La croissance continue du prix des carburants depuis près de deux ans ainsi que celle du gaz et de l’électricité illustre une tendance lourde et de grande ampleur : l’augmentation du prix de l’énergie en Europe pèse de plus en plus sur le budget des ménages européens. Plusieurs études montrent clairement les tendances récentes et prévisibles de l’évolution de la facture énergétique des ménages. Il est opportun de s’interroger sur l’incidence de cette hausse du coût de l’énergie sur les revenus des ménages et sur les correctifs qui pourraient être apportés à cette situation.
Une étude récente de la
société Enerdata (un bureau d’étude
grenoblois, Enerdata, What is the future for housing energy expenditures? www.leonardo-enery.org)
sur la facture énergétique des ménages européens montre que si les
consommateurs ont bénéficié pendant les années 1990 d’une relative stabilité
des prix de l’énergie, il n’en est plus de même depuis une décennie. Ainsi les
prix du gaz et du pétrole ont-ils augmenté de 40% depuis l’an 2000, ceux du
charbon de 50% et de l’électricité de 20%.
Les dépenses d’énergie des ménages en Europe (pour leurs dépenses d’énergie à
la maison : chauffage, eau sanitaire, éclairage, etc.) ont augmenté en
moyenne de 40% depuis 2000 alors que la consommation baissait de 10%. Ces
hausses ont été inégales en Europe, ainsi les ménages tchèques ont-ils vu leur
facture énergétique tripler en dix ans alors que leur consommation baissait de
8%, tandis que c’est l’augmentation de 40% du prix du charbon qui a le plus
pesé sur le budget énergétique des ménages en Pologne. En Allemagne, l’augmentation
de 60% des dépenses des ménages pour l’énergie est due pour l’essentiel à une
augmentation de 60% du prix de l’électricité (dont la moitié résulte d’une
forte croissance des taxes) et de 50% du prix du gaz. La France se trouve
relativement protégée par un coût de l’électricité qui reste bas (à 75%
d’origine nucléaire) : l’augmentation du coût de l’énergie y a été au-dessous
de la moyenne européenne. On observera d’ailleurs que bien que la consommation
d’énergie se soit stabilisée en France sur la période 2000-2010 (la crise y
contribuant), la consommation d’électricité a augmenté de 4,5% depuis cinq ans
(Commissariat Général au Développement durable, La production d’électricité en
région, No 119, mars 2012).
La comparaison des dépenses d’énergie des
ménages des pays de l’UE montre que la dépense moyenne annuelle pour le panier
énergétique s’élevait à 1700 € en 2010, elle était de 2400 € en République
tchèque, de 2100 € en Allemagne, de 1550 € pour la France et de 1450 € au
Royaume Uni. Le climat explique en partie la différence : elle représente 8%
du revenu familial en Suède et près de 9% en Pologne. Les ménages français (4 %
du revenu familial consacré à l’énergie) sont en dessous de la moyenne
européenne (5% du revenu familial), il en va de même au Royaume-Uni, les
ménages espagnols bénéficiant d’un climat plus clément ont la dépense la plus
faible (3,5 % de leur revenu).
Selon Enerdata,
l’avenir énergétique n’est sans doute pas rose car la facture énergétique des
familles va s’alourdir d’ici à 2030 avec une croissance qui serait comprise
dans une fourchette de 15 à 30% selon les scénarios énergétiques pris en
considération (elle serait dans le bas de la fourchette pour le scénario de
base de l’AIE). La dépense énergétique sera probablement soumise à deux
tendances contradictoires : une hausse des prix de l’énergie sur les
marchés internationaux (une hausse de 50% du prix du pétrole, de 80% pour celui
du gaz et de 30 % pour le charbon?), qui augmenterait de 20 % le prix de
l’énergie domestique contrebalancée par une baisse difficilement chiffrable de
la consommation d’énergie par les ménages. Des inconnues fortes demeurent, le
prix du gaz par exemple (il a fortement chuté aux USA), l’instauration possible
d’une taxe carbone en Europe est certainement la plus importante car elle
pourrait augmenter de 75% le prix de l’énergie, et dans ce cas de figure, malgré
une baisse de la consommation qui pourrait atteindre 25 %, la dépense
énergétique moyenne pour un ménage européen passerait à 2250 € en 2030 (en
euros 2010). Dans ce scénario « climatique » l’ensemble des taxes
représenterait 85% du coût de l’énergie. Le développement des énergies
renouvelables permettrait sans doute d’atténuer l’incidence des hausses du prix
de l’énergie car leur coût ne dépend pas de la conjoncture internationale.
Il ne faut pas oublier
que ce coût de l’énergie pèse fortement sur la dépense énergétique de pays
comme la France puisque sa facture énergétique s’est élevée à 61,4 milliards
d’euros en 2011, en augmentation d’un tiers par rapport à 2010, elle représente
désormais 3 % du PIB du pays. C’est une donnée importante dont il faut tenir
compte. Par ailleurs, dans le cas de la France comme dans celui de la plupart
des pays européens sans doute, la facture énergétique accroît les inégalités
sociales. C’est le constat fait par l’« Observatoire de la précarité
énergétique » dans son récent rapport qui relève que de nombreux ménages
(en particulier des personnes âgées dans les zones rurales vivant dans de
l’habitat ancien) ont le plus grand mal à faire face à leur dépenses d’énergie
et sont endettés. Ils bénéficient certes d’une « ristourne » annuelle
pour l’électricité (95 € en moyenne) et pour le gaz (142 € pour un ménage de
quatre personnes se chauffant au gaz) mais il est clair que celle-ci n’est
qu’un petit palliatif.
Trouver des mesures
pour réduire la « fracture énergétique » dans un contexte de
crise économique rampante et avec une perspective d’augmentation croissante du
coût de l’énergie n’est pas aisé et ce d’autant plus que la lutte contre le
réchauffement climatique (oubliée dans les débats actuels en France…) passe
sans doute par une taxation des énergies carbonées. Le gouvernement a mis en
place une « prime » à la cuve pour aider les ménages modestes qui se
chauffent au fioul et des aides pour la rénovation thermique des logements
anciens. François Hollande, quant à lui, propose un blocage temporaire des prix
des carburants (qui risque d’être un coup d’épée dans le pétrole…) et une
nouvelle tarification du gaz et de l’électricité avec un forfait énergétique de
base pour chaque foyer, ces mesures seraient probablement financées via des
taxes sur l’énergie qui, on l’a noté, vont s’accroître. Une mesure pourrait
consister à créer un Revenu de Solidarité Energétique Active (RSEA) destiné à
compenser, pour les ménages aux revenus modestes, le tiers de la charge
financière représentée par la consommation d’électricité et de gaz pour
l’habitat et celle des carburants nécessaires aux déplacements professionnels.
Le RSEA prendrait la forme d’un crédit d’impôts ou d’un chèque énergie pour les
ménages non-imposables dont l’attribution pourrait être assortie de conditions
(par exemple l’utilisation des véhicules à faible émission de CO2 et
l’amélioration de l’efficacité énergétique de l’habitat). Son financement
pourrait être assuré par une partie des taxes sur les produits pétroliers, le
gaz et le kWh électrique (notamment la Contribution au service public de
l’électricité qui supporte déjà l’aide aux énergies renouvelables…).
En fait les mesures
tendant à limiter l’incidence sociale et économique de l’augmentation
inéluctable du prix de l’énergie ne régleront que partiellement les problèmes.
La transition énergétique appelle des mesures de fond pour stimuler les
économies d’énergie, préparer les relais aux énergies carbonées, bref une
véritable politique de l’énergie.