Les scénarios énergétiques au Japon après Fukushima: adieu Kyoto?

Image00059.jpgLe violent tsunami qui a suivi le tremblement de terre de Tohoku, le 11 mars 2011, et provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima, a conduit le gouvernement japonais à arrêter le fonctionnement des centrales nucléaires qui assuraient le quart de la production de l’électricité du pays. Privé d’une part importante de sa production électrique, le Japon a décidé des mesures d’économie mais il se trouve dans une grande incertitude sur son avenir énergétique. Un nouveau plan pour l’énergie est en cours d’élaboration, il soulève bon nombre de questions.

 
Alors qu’avant la catastrophe de Fukushima qui a mis hors service 6 réacteurs de la société Tepco (trois étaient à l’arrêt au moment du séisme), 54 réacteurs nucléaires produisaient le quart de l’électricité du Japon, en avril, un seul réacteur nucléaire était encore en fonctionnement à la centrale de Tomari dans l’île de Hokkaido, au nord du Japon, et il devrait sans doute être arrêté, en mai, pour subir des « stress tests », tous les autres réacteurs japonais étaient à l’arrêt. Début 2012, la chute de production d’électricité était de 13,5 %, après la remise en marche de centrales thermiques au fuel, au charbon et surtout au gaz ce qui a conduit le pays à importer massivement du gaz liquéfié depuis un an.
A court terme, la préoccupation majeure demeure l’approvisionnement électrique du pays : le réseau électrique pourra-il faire face aux pointes de consommation de l’été 2012 (avec traditionnellement une forte demande d’électricité pour la climatisation) ? En effet, il est peu probable que les centrales nucléaires recevront l’autorisation de redémarrer, deux réacteurs nucléaires de la centrale de Kansai ont passé les « stress test » avec succès qui ont reçu la « bénédiction » gouvernementale mais ils ne seront remis en marche qu’avec l’autorisation des autorités locales, les gouverneurs élus et les préfets, qui prendront sans doute leur temps…

 Pendant l’été 2011 des mesures d’économie d’énergie avaient été prises dans les entreprises et les habitations, des escalators avaient été arrêtés dans le métro de Tokyo (pourtant très profond), etc. Elles seront reconduites cette année (une baisse de consommation de 11 % pour les entreprises et de 7% pour les particuliers avec des tarifs spéciaux pour encourager les économies baptisés Nega-Watt) et, outre le recours à la production thermique, les autorités comptent sur une meilleure interconnexion du réseau électrique (il existe deux réseaux au Japon…), le recours au photovoltaïque et au stockage dans des barrages pour passer les pointes et (Institute of energy Economics, Japan, Brief No 18, March 2012, eneken.iejj.or.jp ). Toutefois, tout incident dans une centrale laisserait peu de marge de manœuvre pour faire face aux pointes. Une mauvaise surprise complète le tableau : les compagnies ont annoncé une hausse du tarif du kWh pour le 1er avril, début de l’année fiscale au Japon, Tepco (l’opérateur de la centrale de Fukushima qui alimente Tokyo) augmente ainsi ses tarifs pour les entreprises de 17%.
L’approvisionnement énergétique du Japon à long terme est l’objet d’un débat.

Avant le 11 mars 2011, le « Plan énergie à l’horizon 2030 » du Japon qui prévoyait le doublement de la part de l’électricité nucléaire (passer de 25 à 50% avec la construction de quatorze centrales) est remis en cause et une commission gouvernementale doit en proposer un nouveau, en principe cet été. Plusieurs scénarios sont discutés avec une fourchette de production d’électricité nucléaire de 15-25 % est envisagée supposant le redémarrage des centrales existantes (elles poursuivraient leur carrière jusqu’à leur terme sans prolongation au-delà de 40 ans) et son acceptation par l’opinion publique qui n’est pas acquise (beaucoup d’observateurs estiment que ce n’est pas impossible). Ces scénarios imposeraient alors de pousser la part de la production thermique à 40-30%, notamment avec des centrales à gaz et d’augmenter la part des énergies renouvelables (le solaire principalement) qui passerait de 20% dans le plan initial à environ 30 %. La relance partielle du nucléaire impose, outre des « stress test » des réacteurs en cours, la mise en place d’une nouvelle autorité de sûreté nucléaire crédible et indépendante, l’actuelle agence de sûreté (la NISA Nuclear and Industrial Safety Agency sous la tutelle du METI, le Ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie) sortant discréditée de la crise de Fukushima. Le principe de cette création, en débat depuis plusieurs années, est désormais acquis et les modalités de fonctionnement de l’Agence sont en discussion à la Diète (elle serait sous la tutelle du ministère de l’environnement).

