Le Japon face à son avenir énergétique: quelle leçon?

Image00014.pngLa catastrophe nucléaire de Fukushima a bouleversé la stratégie énergétique du Japon qui misait avant le tsunami dévastateur de mars 2011 sur un doublement de sa production d’électricité nucléaire d’ici 2030. Des choix énergétiques s’imposent donc plus que jamais pour un pays qui n’e dispose que de peu de ressources énergétiques sur son territoire. La publication récente de scénarios pour un mix électrique à l’horizon 2030 ouvre sans doute le débat. Pourra-t-on en tirer des leçons ?

Depuis la catastrophe de Fukushima qui a conduit à un arrêt total, en début d’année, des 50 réacteurs nucléaires japonais, la préoccupation majeure demeure l’approvisionnement électrique du pays : le réseau électrique pourra-il faire face aux pointes de consommation de l’été 2012 (avec traditionnellement une forte demande d’électricité pour la climatisation) ? Cette préoccupation, vive chez les industriels, a conduit le gouvernement japonais à décider fin juin la réouverture de deux réacteurs de la société Kansai electric à Ohi (une petite ville de l’ouest du japon près d’Osaka), en dépit des multiples protestations d’opposants au nucléaire mais aussi de citoyens inquiets des suites de la catastrophe de Fukushima. Des mesures d’économie d’énergie (cf. notre blog d’avril) avaient été prises dans les entreprises et les habitations, en 2011, elles sont reconduites cette année (une baisse de consommation de 11 % pour les entreprises et de 7% pour les particuliers avec des tarifs spéciaux pour encourager les économies baptisés Nega-Watt) ; les compagnies avaient annoncé une hausse du tarif du kWh pour le 1er avril, début de l’année fiscale au Japon, Tepco (l’opérateur de la centrale de Fukushima qui alimente Tokyo) augmente ainsi ses tarifs pour les entreprises de 17%.
L’approvisionnement énergétique à long terme du Japon est l’objet d’un débat depuis plusieurs années au Japon. Avant le 11 mars 2011, le « Plan énergie à l’horizon 2030 » du Japon prévoyait le doublement de la part de l’électricité nucléaire (passer de 25 à 50% avec la construction de quatorze centrales), il a été remis en cause et une commission gouvernementale d’experts a proposé, en juin dernier, quatre scénarios (ou « « options ») pour la production d’électricité qui doivent être débattus (D.Normile, "Growing distaste for nuclear power dims prospects for R&D", Science, vol. 336, p. 1220, 8 June 2012, www.sceincemag.org). Le premier scénario est de fait celui d’une sortie définitive du nucléaire à l’horizon 2030 : l’électricité serait produite à 35 % par un mix d’énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique et géothermie), à 50% par des énergies fossiles (du gaz notamment) et à 15 % par de la cogénération. Le deuxième maintient le nucléaire à hauteur de 15% pour la production électrique (il suppose de fait l’arrêt de plusieurs réacteurs) avec une baisse de production, les renouvelables contribuant à hauteur de 30%, les fossiles pour 40 % et la cogénération pour 15%. Le troisième propose un mix avec 20-25% de nucléaire, 25-30% de renouvelables, 30% de fossiles et de la cogénération toujours pour 15 %. Enfin le dernier scénario est franchement nucléaire : un mix avec 35 % de nucléaire, 25 % de renouvelables, 25 % de fossiles et 15 % de cogénération. Trois scénarios supposent le redémarrage des centrales existantes (elles poursuivraient leur carrière jusqu’à leur terme sans prolongation au-delà de 40 ans) mais son acceptation par l’opinion publique n’est pas acquise. Ces scénarios imposent de pousser la part de la production thermique notamment avec des centrales à gaz et d’augmenter la part des énergies renouvelables (le solaire principalement, probablement la géothermie et l’éolien off-shore). Les experts du comité ont souligné que leur scénario à haute dose de nucléaire était une « référence » et probablement pas une option viable après Fukushima.

Le gouvernement n’a pas pris position mais il incline probablement pour le deuxième scénario avec un mix de nucléaire à 15%, les industriels, quant à eux, sont favorables à un scénario avec un nucléaire à hauteur de 20-25% qui permettrait de maintenir une industrie nucléaire compétitive.
Il est difficile de savoir comment va s’organiser le débat sur ces options dans un pays qui n’est pas habitué à la transparence comme l’a montré la gestion de la crise de Fukushima, une partie importante de l’opinion publique étant aujourd’hui hostile au nucléaire. D’ores et déjà ces scénarios posent, en plus des problèmes politiques (le gouvernement et sa majorité parlementaire sont divisés sur beaucoup de sujet comme l’a montré un débat récent sur l’augmentation de la TVA) des questions de nature économique, scientifique, technique et industrielle. Les spécialistes du nucléaire dans le comité d’experts doutent (c’est leur penchant naturel) que l’on puisse faire monter rapidement en puissance les énergies renouvelables et que cette option est trop optimiste. Des études économiques faites par ailleurs (Institute of Energy economics Japan : Y.Matsuo mai 2012, www.eneken.ieej.org,   mai 2012) font ainsi état d’un coût actuel du kWh nucléaire de 9 yen (environ 9 c€, en France il serait proche de 4,5c€) et de 9,5 yen pour le kWh produit par du charbon, de près de 11 yen pour le kWh produit avec du gaz naturel importé. Quant au coût du solaire résidentiel, très développé au Japon, il s’établirait à 33-38 yen le kWh aujourd’hui. Cette même étude chiffre à 10 yen le coût du kWh photovoltaïque en 2030 (environ 10 c€) pour le résidentiel ce qui le rendrait compétitif avec les autre sources. Le Japon qui a déjà une forte avance sur le solaire prévoit d’amplifier son effort de recherche dans ce domaine ainsi que sur les batteries pour le stockage de l’électricité. Par ailleurs, la société PanaHome a annoncé son intention de construire une « eco-cité » à Ashiya dans la préfecture de Hygo (cf. Ambassade de France au Japon, BE, Japon 621) où seraient aménagés 100 000 mètres carrés de terrains publics pour construire, d’ici 2019, 300 maisons individuelles et 100 immeubles d’habitation, l’électricité devant être fournie par des panneaux solaires. Il est clair qu’une stratégie industrielle se dessine depuis plusieurs aénnées (comme en Allemagne) pour développer des systèmes produisant, stockant et utilisant des énergies renouvelables.

Il est trop tôt pour tirer des enseignements des réflexions sur l’énergie au Japon car le débat y est tout juste amorcé. Observons simplement que, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à des modèles économiques complexes pour les construire, les scénarios sont incontestablement utiles mais ils ne sont pas suffisants : il faut les « faire parler » et les chiffrer, notamment avec une évaluation des investissements qu’ils requièrent. Ils sont révélateurs de contraintes, de verrous à faire sauter (le stockage de l’électricité est l’un d’eux). Ils doivent être accompagnés d’hypothèse de nature géopolitique : quels risques court-on pour les approvisionnements énergétiques ? Comment respecte-t-on la contrainte climatique ? Une bonne prospective requiert aussi un recul historiuque, une retrospective, qui permet aussi de constater les erreurs de prévision qui ont pu être faites dans le passé (le cours du pétrole est un bon exemple…). Toutes ces questions devraient être posées à l’occasion du débat sur l’énergie en France à la rentrée. Cela exigera de copieux devoirs de vacances pour certains ..….


Publié

dans

par

Étiquettes :