Quels scénarios pour les énergies renouvelables?

Image00014.pngDepuis la conférence de Copenhague sur le climat, en 2009, la quasi-totalité des scénarios énergétiques accorde une place importante aux énergies non carbonées et en particulier aux énergies renouvelables dans le mix énergétique primaire mondial du futur. Les débats récents sur le nucléaire après la catastrophe de Fukushima ont également mis à l’ordre du jour la question de la production d’électricité par ces filières. Que peut-on en attendre d’elles alors qu’un hiver froid met les systèmes de production d’électricité « sous tension » ?

  De nombreux scénarios énergétiques affichent des objectifs volontaristes pour les politiques de l’énergie. Ainsi, le « scénario 450 » de l’AIE (compatible avec l’engagement de limiter à 2° C l’augmentation de la température moyenne de l’atmosphère entre 1800 et la fin de ce siècle) prévoit qu’en 2035 la contribution des énergies renouvelables au mix primaire serait de 27% (contre 13 % en 2009). Un scénario de l’UE estime crédible une production d’électricité en Europe, en 2050, par des énergies renouvelables dans une fourchette de 64% à 97%. Le point critique de tous les scénarios est la production d’électricité qu’il est nécessaire de « décarboner » au maximum, le nucléaire étant une voie possible (mais en débat après Fukushima), les filières renouvelables en étant une autre. Le scénario 450 fait l’hypothèse que les énergies renouvelables assureraient 46 % de la production mondiale d’électricité en 2035 : la contribution de l’éolien serait de 13%, celle de l’hydraulique de 19%, celles des filières solaires photovoltaïque et à concentration seraient à hauteur respectivement de 4% et de 3% (celles de la biomasse et de la géothermie respectivement de 6% et de 1%). Un scénario de l’AIE dit « nouvelles politiques » est moins ambitieux puisque la part du solaire dans la production d’électricité mondiale n’y serait que 3% au total en 2035.

  L’AIE a extrapolé à l’horizon 2060 son scénario volontariste : la production mondiale d’électricité serait alors presque totalement décarbonée, le solaire assurant à lui seul près de 50 % de la production électrique (l’éolien seulement 28%) avec 28% par la filière à concentration et 20% par la filière photovoltaïque. La puissance solaire installée serait de l’ordre de 18 000 GW ce qui serait considérable. Ce scénario fait trois hypothèses : – la mise au point de moyens de stockage performants pour la chaleur dans la filière à concentration qui permettrait une utilisation des centrales à 50% – l’existence de réseaux d’interconnexion performants permettant d’utiliser une combinaison d’énergies intermittentes (plus d’éolien en hiver avec une disponibilité de 20% des centrales éoliennes, et plus de solaire en été avec une disponibilité réduite à 10 % de l’éolien) – le maintien d’une électricité de base non intermittente (11% de la production assurée par du nucléaire et de la biomasse avec stockage du CO2). Le scénario négaWatt fait l’hypothèse qu’il serait possible de diminuer de 65% la consommation d’énergie primaire de la France en 2050 (pour la ramener à 105 Mtep) qui serait assurée à 90% par des filières renouvelables. Dans cette perspective la production d’électricité photovoltaïque représenterait presque le tiers de la production d’électricité par des filières renouvelables (90 TWh sur un total de 350 TWh), les deux tiers étant assurés par des panneaux sur des bâtiments et le tiers par des centrales au sol (avec une emprise totale équivalente à un carré de 30 km x 30 km).

   Un paramètre clé pour toutes les filières renouvelables est le coût de production de l’électricité. Leur compétitivité économique n’est pas acquise, aujourd’hui, car le coût de production du kWh solaire est encore plus élevé que celui des filières « classiques » (de 5 à 10 fois plus élevés que l’électricité du marché soit de 280 € à 580 € le MWh au lieu de 45-50 € le MWh pour le nucléaire et l’hydraulique). Les experts divergent encore sur l’évolution des coûts de production à long terme, mais l’AIE estime qu’à l’horizon 2030 les coûts de production des deux filières solaires se situeraient dans une fourchette de 33 € / MWh à 110 € / MWh (les coûts les plus bas correspondants à ceux de centrales photovoltaïques ou à concentration dans des régions bien ensoleillées). Ce coût serait en moyenne de 30% plus élevé que celui de l’éolien et pour la fourchette basse équivalent à celui des centrales conventionnelles (qui devraient sans doute supporter une taxe carbone et un coût de stockage du CO2 pour celles fonctionnant avec des combustibles fossiles).

