Le gaz est-il promis à un avenir en or?

gaz_naturel.pngEn développant rapidement pendant la dernière décennie l’exploitation du gaz de schiste, les Etats-Unis ont bousculé les prévisions mondiales sur l’avenir de la production de gaz. La possibilité d’exploiter cette ressource non-conventionnelle a conduit à la fois à des espoirs et à un lever de boucliers, notamment en France où elle a été pratiquement interdite par une loi votée en 2011. Alors que les statistiques récentes montrent une progression continue de la demande et de la production mondiales de gaz, un rapport de l’AIE met en évidence les problèmes que pose de cette exploitation. Il est légitime de s’interroger à nouveau sur l’avenir de cette ressource : est-elle promise à un âge d’or ?

Observons d’abord que selon le rapport que vient de publier BP sur la consommation mondiale d’énergie en 2011 (BP, « Statistical review of world energy 2012 »,   www.bp.com ), la production mondiale de gaz a augmenté de 3,1% en 2011 (la consommation mondiale d’énergie primaire a progressé de 2,5 % stimulée par une croissance de 5, 4% du charbon). Si la production de l’UE a fortement baissé (- 11,4%), celle des Etats-Unis a progressé de 7,7% et celle du Qatar a bondi de 25,8%. La progression américaine ne fait que traduire la poursuite de l’exploitation massive des ressources non-conventionnelles de gaz dans ce pays. On remarquera d’ailleurs que l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) souligne depuis trois ans que les perspectives d’exploitation du gaz naturel étaient profondément modifiées par la possibilité d’exploiter des ressources non conventionnelles, en particulier le gaz extrait de schistes. L’exploitation du gaz de schiste s’est alors s’invitée dans le débat public en France, en 2011, alors que la question n’était pas tout à fait nouvelle.

 
Les gaz dits non-conventionnels sont en fait de nature assez différente
. Ceux-ci sont piégés soit dans des roches peu perméables (les schistes), soit dans des veines de charbon (c’est l’origine du grisou), soit dans des réservoirs complétement étanches (un gaz baptisé « tight gas » en anglais, une distinction assez floue avec le gaz de schiste) dont il faut les extraire. L’appellation gaz de schiste provient d’une mauvaise traduction de l’anglais shale gas. Shale désigne une roche sédimentaire à grains très fins d’origine argileuse ou marneuse En fait le gaz dit de schiste est plutôt contenu dans des argiles et des marnes litées (formées en couches superposées) qui sont imperméables, le gaz étant inséré dans des microcavités qui ne communiquent pas entre elles, il ne diffuse pas (la roche est à la fois une roche mère où s’est formé le gaz, le plus souvent du méthane, et une roche « magasin »). Quoi qu’il en soit, l’extraction du gaz est plus complexe que dans des réservoirs classiques de gaz « conventionnel ». Les américains ont mis au point la méthode de la fracturation hydraulique (hydrofracturation) qui consiste à injecter un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques (notamment des détergents) sous haute pression afin de fissurer la roche et d’évacuer le gaz. La fracturation terminée, on pompe l’eau à la surface pour récupérer le gaz.
L’AIE évoque, depuis 2010, l’avènement possible d’un « âge d’or » pour le gaz : une forte croissance de sa production stimulée par l’exploitation des ressources non-conventionnelles par les techniques d’hydrofracturation développées aux USA. Dans un rapport récent (« Golden rules for unconventional gas prospects »,  www.aie.org), celle-ci prévoit ainsi que la production mondiale de gaz non-conventionnels pourrait tripler d’ici 2035 permettant d’augmenter de 50% la production mondiale. Ce rapport envisage un scénario optimiste d’exploitation des gaz non-conventionnels qui changerait certainement le marché mondial du gaz (celui-ci représenterait 25% de l’énergie primaire mondiale en 2035 dépassant le charbon). Outre les USA, le Canada, la Chine, l’Australie, le Mexique, l’Argentine et, dans une certaine mesure la Pologne deviendraient des producteurs importants de gaz que les USA n’importeraient plus. L’AIE rappelle toutefois que ce scenario ne serait pas favorable au climat car la baisse du coût du gaz stimulerait sa consommation et augmenterait les émissions de gaz à effet de serre, la perspective d’une limitation à 2°C le réchauffement de la température de l’atmosphère serait alors hors d’atteinte. Il suppose des conditions économiques favorables et surtout une « acceptabilité » par la société des techniques d’exploitation qui devraient éviter des dégâts « collatéraux ».

