La France à la recherche de la transition énergétique

Image00030.pngLa conférence environnementale qui s’est ouverte le 14 septembre donne le coup d’envoi au débat sur la politique énergétique nationale que le nouveau gouvernement a décidé d’organiser avant la fin de l’année et qui doit déboucher sur le vote d’une loi de programme en 2013. Il s’agit de fait d’organiser la « Transition énergétique », un processus aux objectifs multiples et complexes et dans cette perspective il est utile de se fixer quelques points de repère.

Le débat sur la politique énergétique française a été récemment polarisé par deux questions : – l’avenir de l’énergie nucléaire – le prix des carburants dont le nouveau gouvernement a imposé une baisse limitée (6 c€ sur le litre d’essence). Le président François Hollande en ouvrant la conférence en environnementale a rappelé son engagement de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production électrique à l’horizon 2025 et a annoncé la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2016. L’avenir de cette politique ne saurait toutefois se résumer à ces seules questions. Rappelons d’abord quelques données sur la consommation d’énergie en France et sur le contexte international. La France consomme environ 270 Mtep d’énergie primaire et cette consommation tend à plafonner depuis le début de la "crise" (elle augmente de 0,3% par an). Sa consommation d’énergie finale est proche de 155 Mtep et progresse peu sauf, paradoxalement, dans le secteur des transports où elle a augmenté de 1,3% en 2011 en dépit de la hausse des prix des carburants…. Ce mix énergétique final est constitué à 42% de produits pétroliers, à 20% de gaz et à 24 % d’électricité (produite en moyenne à 75% par la filière nucléaire) et pour le reste de biomasse et de charbon. Trois secteurs sont les gros consommateurs d’énergie : le bâtiment pour 42%, les transports pour 30% et l’industrie pour 20%. On notera que l’intensité énergétique de la France baisse continûment ce qui est positif. Il est utile enfin d’avoir un dernier chiffre en tête : la facture énergétique de la France est fortement déficitaire, elle représentait 61 milliards d’euros en 2011 (49 milliards pour le seul pétrole), ce déficit va croissant, la baisse de l’euro et le niveau élevé du coût du pétrole expliquant largement son alourdissement.

La France n’est pas un isolat dans le monde et sa politique énergétique est soumise à de fortes contraintes internationales. La première est le coût de l’énergie qu’elle importe, en particulier ceux du pétrole et du gaz. Comme le souligne un récent rapport du CAS (Centre d’analyse stratégique, www.strategie.gouv.fr , « Vers un prix du pétrole durablement élevé et de plus en plus volatil »), le coût du baril de baril est durablement installé au-dessus de 100 $ avec un risque de forte hausse en cas de tension internationale (au-delà de 150 $ !) car les marges de manœuvre de l’offre mondiale sont limitées. La politique française est également soumise à la contrainte climatique même si les négociations internationales sur le climat avancent peu, la lutte contre le réchauffement climatique lui impose de diminuer fortement sa consommation d’énergies carbonées (les combustibles fossiles) et la France s’est ainsi engagée, en 2003, à diminuer d’un « facteur quatre » d’ici 2050 ses émissions de gaz à effet de serre (principalement le CO2, l’Europe s’étant engagée à les diminuer de 20% d’ici 2020), elle est par ailleurs liée par le protocole de Kyoto.

