Le prix du pétrole et du gaz: une variable clé pour la transition énergétique

Image00005.pngDans le débat sur la politique énergétique française, le coût de l’énergie et en particulier celui du pétrole et du gaz ne sont évoqués que pour déplorer la montée des prix du carburant, du gaz et du kWh électrique. Cela dit on ne risque que de rares hypothèses sur l’évolution future de ces variables clés et sur son incidence possible, à long terme, sur la politique énergétique. Nous avons évoqué dans un récent blog la question du coût de l’électricité et il est aussi souhaitable de faire le point sur les perspectives des prix du gaz et du pétrole à la lumière de publications récentes.

 
Rappelons, en introduction, que les produits pétroliers représentent 42% de la consommation d’énergie finale en France et le gaz 23%. L’un des objectifs de la transition énergétique est précisément de diminuer la part des énergies fossiles dans la consommation d’énergie, mais rares sont les études qui mettent en évidence les risques que font courir à l’économie la volatilité du cours du pétrole et sa hausse probable. Une étude récente du CAS (« Vers un prix du pétrole durablement élevé de plus en plus volatil », Note d’analyse No 280, www.strategie-gouv.fr  ) a le mérite de présenter quelques hypothèses même s’il est de plus en plus difficile de « prévoir » l’évolution de la production pétrolière mondiale et de sa capacité à répondre à la demande. Cette équation pétrolière comporte, en effet, de nombreuses variables : – la croissance de la demande des pays émergents, notamment celle de la Chine et des pays asiatiques, qui si elle reste forte n’est pas à l’abri de la crise (dans un rapport récent, "What next for oil and gas industry", Chatham house, www.Chathamhouse.org  , estime que l’Asie pourrait avoir un déficit d’approvisionnement de 20 Millions barils/jour en 2030 ce qui est considérable), le déclin plus ou moins rapide des grands gisements (c’est le cas de ceux de la mer du Nord), la mise en production des gisements de pétrole non-conventionnel (sables bitumineux, gaz de schiste et de charbon, les USA produisent ainsi environ 1 million de barils/jour de pétrole de schiste). La géopolitique est également un facteur d’incertitude majeure avec, en particulier, les risques de déstabilisation du Moyen-Orient où se trouvent des gisements et des réserves importantes.
En dépit de ces incertitudes, les experts s’accordent pour estimer que la production mondiale de pétrole plafonnerait vers 2020 et pourrait ensuite décliner. Alors que l’Arabie Saoudite (12 % de la production mondiale) joue un rôle majeur avec ses capacités de production excédentaires qu’elle peut éventuellement mobiliser pour éviter une envolée du cours du brut, il existe toutefois quelques marges de manœuvre supplémentaires. L’une d’elles est la croissance possible de la production de l’Irak dont l’AIE dans son World Energy Outlook 2012 (« Special report Irak energy outlook », www.iea.org ) souligne qu’elle a un fort potentiel de croissance à court terme (une production aujourd’hui de 3 millions de barils/jour, soit 2,5 % de la production mondiale, et qui pourrait monter à 6 millions de barils/jour en 2020 et à 8 en 2035). L’off-shore très profond (gisement par plus de 2000 mètres de profondeur d’eau) notamment au Brésil et en Afrique (golfe de Guinée) donne aussi une petite marge de manoeuvre. Une question reste toutefois ouverte : la possibilité d’exploiter de façon acceptable les pétroles non-conventionnels (extraits des sables bitumineux et des schistes notamment) dont les réserves seraient aussi importantes que celles des pétroles « conventionnels ». Les Etats-Unis et le Canada ont commencé à exploiter ces gisements (les USA produisent ainsi environ 1 million de barils/jour de pétrole de schiste) et pourraient devenir presque totalement autonomes pour leur approvisionnement en pétrole et en gaz.

  La situation des réserves de pétrole et de leur exploitation a une incidence directe sur le cours futur du baril (aujourd’hui dans une zone autour de 100 $). Les tensions probables entre l’offre et la demande donnent à penser que les prix du pétrole vont rester élevés et sans doute volatils au-dessus de 100 $ le baril (le cours était proche de 30 $ en 2000). Qui plus est, en l’absence de capacités excédentaires de production mobilisables rapidement, une baisse de la production mondiale de 1 million de barils/jour (elle est au total proche de 90 millions barils/jour aujourd’hui), pour des raisons techniques ou politiques, se traduirait par une augmentation du prix du baril de 40 $, cette hausse serait de 110 $ si la production chutait de 3 millions de barils/jour. L’incertitude sur les cours du pétrole, estiment les experts, se situe donc dans une fourchette de 100 à 220 $. Observons que l’essence franchirait, en France, la limite des 2 € le litre pour un prix du baril à 180 $. Cette augmentation ne serait pas sans incidence sur l’activité économique et pour la France elle creuserait le déficit de sa balance énergétique (49 milliards d’euros pour le seul pétrole en 2011). La sortie du pétrole est donc plus que jamais à l’ordre du jour, il reste à savoir quelles voies emprunter mais le rapport de Chatham house souligne que les pressions sur la demande pour lutter contre le réchauffement climatique pourraient à la longue avoir un effet.
La situation est paradoxalement plus incertaine pour le gaz naturel. Dans son "World Energy Outlook 2011", l’AIE prévoyait l’avènement d’un « âge d’or » du gaz qu’ouvre les perspectives d’exploitation du gaz de schiste, cela est possible mais il y a malgré tout pas mal d’eau dans le gaz au propre et au figuré. Il est vrai que la progression de la production de gaz de schiste a été spectaculaire aux Etats-Unis (le quart de la production de gaz en 2011 avec la perspective qu’elle passe à 50% en 2030, ils deviendraient exportateurs nets de gaz dès 2022) où elle a provoqué une forte chute du prix du gaz. La donne gazière peut donc changer, des pays comme la Chine, et en Europe la Pologne et le Royaume–Uni voire l’Allemagne, comptant exploiter cette ressource (la France on le sait l’a exclu).

Contrairement au pétrole il n’existe pas un marché international du gaz et la divergence des prix d’achat sur les marchés est considérable (7,2 € le MWh aux USA, contre 25 € le MWh sur le marché européen, le Japon achetant son gaz à 45 € le MWh, en 2012 selon l’IFP il existe une différence d’un facteur 5 pour les prix spot du gaz entre les USA et le Japon, "Les investissements en exploration-production et raffinage 2012",  www.ifpenergiesnouvelles.fr). Les pays européens importateurs, comme la France, sont liés par des contrats à long terme (avec Gazprom notamment) où le prix du gaz est souvent lié au cours du pétrole, la « pression » du gaz de schiste peut éventuellement conduire à une révision à la baisse des contrats. Quoi qu’il en soit, les expert s’atendent à une hausse des prix de production (notamment pour le gaz de schiste dont il faut éviter l’impact environnemental) avec une augmentation du prix spot du gaz de 25 à 100 % d’ici 2035.

La volatilité du prix du pétrole et les incertitudes sur celui du gaz pèsent sur les scénarios de la transition énergétique. Il est nécessaire de tenir compte de cette donnée dans une stratégie énergétique en se préparant aussi à faire face à l’inattendu qui, comme le disait l’économiste J-M. Keynes, arrive toujours alors que l’inévitable n’arrive jamais….


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