L’exploitation des gaz non-conventionnels provoque en effet des dégâts collatéraux car on s’est aperçu que les techniques d’hydrofracturation, n’étaient pas sans inconvénients pour l’environnement : risques de microséismes, pollution des sols et les nappes phréatiques par les additifs chimiques (même si les gisements sont très profonds). C’est ce constat qui a conduit à ouvrir un débat dans certains pays, dont la France qui a interdit par la loi, en 2011, l’exploitation du gaz de schiste par ces techniques. Revenant sur la question des risques, l’AIE propose dans son rapport l’adoption de règles pour éviter un impact environnemental de l’exploitation des ressources non-conventionnelles de gaz si celle-ci se développait comme elle le croit.
C’est l’objet des « règles d’or » que propose l’AIE qui sont au nombre de sept. Il faut d’abord mesurer les effets de l’exploitation et avoir ainsi des indicateurs rendus public afin d’opérer en toute transparence. Il est nécessaire ensuite de surveiller les lieux de forage (le sous-sol comme le sol). Trois autres règles concernent le forage : – il faut isoler les puits en les cimentant pour éviter les fuites d’eau et de polluants – l’eau utilisée doit être traitée de façon responsable pour éviter des pollutions chimiques et des prélèvements excessifs sur les nappes – on doit prévenir les fuites de gaz. Les deux dernières règles sont assez globales : les exploitants doivent être prêts à « penser grand », c’est-à-dire à envisager des investissements lourds pour construire des infrastructures qui vont permettre de faire face à tous les risques et enfin ils doivent assurer un très haut niveau de performance environnementale sur les gisements exploités. La définition de ces règles d’or incombe aux pouvoirs publics (nationaux ou régionaux) qui doivent engager un débat avec les populations concernées avant toute exploitation, et promulguer des réglementations dont ils doivent vérifier l’application. Ces règles imposeront un surcoût à l’exploitation que l’AIE chiffre à 7% par puits foré (le coût des forages dépend des conditions géologiques et varierait de 4 à 12 millions de dollars par puits).

Les règles que propose l’AIE ne sont peut-être pas totalement dorées mais elles ont l’avantage de rouvrir une débat qui a été rapidement clos en France par l’adoption de la loi interdisant l’exploitation des ressources de gaz non-conventionnel par fracturation hydraulique. Le rapport de l’AIE rappelle d’ailleurs que si la France n’est pas un eldorado du gaz de schiste, les ressources exploitables n’y sont pas négligeables (Dans le Sud-est, la région de Montélimar, et dans le Bassin Parisien où il existerait en prime du pétrole). L’avenir des gaz non-conventionnles, ils ne sont certes pas une panacé, dépendra de l’adoption de réglemntations strictes qui sont à peine ébauchées, la question est d’ailleurs posée en Pologne, mais ce serait sans doute une erreur pour un pays comme la France de se priver d’une ressource si les conditions de son exploitaion étaient sériuesement contrôlées en toute transparence (la question se pose pour le pétrole off-shore de la Guyane). La transition énergétique vers une économie réduisant de façon drastique sa consommation d’énergies carbonées (et donc de gaz) prendra au minimum deux à trois décennies et l’utilisation contrôlée (sur les plans économique et environnemental) de ressources fossiles (la facture énergétique de la France dans ce domaine est d’environ 65 milliards d’euros), en période crise ne doit pas être exclue par des décisions prises à la légère.


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