Les défis de la politique énergétique de la France

Image00030.pngLa question énergétique a été essentiellement abordée à l’occasion de la campagne présidentielle à travers le prisme de l’énergie nucléaire – quelle part devrait-elle avoir dans la production d’électricité ?- et de celui du prix des carburants. L’avenir de la politique énergétique française ne saurait se résumer à ces seules questions, et l’élection d’un nouveau président, François Hollande, est l’occasion de réfléchir aux grandes options de la politique énergétique française.

L’avenir du mix énergétique français (la part des différents filières dans la production et la consommation) dépendra à la fois de l’avancée des négociations internationales sur le climat (peu d’avancées probables à court terme), du prix des hydrocarbures, des possibilités du nucléaire (notamment de la filière de l’EPR), du progrès des filières renouvelables et de l’efficacité énergétique. Tout mix énergétique devra être cohérent en termes techniques et économiques (en tenant compte par exemple des investissements pour la distribution) et accepté par l’opinion. C’est le défi auquel va être confrontée la politique énergétique française pendant le mandat du nouveau président.

La commission « Energie 2050 », mise en place par le gouvernement précédent, avait étudié les scénarios possibles, en particulier pour le nucléaire et si François Hollande n’a pas envisagé que la France sorte du nucléaire, il entend faire baisser, à l’horizon 2025, la part du nucléaire de 75 à 50% dans la production d’électricité (seule la centrale de Fessenheim serait fermée avant 2017) et faire monter en puissance les énergies renouvelables. La plupart des scénarios s’accordent pour estimer que le coût du kWh produit par les renouvelables sera le plus élevé d’ici 2030 (il faut pallier leur intermittence) et si l’option de réduction progressive de la part du nucléaire (jusqu’à 50 %) est praticable, elle sera sans doute coûteuse. Elle suppose la prolongation de la durée de vie d’une partie du parc nucléaire actuel, dit historique, au-delà des quarante ans de vie prévue initialement, mais qui nécessitera des investissements (alors que le coût des mesures post-Fukushima n’est pas complétement chiffré) ; cette option fournirait un kWh le moins cher (dans une fourchette de 35 à 75 €/ MWh selon la « dose » d’EPR à long terme). La politique nucléaire française devra donc prendre en compte la nécessité de maintenir en activité une partie du parc actuel, la mise en route de la filière EPR et, pour le long terme, décider le maintien ou non de l’option des surgénérateurs (la IVe génération du nucléaire). L’option nucléaire supposera une bonne dose de R&D, en particulier sur la sûreté et les surgénérateurs. Il n’est pas exclu, non plus, que la filière de la fusion thermonucléaire (le projet Iter), dont la mise en oeuvre n’est pas envisageable avant 2050, connaisse une « crise » si les coûts du réacteur Iter venaient à dépasser l’enveloppe financière actuelle de 16 milliards d’euros ce qui pourrait conduire à abandonner le projet, ou le restructurer totalement.

L’option des énergies renouvelables va évidemment connaître, sinon un « aggiornamento », du moins une sérieuse accélération. Pour l’heure, la France ne produit que 2% de son électricité à partir d’énergies renouvelables (essentiellement l’éolien). La filière éolienne est probablement sous-exploitée en France et l’éolien off-shore connaît depuis peu une forte accélération. Quant à l’énergie solaire, on sait qu’il connaît, en France et plus généralement en Europe (sauf en Espagne et en Italie semble-t-il) une crise pour des raisons à la fois financières et industrielles. La relance du solaire suppose donc tout à la fois une politique claire et réaliste de soutien publics aux investissements par la voie fiscale et des tarifs de rachat de l’électricité produite (les marges de manoeuvre sont réduites compte de la situation des finances publiques), une politique de recherche dynamique et un soutien aux entreprises du secteur, en particulier aux PME innovantes. Les options scientifiques et techniques restent ouvertes pour le solaire, nous l’avons souvent souligné. Pour le photovoltaïque il faut explorer d’autres voies que le silicium (d’autres semi-conducteurs, l’exploitation d’effets de surface pour amplifier l’absorption de la lumière etc.), tout en ne négligeant pas l’option de la filière thermodynamique, exploitée en Espagne, qui permettrait de prendre pied sur des marchés d’exportation. Pour compléter ce rapide tableau, rappelons que le développement des filières renouvelables passe aussi nécessairement par la mise au point de systèmes de stockage performants et fiables de l’électricité (des batteries en particulier) et la mise en service de nouveaux réseaux électriques. Tout cela suppose la relance d’une dynamique.