   Ces estimations semblent optimistes car il faut tenir compte de deux contraintes : – la nécessité d’abaisser les coûts de production des cellules pour la filière photovoltaïque – l’intermittence des filières qui conduit à mettre en œuvre des moyens de stockage et de renfort pour les heures de pointe. Alors que François Hollande a proposé dans son programme de réduire à 50% la part du nucléaire en 2025 (75 % en 2010), le CEA ainsi que RTE (la filiale d’EDF chargée du transport du courant) ont fait des simulations sur le mix énergétique électrique de la France. RTE a ainsi proposé un scénario « Nucléaire bas » en 2030, correspondant à une production d’électricité à 50% nucléaire (avec une demande totale de 540 TWh), dans cette perspective le solaire photovoltaïque (PV) contribuerait à 5% de la production (26 TWh avec 18 GW de puissance installée) et l’éolien à 15%. Des centrales thermiques d’appui (pour les pointes notamment) d’une puissance installée de 10 GW devraient être construites. Quant au CEA, il a proposé deux scénarios de « sortie du nucléaire » (avec et sans contrainte carbone). La part du solaire PV dans le scénario sans contrainte carbone est symbolique (500 MW inférieure à la puissance installée fin 2011 !), elle serait en revanche substantielle dans le scénario avec contrainte carbone (55 GW soit 25 fois la puissance actuelle) qui assurerait 12% de la production électrique. L’estimation des coûts de ces scénarios est évidement critique. Avec un taux d’actualisation de 5% le CEA « prévoit » un coût moyen de production de 223,7€ / MWh pour le solaire PV (avec des investissements de base et des coûts de maintenance relativement élevés). Par comparaison, le coût moyen de production par l’hydraulique serait de 32 € / MWh , celui de l’éolien terrestre de 68,6 €/MWh (92,5 € pour l’off-shore) et des centrales à gaz de 73,3 € / MWh.

  Ces scénarios ne plaident pas, aujourd’hui, pour le solaire qui ne serait pas à moyen terme, selon le CEA, un substitut crédible au nucléaire, la filière éolienne, en revanche, n’est pas loin du seuil de rentabilité. On remarquera que les scénarios américains sont plus optimistes pour la filière solaire. Des estimations pour la Californie, un Etat ensoleillé il est vrai, estiment possible une diminution drastique en 2050 de la consommation d’énergie carbonée (avec une réduction de 80 % des émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990) et avec une forte progression de l’électricité dans l’énergie finale (sa part passerait de 15% à 55% en 2050), la production d’électricité par des panneaux solaires sur les toits des immeubles représenterait 10 % de la demande (J.H. Williams et al. « The technology path to deep greenhouse gas emissions cuts by 2050: the pivotal role of electricity », Science, vol. 335, p. 53, 6 January 2012, www.sciencemag.org ). Une autre étude du Département de l’énergie aux USA supposant des conditions d’ensoleillement favorables pour une centrale de 100 MW en Arizona (2500 kWh/m2 par an) chiffre le coût du kWh électrique produit, moyenné sur l’année, à 17,9 c € ; il serait légèrement moins élevé que celui produit par une centrale photovoltaïque toujours en Arizona, deux fois plus élevé que le kWh éolien et 2,5 fois plus élevé que celui produit par une centrale à charbon pulvérisé, l’électricité produite par l’éolien terrestre étant quasiment compétitive avec le thermique.

    Quelles conclusions peut-on tirer de ces scénarios ? L’éolien terrestre est sans doute proche du seuil de rentabilité économique et s’agissant de l’électricité solaire si elle est loin d’être compétitive dans des pays comme la France, elle peut le devenir avant 2030 dans des pays à fort ensoleillement comme l’Espagne, les Etats-Unis et de nombreux pays africains (voire dans certains départements du sud de la France comme la Corse). Il reste qu’une stratégie doit prendre des risques: il faut pouvoir tester des filières que des ruptures pourraient amener au seuil de la rentabilité (avec par exemple des substituts au silicium pour les cellules solaires). Par ailleurs, même si les conditions climatiques ne lui sont en moyenne pas favorables en France, il peut être dangereux de faire une impasse complète sur la filière solaire à concentration pour laquelle il peut exister des marchés à l’exportation (c’est la principale raison d’être du projet allemand Desertec). Les énergies solaire et éolienne sont des énergies intermittentes et si l’on veut produire « massivement » de l’électricité par ces filières, il faut pouvoir la stocker et la distribuer par le réseau électrique L’effort à faire dans ce domaine ne peut être séparé de celui à accomplir dans les domaines du stockage et des réseaux dits « intelligents ».


Publié

dans

par

Étiquettes :