L’avenir du nucléaire au-delà de 2030 est beaucoup plus incertain, le Japon a certes investi dans la quatrième génération, celle des surgénérateurs (avec un réacteur refroidi de Monju au sodium), mais la poursuite des travaux sur cette filière est aléatoire.
Le Japon a beaucoup misé sur les énergies renouvelables et il est sans doute le leader mondial des techniques photovoltaïques comme le montre sa part de brevets dans le solaire (le No 1 mondial, une retombée de ses investissements dans le silicium en électronique), il est en pointe sur les batteries (celles au lithium notamment) qui sont indispensables pour le développement des énergies renouvelables, par essence intermittentes, et qui nécessitent des systèmes de stockage de l’électricité performants (Ambassade de France au Japon, Les nouveaux objectifs pour les énergies renouvelables au sein du bouquet énergétique japonais, mars 2012). Il développe également ses recherches sur les nouvelles générations de biocarburants, en particulier produits à partir d’algues (modifiées génétiquement). Le Japon a peu développé l‘éolien terrestre car, balayé par des typhons, son territoire s’y prête mal, il semble miser toutefois sur l’éolien off-shore avec des plateformes flottantes (un pari risqué !). Il est très probable que la crise provoquée par la catastrophe de Fukushima amplifiera ces orientations avec de nouveaux investissements dans les énergies renouvelables.

  Il est trop tôt pour tirer des enseignements de la catastrophe de Fukusima (il faudra au moins dix ans pour comprendre le scénario de l’accident avec encore une interrogation sur son déroulement exact sur le réacteur No1 avant l’arrivée du tsunami) et sur ses suites. Constatons simplement déjà que le Japon a pu faire face à une « disparition » en quelques semaines de près du quart de son approvisionnement électrique (une « sortie » imposée et rapide du nucléaire). Il est vrai que la forte discipline collective traditionnelle dans la société japonaise a facilité cette transition brutale. On observera aussi que la diète électrique japonaise se traduit par une forte augmentation du prix de l’électricité qui n’est probablement pas finie et par une relance de la consommation des combustibles fossiles, notamment du gaz pour les centrales. Même s’il s’en défend (les scénarios en discussion prévoient le remplacement par du gaz du charbon et du fuel des centrales qui émet moins de CO2), ce retour au thermique du Japon se traduira par une hausse probable et durable des émissions de CO2 en dépit de l’adhésion du Japon au procole de Kyoto, jusqu’en 2012, dont on ne parle plus guère.
Il faut certes se garder d’extrapoler la situation japonaise, mais la question du devenir des émissions de CO2 se posera inéluctablement en Europe pour des pays comme l’Allemagne qui ont choisi d’abandonner le nucléaire après Fukushima..

Au plan international, la catastrophe de Fukushim appelle au renforcement des recherches sur la sûreté des réacteurs (la modélisation de situations accidentelles, le vieillissement des matériaux des structures irradiés, le comportement de l’uranium lors d’accidents notamment la fusion d’un cœur de réacteur). Le rôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique devrait être renforcé dans ce domaine ce que les Etats ne sont pas encore prêts à admettre. Il sera aussi intéressant de suivre la politique de l’énergie japonaise post-Fukushima, en particulier les orientations qu’il va donner à ses investissements dans les énergies renouvelables.


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