Quel coût pour l’électricité?

Image00044.jpgSi la crise économique a ralenti la consommation d’électricité dans les pays les plus développés, ce n’est pas le cas à l’échelle mondiale et la plupart des scénarios énergétiques prévoient une forte croissance de la consommation et de la production d’électricité à l’horizon 2030. Toutefois, la lutte contre le réchauffement climatique suppose une forte limitation de la production d’électricité par des énergies "carbonées" (charbon, gaz, fioul) alors que la "renaissance" annoncée du nucléaire pourrait être moins marquée après l’accident de Fukushima. L’accent mis sur les énergies renouvelables pose le problème du coût de l’électricité produite par ces filières. Qu’en est-il exactement ?

 
Un rapport récent (juillet 2012) du Sénat (www.senat.fr ) a jeté un nouveau coup de projecteur sur le coût « réel » de l’électricité en France (après le rapport de la Cour des comptes sur le nucléaire publié en février dernier et auquel nous avons fait écho). Selon ce rapport, la facture moyenne d’un «ménage type» français passerait de 874,5 euros en 2011 à 1307 euros en 2020, soit une augmentation d’environ 50%. Cette augmentation résulterait en particulier d’un besoin d’investissements massifs dans les réseaux. Mais les sénateurs sont divisés sur les coûts réels du nucléaire. Cette forte augmentation intégrerait l’inévitable progression de la CSPE (Contribution au service public de l’électricité) qui devrait être multipliée par plus de 2,5 pendant la période. Celle-ci finance, notamment, le développement de la production d’électricité par les filières renouvelables (éolien et solaire essentiellement) qui est achetée par EDF aux producteurs d’électricité par ces filières à un tarif avantageux (actuellement EDF a un arriéré de CSPE d’environ 4 milliards d’euros). Le coût du kWh électrique « renouvelable » restera pendant de nombreuses années encore au-dessus de celui produit au prix du marché par les barrages ou les centrales nucléaires (soit 4,5 – 5 c€ aujourd’hui).
Le rapport du Sénat pose, sans l’aborder au fond, la question du coût des filières renouvelables pour l’électricité qui sera sans doute au cœur des débats, en France, de la future consultation sur l’énergie. Cette question est également débattue en Allemagne, qui a décidé de sortir du nucléaire, et au Japon qui est à la recherche d’une stratégie énergétique post-Fukushima.

 Plusieurs rapports récents permettent de faire le point sur cette importante question (IRENA, International Renewable Energy Agency, Renewable energy technologies : Cost analysis series, Power sector, Abu Dhabi, June 2012, www.irena.org/publications ). La filière éolienne compte tenu de son importance croissante (2 % de la production mondiale d’électricité en 2011), notamment en Europe, est la première sur la sellette, ou la chaise électrique….On sait aujourd’hui, construire des turbines de 5 à 7 MW de puissance avec des diamètres de pâles pouvant atteindre 110 m (soit celle des moteurs d’une rame de TGV) et les coûts baissent, sauf sans doute pour l’éolien off-shore pour lequel l’expérience est encore limitée. Les coûts d’installation des éoliennes terrestres proviennent à 64% des turbines avec leur système électromécanique et à 16% des fondations au sol. Pour les éoliennes off-shore la structure des coûts est différente, la turbine ne représentant plus que 51% des coûts mais les fondations et l’installation représentent, quant à elles, 27 % du total. Ils tiennent compte de l’amortissement du capital investi et du nombre d’heures annuelles de fonctionnement des éoliennes. Il varie d’une région à l’autre et, selon le rapport Irena, il serait : – pour le terrestre de 5,7c€ /kWh à 11,2 c€ /kWh en Europe et aux USA et de 4,8 c€/kWh à 8,8c€/ kWh en Chine et en Inde (le facteur d’efficacité y est plus faible qu’en Europe et aux USA) – pour l’offshore de 11 c€/ kWh à 15 c€/ kWh. Le kWh électrique éolien terrestre serait donc proche de la parité avec le réseau dans certaines régions d’Europe et aux USA mais l’off-shore qui est beaucoup moins développé (il l’est essentiellement en Europe) serait encore très loin. La parité peut être atteinte pour l’éolien terrestre d’ici 2015-2020 car on peut escompter à la fois une baisse progressive des coûts d’investissement d’ici à 2020 et de meilleures performances techniques des turbines (résistance aux turbulences). Il est vrai que les coûts de fonctionnement et de maintenance relativement faibles sont peut-être sous-estimés (ils le sont probablement pour l’éolien off-shore pour lequel l’expérience est encore limitée). On peut anticiper une baisse de 10% du kWh pour chaque filière en 2015.
Si le kWh éolien n’est pas loin du seuil de rentabilité ce n’est pas encore le cas pour l’électricité solaire photovoltaïque et thermodynamique (ou à concentration).

