Le rapport Gallois, le « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », a mis en évidence l’importance du coût de l’énergie pour la compétitivité industrielle d’un pays. La chute très importante et spectaculaire du prix du gaz naturel provoquée par l’exploitation massive du gaz de schiste aux USA conforte cette thèse car les experts lui attribuent un rôle important dans leur redémarrage économique. Il est opportun de s’interroger sur les perspectives énergétiques de ce point de vue en France et en Europe.
Le coût de l’énergie (essentiellement celui du gaz naturel et du kWh électrique) est une variable importante dans les coûts de production industrielle et de ce point de vue la France est plutôt bien placée par rapport à ses partenaires et concurrents européens. En effet s’agissant de l’électricité de base, le coût de production est faible en France et il est parmi les plus bas d’Europe. Pour un gros consommateur industriel il était de 63 €/ MWh en 2011 avec une moyenne européenne de 103 €/ MWh et un coût de 109 € /MWh en Allemagne (on lira sur cette question l’intéressant rapport pour l’Assemblée nationale de David Habib sur le projet de budget pour 2013 de l’énergie http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2013/a0253-tiv.asp ). Pour le prix du gaz, la France est dans la moyenne européenne (35,1 € / MWh en France contre 33,7 €/ MWh en moyenne en Europe) sachant que le prix du gaz est désormais deux fois moins élevé aux Etats-Unis qu’en Europe, les pays européens non-producteurs de gaz étant liés par des contrats à long terme de leurs fournisseurs (Algérie, Russie, Qatar, Norvège). Le gaz naturel est à la fois un vecteur énergétique et une matière première pour l’industrie. La répartition par secteurs de la consommation d’énergie de l’industrie française en 2009 met en évidence le fait que quatre secteurs industriels représentent les deux tiers de la consommation totale d’énergie en France : la chimie (26%), la sidérurgie (16%), l’agro-alimentaire (14%) et le papier-carton (10%). Pour les entreprises de ces secteurs on comprend que l’accès à une énergie à coût compétitif est un atout considérable. Sur ce plan le nucléaire a donné un avantage substantiel à l’industrie française car son coût de production (environ 45 €/MWh) est bas.
Le rapport Gallois (http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/rapport_de_louis_gallois_sur_la_competitivite.pdf ) souligne l’importance de ces facteurs énergétiques pour la compétitivité de l’industrie française. Citons en quelques extraits concernant l’énergie : – « Le faible coût de l’énergie, comparé aux autres pays européens, est un atout pour l’industrie française. Il fait partie des éléments qui soutiennent la marge des entreprises et donc leur capacité à investir. … Dans la transition énergétique qui s’engage, il est essentiel que cet atout, lié au développement de la filière électrique, ne soit pas perdu. Au-delà des indispensables économies d’énergie et de l’amélioration des rendements énergétiques, le développement des énergies renouvelables s’impose dans tous les pays ; ces énergies devront s’insérer dans le « mix énergétique » dans des conditions qui ne renchérissent pas le coût de l’énergie pour l’industrie. Ce n’est pas acquis et l’effort de recherche doit être poursuivi dans ce sens. ….L’évolution du parc nucléaire doit tenir compte de l’énorme capital investi et du fait qu’il est largement amorti, même si des travaux de maintenance importants sont prévus. Le coût du kilowattheure qu’il procure est un véritable avantage comparatif….Dans la plupart des scenarii de transition énergétique, la part du gaz augmente ou ne se réduit pas à moyen terme. Nous plaidons pour que la recherche sur les techniques d’exploitation des gaz de schiste soit poursuivie. La France pourrait d’ailleurs prendre l’initiative de proposer avec l’Allemagne à ses partenaires européens un programme sur ce sujet. » Le rapport souligne aussi que l’Allemagne qui a décidé de sortir du nucléaire pour utiliser un mix énergétique électrique constitué par des énergies renouvelables (éolien et solaire essentiellement) et des combustibles fossiles (turbines à gaz et centrales au lignite) anticipe une augmentation importante du prix du kWh et qu’elle a pris des dispositions pour détaxer l’énergie électrique destinée aux gros consommateurs industriels.
Alors que la France a fermé la porte à l’exploitation du gaz de schiste, présent dans son sous-sol, par une loi votée en 2011, la question a été toutefois reposée après les élections présidentielles, et c’est ce que fait le rapport Gallois sur la compétitivité de l’industrie française. Un livre publié récemment par un économiste Thierry Bros, « After the shale gas revolution » (éditions Technip), souligne que le marché mondial du gaz naturel est en train de changer : les Etats-Unis sont devenus, en 2009, le premier producteur mondial de gaz, grâce à l’exploitation du gaz de schiste (25 % de la production américaine de gaz), le Qatar restant le premier producteur de gaz liquéfié (LNG). La demande mondiale évolue elle aussi avec une croissance forte de celle des pays émergents, et notamment de la Chine, mais aussi de celle du Japon qui est obligé d’importer massivement du gaz après la catastrophe de Fukushima. Enfin, on doit constater que pour l’heure le prix du gaz reste fortement lié à celui du baril de pétrole à travers des contrats à long terme liant les grandes sociétés productrices, comme Gazprom, et les acheteurs, même si les prix commencent à chuter sur les marchés spots. La demande de gaz va sans doute croître en Asie (la Chine compte exploiter le gaz de schiste), dans les pays européens où il existe des ressources potentielles de gaz de schiste mais mal évaluées (en France et en Pologne notamment) son exploitation dépendra de son acceptabilité par l’opinion qui craint les dégâts environnementaux collatéraux. Il est probable que les USA deviendront exportateurs de gaz et que l’exploitation du gaz de schiste y sera une source d’emplois (600 000 est un chiffre souvent évoqué) par exemple dans la chimie. L’auteur du livre souligne que l’Europe et la France notamment, ne pourra faire pression sur ses fournissuers traditionnels (l’Algérie, la Russie et le Qatar) pour obtenir un découplage du prix du gaz de celui du pétrole, que si elle montre qu’elle a la volonté de se lancer dans l’exploitation du gaz (et du pétrole) de schiste tout en surmontant les indéniables obstacles environnementaux. Il faudrait à tout le moins tester une alternative aux procédés de fracturation hydraulique actuels (utilisant de produits chimiques par exemple).
On ne doit pas exclure non plus la possibilité de produire à bas coût des carburants (essence, gazole, fioul) à partir du gaz naturel en utilisant des procédés biochimiques (des bactéries génétiquement modifiées produisant des enzymes). C’est une voie dans laquelle se sont lancées des entreprises américaines qui comptent utiliser comme matière du gaz de schiste à bas prix car elles estiment que la production de biocarburants de deuxième génération (à partir de la cellulose), de l’éthanol notamment, ne sera probablement pas rentable. C’est un élément du dossier à ne pas perdre de vue même s’il est plus prospectif.
Les recommandations du rapport Gallois concernant l’énergie méritent d’être prises en compte car la composition du futur mix énergétique de la France et son coût (tant pour les entreprises que pour les particuliers) aura une incidence importante sur la compétitivité de son industrie, c’est une question qui devrait être débattue dans toutes ses dimensions lors de la consultation sur l’énergie que le gouvernement a lancée.