent sur la route de la transition ? De fait, on peut faire l’hypothèse que l’horizon 2030 sera une étape importante sur la voie de la transition et il est utile d’examiner les points clés pour ce rendez-vous

  Les scénarios énergétiques ont le mérite, nous l’avons souvent souligné, d’éclairer l’horizon du chantier complexe de la transition énergétique. Il est donc utile de faire le point sur quelques scénarios récents. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) fournit chaque année un utile éclairage mondial avec son rapport sur l’énergie, sa version 2012 (IEA, “World Energy Outlook 2012”, www.iea.org ) présente des hypothèses sur les perspectives énergétiques mondiales à l’horizon 2035. Son scénario de base, baptisé « nouvelles politiques » – il intègre les inflexions récentes des politiques énergétiques – prévoit une croissance d’un tiers de la demande mondiale d’énergie primaire d’ici 2035 (17,2 Gtep) avec une hausse de la consommation de pétrole de près de 15%, de 21% de celle du charbon et de 50% pour le gaz naturel. La progression de la demande d’électricité sera la plus rapide de toutes les filières (70% entre 2010 et 2035) avec une forte poussée des énergies renouvelables (leur part passerait de 20 à 31%). C’est en Chine que la croissance de la demande d’énergie sera la plus forte (60%), celle des pays de l’OCDE étant marginale (3%). Ce scénario conduirait probablement à une hausse de 3,6°C de la température moyenne de l’atmosphère. Le scénario « climatique » de l’AIE, plus volontariste (compatible avec la limitation à 2°C de l’augmentation de la température de la planète) table quant à lui sur une croissance de 16 % de la demande d’énergie primaire d’ici 2035 permettant de ramener les émissions de CO2 en dessous de leur niveau actuel. Le rapport de l’AIE ne prévoit pas de difficulté majeure pour faire face à la demande d’énergie et ses évaluations des réserves de gaz poussent l’Agence à l’optimisme (suite à la percée du gaz de schiste aux Etats-Unis qui sont devenus, en 2009, le premier producteur mondial de gaz) : les réserves « prouvées » représenteraient environ 70 ans de consommation et en tenant compte des ressources « techniquement » récupérables (certaines restant à découvrir), incluant le gaz « non-conventionnel» (dont le gaz de schiste), on assurerait 230 années de consommation ! Les scénarios de l’AIE sont probablement très optimistes (ils ne prévoient pas de poussée forte du prix du baril de pétrole).

  La conférence sur le climat organisé par l’ONU à Doha, en cette fin d’année, conduit évidemment à s’interroger sur la possibilité de s’engager sur une trajectoire permettant de limiter le réchauffement climatique. L’AIE elle-même souligne que la voie est étroite car la majeure partie des futures émissions de CO2 (notamment celles des centrales électriques) sont de facto intégrées dans les infrastructures énergétiques existantes. La percée des énergies renouvelables est un point clé de la transition énergétique mais leurs possibilités doivent être évaluées. Un scénario bien équilibré est sans doute possible et c’est ce que montrent des économistes de Grenoble avec deux scénarios d’un projet européen SECURE : le premier « Muddling through » (avancée dans la confusion), est très énergivore (le plus probable aujourd’hui) et ne permettrait pas de diminuer les émissions de CO2, le second dit « Global regime » (régime global) est volontariste et souhaitable car il traduirait une volonté de s’attaquer sérieusement à la question du climat en diminuant par deux ces émissions en 2050 ( P.Criqui, S.Mima, P-O. Peytral et J-C. Simon, « Les scénarios énergie-climat », Futuribles, No 390, p.5, novembre 2012, www.futuribles.com ). Selon « Global regime » la consommation mondiale d’énergie primaire ne serait « que » de 14,1 Gtep en 2030 (15,2 Gtep en 2050) mais, en revanche, de 15,6 Gtep dans le scénario énergivore. La part des combustibles fossiles dans le mix énergétique passerait ainsi de 80% à 72% en 2030 et à 50% en 2050 dans le scénario volontariste (mais avec un stockage important du CO2). Le mix énergétique mondial serait équilibré en 2050 en six parts presque égales ce qui tranche avec la plupart des scénarios de développement durable: 13% de charbon, 19 % de pétrole, 17% de gaz naturel, 19% de nucléaire, 19% de biomasse (dont les biocarburants), 13% de renouvelables en flux (éolien, hydraulique et solaire).

  Les scénarios pour la France publiés récemment par l’ADEME contribuent à éclairer l’avenir énergétique (« contribution de l’ADEME à l’élaboration des visions énergétiques 2030-2050 », www.ademe.fr) à 2030 et 2050. L’ADEME « prévoit » ainsi une diminution de 30 % de la demande d’énergie primaire en France en 2030 et de 20% de la consommation finale, avec une part des énergies renouvelables qui serait de 34 % dans le mix final (12% en 2010). En 2050 la consommation finale d’énergie aurait diminuée de près de moitié avec une part des énergies renouvelables de 70%. On observera que dans son scénario l’ADEME prévoit une légère montée de l’électricité dans le mix final en 2030 (elle passerait de 24% en 2010 à 26%) produite à 48% par des énergies renouvelables, à 49% par le nucléaire et à 3% par le thermique (turbines à gaz pour l’essentiel). Par ailleurs, le parc de véhicules de transport terrestres en 2035 (25 millions de véhicules comme aujourd’hui) serait, constitué de 89 % véhicules thermiques, de 7% d’hybrides et de 4 % de véhicules tout électriques.

 
L’horizon 2030 sera sans doute un "point critique" pour la transition énérgétique dans le monde et en France notamment car il pourrait conduire à des bifurcations (amplification des renouvelables, maintien ou baisse du nucléaire, etc.). Force est de constater que rares sont les scénarios qui identifient les « verrous » scientifiques et techniques à faire sauter sur la voie de cette transition. On doit cependant s’interroger sur la possibilité pour la science et la technique de changer la donne car des ruptures scientifiques et des innovations pourraient déboucher sur de nouvelles filières ou des nouveaux modes de consommation de l’énergie. (cf. P. Papon "Energie : la science peut-elle changer la donne ?", le Pommier, 2012). Ainsi d’ici à l’horizon 2030 devrait-on disposer, grâceà la recherche, d’éléments de réponse à des questions importantes :  – la quatrième génération du nucléaire (les surgénérateurs utilisant le plutonium ou le thorium) sera-t-elle viable ? – peut-on exploiter en France dans de bonnes conditions techniques et environnementales le gaz et le pétrole de schiste ? – disposerons-nous des moyens scientifiques et techniques de produire des biocarburants (éthanol voire hydrocarbures) à partir de la biomasse cellulosique et des algues (notamment en « reprogrammant » les gènes de bactéries par la voie de la biologie synthétique) ? – est-il possible de mettre au point des nouvelles filières solaires produisant de l’électricité dans de bonnes conditions économiques ? – peut-on innover dans les moyens de stockage et de distribution de l’électricité permettant d’exploiter les énergies renouvelables (des nouvelles batteries notamment) ?

 La transition énergétique prendra du temps, raison de plus pour préparer l’avenir en bonne connaissance de cause en donnant toute sa place à la réflexion prospective. Bien évidemment il ne saurait être question de différer des choix : des économies d’énergie s’imposent, une taxation de l’énergie est sans doute nécessaire, une politique territoriale de l’énergie doit être mise en place, un effort de R&D doit être entrepris à l’échelle de l’Europe, etc. Il reste à souhaiter que le débat national sur l’énergie saura prendre en compte toutes les dimensions de la politique énergétique.


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