 La part de la production électrique mondiale assurée par les deux flières solaires est encore marginale (quelques pour mille), même si les investissements mondiaux dans le solaire (installations sur des bâtiments et centrales) enregistrent une très forte croissance depuis 2005. En 2011 ils ont représenté 147 milliards de dollars soit près du double de ceux consentis pour la filière éolienne (84 milliards de dollars). La puissance mondiale totale installée pour le solaire photovoltaïque s’élevait à 67 GW en 2011 (1,86 GW en 2000) – en France elle était de 1,9GW fin 2011- à laquelle il fait ajouter environ 2 GW de solaire à concentration. Les deux filières sont au point mais nécessitent toutes les deux des perfectionnements, voire des ruptures, pour atteindre le seuil de rentabilité (cf. Futuribles International, « L’énergie solaire : contraintes économiques et défis scientifiques », avril 2012, www.futuribles.com ). La structure de leurs coûts n’est pas identique car elles font appel à des techniques différentes. Pour la filière photovoltaïque elle dépend du type d’installation (panneaux sur des bâtiments ou centrales solaires). Les cellules solaires proprement dit ne représentent que 20 à 25 % du coût initial d’une infrastructure car le prix des cellules est en chute libre depuis dix ans (début 2012 il était inférieur à 1$ par watt pour les cellules en film mince au silicium amorphe). Le reste des coûts est imputable aux équipements électriques et au raccordement au réseau ainsi qu’au prix des terrains. Le coût du kWh produit (hors taxes, en moyenne mondiale) serait dans des fourchettes : – de 20 c€ à 52 c€ pour des installations résidentielles sans stockage de l’électricité et de 29 c€ à 57 c€ avec du stockage – de 21-47 c€ pour les centrales solaires. Les coûts de production vont varier d’une région à l’autre car ils dépendent de l’ensoleillement, mais ils sont aujourd’hui 5 à 10 fois plus élevés que celui du kWh réseau.

 
L’évalauation du coût du soliare à concentration est plus difficile car seuls l’Espagne et les Etats-Unis ont une expérience de cette filière (le Maroc en a une également mais avec des petites centrales notamment à Ouarzazate). La structure des coûts dépend beaucoup des techniques utilisées (soit des miroirs cylindro-paraboliques ou plans soit un champ de miroirs avec une tour centrale) et de la présence ou non d’installations pour le stockage de la chaleur qui est un atout de la filière. Une part importante de l’investissement initial (un tiers) correspond au coût du terrain pour le champ d’héliostats, la part du bloc moteur (turbine et alternateur) est relativement faible (de 15 à 30%). Les coûts de production du kWh varient, selon les conditions de stockage, de 11 c€ à 29 c€ pour les centrales à miroirs cylindro-paraboliques et de 14 c€ à 23 c€ pour les centrales à tour. L’écart par rapport au prix du kWh classique (nucléaire, hydraulique ou centrales à gaz) est encore important mais nettement plus faible que pour la filière photovoltaïque ; l’Espagne affirmant même que ses centrales prototypes en Andalousie sont proches de la parité avec le réseau.

Pour l’heure, c’est certainement le kWh éolien qui est le plus proche de la parité avec le réseau. Toutefois, on doit s’attendre à des baisses de coût pour les deux filières et l’on ne saurait exclure une possible rupture technique pour le solaire (de nouveaux types de cellules par exemple). On observera aussi que l’hydroélectricité n’a sans doute pas dit son dernier mot (la filière produit aujourd’hui 16% de l’électricité mondiale, légèrement plus que le nucléaire). Le coût du kWh hydroélectrique est en général très bas, il se situe dans une fourchette de 2 c€ /kWh à 15,2 c€ / kWh pour les grands barrages et de 2 à 21,6 c€/kW pour la mini-hydraulique. Les possibilités de la filière en Afrique et en Amérique du Sud ne sont pas négligeables. Quant aux autre filières renouvelables, la géothermie et les énergies marines, la quasi-totalité des scénarios énergétiques excluent qu’elles puissent contribuer de façon significative à la production d’électricité à l’horizon 2035. Ces données globales sur la production d’électricité à partir de sources renouvelables sont importantes, elles montrent la longueur du chemin qui reste à parcourir pour que le solaire finisse par percer. Le débat sur l’énergie de l’autome prochain en France devra intégrer ces données.


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