La politique énergétique ne peut pas être exclusivemnt focalisée sur la production d’électricité alors que les filières énergétiques sont très diverses (il existe des marges d’efficacité énergétique considérables dans le bâtiment et sur les moteurs thermiques actuels, la production de biocarburants et le parapétrolier sont des atouts pour la France) et sur l’offre d’énergie. Cette politique devra nécessairement prendre en compte la nécessité de réaliser des économies d’énergie, grâce notamment à une meilleure efficacité énergétique des systèmes de transport et dans le bâtiment (dans la ligne du Grenelle de l’environnement). Cela suppose d’envisager les incitations fiscales notamment, permettant de peser sur la demande d’énergie et le rôle des commandes publiques dans les secteurs du transport et du bâtiment. Une politique de l’énergie échappera difficilement, si elle veut être efficace à long terme, à une remise à plat complète de la fiscalité de l’énergie avec l’option de la taxe carbone.

 Le contexte d’austérité financière n’est pas favorable à une taxation supplémentaire de l’énergie et ce d’autant plus que nombre de familles françaises sont dans une situation de « précarité énergétique » (il en va de même en Allemagne où le prix du kWh est supérieur à celui que nous connaissons en France mais ce n’est pas une consolation). Le nouveau gouvernement a prévu un soutien accru aux familles qui sont dans une telle situation. Dans un scénario « 2017 » (cf. Pierre Papon, « 2017 : des élections dans la tourmente énergétique », Futuribles,, 385, p. 59-61, mai 2012, www.futuribles.com) nous avons ainsi envisagé la mise en place d’un « Revenu de Solidarité Energétique Active » (RSEA), destiné à compenser, pour les ménages, le tiers de la charge financière représentée par la consommation d’électricité et de gaz pour l’habitat et celle des carburants pour les déplacements professionnels. Le RSEA prendrait la forme d’un crédit d’impôts ou d’un chèque énergie pour les ménages non-imposables (seuls 4 millions de ménages aux revenus modestes devaient en bénéficier) et son attribution serait assortie de conditions complexes (par exemple l’utilisation des véhicules à faible émission de CO2 et l’amélioration de l’efficacité énergétique de l’habitat). Son financement étant assuré partiellement par une taxation des produits pétroliers, du gaz et du kWh électrique. Utopie ? Peut-être mais qui devrait être confrontée à la réalité économique.

 Il reste aussi que tout ne saurait être réglé par l’Etat, la volonté décentralisatrice du nouveau gouvernement peut être un atout pour une politique énergétique dans la mesure où l’efficacité énergétique passe souvent par le « local » (transports collectifs, opérations d’urbanisme). Les agences d’urbanisme de deux villes, Grenoble et Tours (www.atu37.org), on récemment publié des schémas énergétiques à long terme (2030) pour leur agglomération très intéressants. Ils montrent bien que des marges de manœuvre importantes existent pour l’efficacité énergétique au niveau local : "la ville post-carbone". La mise en place de contrats entre l’Etat les agglomérations pour soutenir leurs initiatives serait probablement une voie à explorer.

Les défis auxquels sera confrontée la politique énergétique française sont considérables. Ils seront certainement l’objet de débats importants cet automne à la faveur de la concertation que le nouveau gouvernement doit engager avec tous les partenaires sociaux et des mouvements associatifs. Au plan gouvernemental cette politique suppose une collaboration étroite de trois pôles ministériels : le ministère de l’écologie en charge de la politique de l’énergie, le ministère du redressement productif (l’industrie) et le ministère de la recherche. C’est sur ce triptyque que reposera la stratégie énergétique dont la dimension européenne devrait subir une sérieux aggiornamento. La politique de la recherche devra être revue pour être dynamisée, ceci supposerait sans doute un rôle nouveau pour l’ADEME qui pourrait jouer un rôle de catalyseur pour soutenir des projets à « risque » ouvrant des voies nouvelles. Les chantiers ne manqueront donc pas au nouveau gouvernement.


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