Quelles options nucléaires pour la France?

Image00059.jpgLes questions énergétiques sont au cœur de l’actualité : hausse du prix du baril de pétrole, soutien aux énergies renouvelables, avenir du nucléaire après la catastrophe de Fukushima, etc. Des scénarios, un rapport de la Cour des comptes sur le coût du nucléaire, le rapport de la commission «Energies 2050» et les programmes des candidats à l’élection présidentielle contribuent à mettre en débat  les choix énergétiques en France, en particulier ceux concernant le nucléaire. Quelles sont les options et avec quels critères peut-on les évaluer ?

   Au lendemain de la catastrophe de Fukushima, le ministre de l’économie, Eric Besson, a chargé une commission (présidée par Jacques Percebois, Claude Mandil en étant le vice-président) d’étudier les scénarios pour la politique énergétique de la France à l’horizon 2050 (le Parlement devant examiner en 2013 un plan de programmation pluriannuelle des investissements pour l’énergie). La lettre de mission demandait d’examiner quatre scénarios pour la filière nucléaire : – la prolongation du parc actuel – l’accélération du passage de la troisième à la quatrième génération – une réduction progressive de la part du nucléaire – la sortie du nucléaire. Le rapport de cette commission vient d’être publié, il est intéressant d’en analyser les principales conclusions (www.economie.gouv.fr/remise-rapport–energies-2050 .

   Dans la perspective d’une poursuite de la croissance (modérée) de la demande mondiale d’énergie (tirée notamment par la Chine), le rapport souligne que la menace d’un réchauffement climatique exercera une contrainte forte sur toutes les politiques énergétiques mais aussi que celles-ci devront être « acceptées » par l’opinion publique. S’agissant de l’Europe, le rapport compare les stratégies contrastées de l’Allemagne (après sa décision de sortir du nucléaire) et du Royaume-Uni. La sortie du nucléaire aura un coût très élevé pour l’Allemagne avec une incertitude sur l’avenir de la filière solaire où elle a beaucoup investi (plusieurs entreprises allemandes come Qcells connaissent de graves difficultés et le gouvernement allemand vient de baisser les avantages fiscaux consentis à la filière) et se traduira sans doute par une recrudescence des émissions de CO2 en début de transition ; quant au Royaume-Uni, il donnera une priorité à la lutte contre le réchauffement climatique avec une diversification des filières non-carbonées et une reprise de la construction de centrales nucléaires. L’avenir du mix énergétique français dépend à la fois de l’avancée des négociations internationales sur le climat, du prix des hydrocarbures, des possibilités du nucléaire (notamment de la filière de l’EPR, les réacteurs de troisième génération du type de celui qui est en construction à Flamanville), du progrès des filières renouvelables et de l’efficacité énergétique.

  Plusieurs scénarios sont envisageables pour le nucléaire. A côté des deux scénarios « extrêmes » : – le maintien de la part actuelle du nucléaire (70-75%) dans la production d’électricité ou une sortie progressive à l’horizon 2030 (préconisée par le scénario NégaWatt) – des solutions intermédiaires sont envisagées qui vont d’une part soit de 50% dans la production d’électricité (solution préconisée par François Hollande pour l’horizon 2025) soit de 20 %. La commission « énergies 2050 » a passé au crible ces scénarios en faisant un remarquable travail de comparaison de leurs hypothèses portant sur des paramètres comme les émissions de CO2, le prix de l’énergie (avec deux coups de projecteur sur le nucléaire et les renouvelables), l’emploi et la sécurité des approvisionnements. Observons d’abord qu’il subsiste quelques inconnues dans l’évolution des coûts complets de la filière nucléaire que la Cour des comptes a en partie levées dans son récent rapport sur « Les coûts de la filière électronucléaire » (www.ccomptes.fr ) : le coût du démantèlement des réacteurs en fin de carrière (estimé au total à 18,4 milliards € pour EDF), la gestion des déchets, le coût des mesures de sûreté préconisées après Fukushima (environ 10 milliards €) et bien sûr le coût des dégâts que causerait un grave accident. Tous comptes faits, la Cour estime que le coût de production du MWh nucléaire se situerait dans une fourchette de 33,4 € à 49,5 € en 2010 (les différences importantes provenant de la façon de tenir compte de l’amortissement du parc des 58 réacteurs existants). La commission estime que dans la plupart des scénarios la sortie du nucléaire se traduirait par un besoin important d’investissements dans les énergies renouvelables et les centrales thermiques à gaz qui aurait un fort impact sur les coûts de production de l’électricité, une baisse forte de la consommation énergétique pouvant amortir ce choc financier à moins, comme le préconise le scénario NégaWatt de changer radicalement les modes de vie (les promoteurs de ce scénario ont refusé de participer aux travaux de la commission). Le rapport constate que la plupart des scénarios s’accordent pour estimer que le coût du kWh produit par les renouvelables serait le plus élevé d’ici 2030 (il faut pallier leur intermittence en construisant des centrales à gaz d’appoint notamment pour faire face aux pointes). Parmi les quatre hypothèses évoquées dans leur lettre de mission, les experts estiment que c’est celle de la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire actuel, dit historique, au-delà des quarante ans de vie prévue initialement (6 réacteurs atteindront celle limite entre 2017 et 2019) pour les réacteurs qui est la plus réaliste (sous réserve que l’Autorité de sûreté nucléaire accorde son feu vert, il faudra aussi investir lourdement pour rénover les réacteurs) car elle serait la moins coûteuse en investissements et fournirait un kWh le moins cher (dans une fourchette de 35 à 75 €/ MWh selon la « dose » d’EPR qui serait construite), une accélération du passage à la quatrième génération de réacteurs (les surgénérateurs utilisant le plutonium) ne paraissant pas crédible.