Quels sont les objectifs d’une politique énergétique ? Que signifie une « transition énergétique » ? Telles sont les questions auxquelles il faut répondre. Des pays comme l’Allemagne, la Suisse et la Belgique y ont en partie répondu en décidant de sortir du nucléaire. La difficulté de la réponse réside dans la multiplicité des paramètres de l’équation énergétique. Pour schématiser, on s’est contenter d’identifier cinq objectifs : – assurer un approvisionnement énergétique dans de bonnes conditions de « sécurité » (au sens large du terme) et en maîtrisant le coût – diminuer la consommation des énergies carbonées afin de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique (l’objectif central de la transition énergétique) – assurer une certaine équité dans l’accès à l’énergie en évitant une disette énergétique des ménages les plus pauvres (cela concerne environ 3,5 millions de foyers en France) – développer des filières d’avenir au plan scientifique, technique et industriel – mettre en œuvre une véritable politique énergétique européenne permettant de mutualiser certains moyens.
Nous avons identifié dans nos blogs certains des moyens propres à atteindre ces objectifs et nous y reviendrons régulièrement. Nous nous contenterons donc de mettre en lumière quelques éléments de méthode. Se fixer un objectif « brut » pour un mix énergétique à l’horizon 2025 ou 2030 (et a fortiori plus lointain, par exemple un pourcentage pour la part des énergies renouvelables dans la consommation) est utile mais n’est pas nécessairement un moyen opérationnel. Elaborer des scénarios contrastés (mais simples) est sans doute un point de passage obligé d’une prospective énergétique. Ils doivent explorer des futurs possibles en permettant d’identifier à la fois les secteurs où il faut faire porter des efforts (le bâtiment et les transports tout particulièrement) et les obstacles sur la voie de la transition énergétique (verrous techniques à faire sauter, coût des filières, etc.). Ainsi un scénario avec un mix électrique à 50% de nucléaire en 2025 doit-il identifier les éventuels obstacles à la montée en puissance des énergies renouvelables (éolien et solaire) ainsi que les surcoûts éventuels du nucléaire post-Fukushima. Un élément clé est une réflexion spécifique sur les outils d’une politique de maîtrise de de la demande qui conduirait à la baisse de la consommation en particulier celle des énergies carbonées et des émissions de CO2. Les tenants et les aboutissants de la taxation  de l’énergie doivent ainsi être explorés systématiquement car le financement des infrastructures énergétiques (fermes éoliennes, lignes électriques, isolement thermique des bâtiments, etc.) coûtera cher, une taxation de l’énergie (produits pétroliers et kWh électrique) est sans doute inéluctable. De ce point de vue la baisse (faible !) de la taxation des carburants est un mauvais signal et un coup d’épée dans le pétrole, en revanche la mise en oeuvre d’un tarif différencié de l’électricité pour les particuliers (un tarif moins élevé pour une consommation de base) qui a été décidée est une mesure équitable qui va dans le bon sens (nous avions ainsi évoqué la création d’un Revenu de Solidarité Energétique –cf. Futuribles, « Des élections dans la tourmente énergétique » 385, p. 59-61 mai 2012 www.futuribles.com ). Il faut donc examiner l’incidence possible sur la consommation d’énergie et sur l’emploi d’une taxation de l’énergie (la fameuse taxe carbone notamment).

 L’avenir du mix énergétique français (la part des différentes filières dans la production et la consommation) dépendra aussi des politiques scientifique et industrielle qui seront mises en œuvre. On doit ainsi s’interroger sur la possibilité pour la science de changer la donne (cf. Pierre Papon « Energie : la science peut-elle changer la donne ? », le Pommier, septembre 2012, www.editions-lepommier.fr  ). Des ruptures scientifiques et des innovations pourraient déboucher sur de nouvelles filières ou des nouveaux modes de consommation de l’énergie en 2030. Il faut donc investir dans la recherche : nouvelles cellules solaires, production de nouveaux biocarburants, batteries, etc. L’industrie doit aussi intégrer les nouvelles techniques (de nouvelles filières solaires par exemple, celle-ci ayant perdu la « bataille » du silicium), c’est l’objectif d’une politique industrielle.

 
Il reste aussi que tout ne saurait être réglé par l’Etat dans la mesure où l’efficacité énergétique passe souvent par le « local » (transports collectifs, opérations d’urbanisme). Les agences d’urbanisme de deux villes, Grenoble et Tours, on récemment publié des schémas énergétiques à long terme (2030) intéressants pour leur agglomération (cf. www.aurg.org  et www.atu37.org  ) . Il existe des marges de maneouvre locales qu’il faut exploiter par la voie, par exemple, de contrats entre l’Etat et les agglomérations pour soutenir leurs initiatives.

Soulignons pour conclure que la la politique énergetique doit être pragmatique et capable de surmonter les difficultés qu’elle ne manquera pas de rencontrer. On rappellera à ce propos que les hypothèses sur le coût du pétrole faites, en France en 2000 – un prix proche de 30 $ le baril, en $ valeur 1995 en 2020 qui serait borné par le coût d’exploitation du pétrole non-conventionnel avec une forte croissance de la demande énergétique – se sont avérées fausses. Il faut donc rester prudent dans les « prévisions ». Il faut aussi avoir la capacité de mobiliser une expertise (largement pluridisciplinaire et contradictoire) pour évaluer les potentialités et les risques des filières. Observons à ce propos que le débat actuel sur le gaz de schiste (clos par le président de la République qui a annoncé la décision de n’accepter aucun permis d’exploration) ne va pas dans le bon sens : pourquoi s’interdire, en effet, une expérimentation contrôlée permettant de mesurer les risques environnementaux de la fracturation hydraulique (on lira avec intérêt à ce propos un récent rapport du CAS, «Des technologies compétitives au service du développement durable » www.stratégie.gouv.fr  ) ? Les défis auxquels sera confrontée la politique énergétique française sont considérables et le pragmatisme imposerait de disposer d’un mix énergétique largement diversifié autrement dit de "faire feu de tout bois"….


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