Les options de réduction progressive de la part du nucléaire (jusqu’à 50 % par exemple) sont praticables mais plus coûteuses (il faut faire appel aux énergies renouvelables toute en palliant leur intermittence, construire des lignes électriques), quant à l’option de sortie du nucléaire elle aboutirait au coût du kWh le plus élevé. Le CEA a chiffré de son côté ces options et ses estimations ne sont pas très différentes (il chiffre à 350 milliards € le surcoût d’une sortie du nucléaire par rapport au maintien du scenario actuel).

 Les critères de choix d’un « mix » énergétique sont prseque tous de nature politique (ils peuvent aussi être fondés sur des considérations « idéologiques » : changer de modes de vie) mais ce type de rapport a le mérite de mettre en évidence les critères à prendre en compte et de montrer que la transition énergétique dans laquelle on s’engagera aura un coût: le prix de l’électricité qui un impact sur le revenu des ménages et la compétitivité de l’industrie (la France a un avantage de ce point de vue) , le montant des investissements, les emplois industriels (avec une forte incertitude sur leur nombre, l’ADEME les chiffrant à environ 80 000 dans les énergies renouvelables et les emplois directs dans la filière nucléaire seraient selon plusieurs sources d’environ 125 000), l’impact sur la compétitivité du prix de l’électricité, les inconnues techniques (le comportement de l’EPR notamment), les enjeux de la R&D et last but not least la capacité d’une filière à réduire les émissions de CO2. S’agissant de R&D, les travaux sur les filières nucléaires (la quatrième génération notamment) et le traitement des déchets sont des questions clés. Les recherches sur le stockage de l’électricité (les batteries par exemple) et sur les réseaux électriques sont aussi des points de passage obligés.

  Cependant, on ne saurait réduire le débat public sur l’énergie qu’il est nécessaire d’organiser en France (nous y reviendrons ultérieurement) aux seuls modes de production de l’électricité, il existe aussi d’autre paramètres (des marges d’efficacité énergétique sur les moteurs thermiques, dans les transports, le parapétrolier est un atout de la France, etc.) car il faut examiner les incitations, fiscales notamment, permettant de peser sur la demande d’énergie (dans le bâtiment par exemple) mais le rapport « Energies 2050 » fait l’impasse sur cette question ce qui est une faiblesse. On doit aussi souligner que la dimension industrielle des filières (nucléaire et renouvelables) est un point clé, et observer ainsi que si l’Allemagne a créé beaucoup d’emplois dans les filières renouvelables, les deux tiers sont dans la production, alors que la France n’a pas su faire décoller une filière industrielle dans le solaire et l’éolien comme l’illustre les déboires de la socité photowatt. Plus que jamais la question énergétique va apparaître comme une équation avec de nombreuses variables et sa solution suppose que l’on n’en néglige aucune !


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