La fusion thermonucléaire face aux incertitudes

energie_heure_des_choix_chap.8_fig.1_iter.jpgL’exploitation de l’énergie dégagée par la fusion d’atomes d’hydrogène, la fusion thermonucléaire, est une alternative à la fission nucléaire. Réaliser la fusion dans un grand réacteur expérimental, où le plasma est confiné par voie magnétique, est l’objectif du programme international Iter auquel participent les grandes puissances scientifiques mondiales. Ce programme, soutenu par l’UE a rencontré des difficultés de financement depuis deux ans que l’UE, pour sa part, a résolu (provisoirement ?) fin 2011.

   On réalise la fusion thermonucléaire en provoquant la collision du deutérium et du tritium (deux isotopes de l’hydrogène), une grande partie de l’énergie résiduelle étant emportée par un neutron. La filière aurait l’avantage d’utiliser un « combustible » abondant, le deutérium qui peut être extrait de l’eau de mer et le tritium (produit dans le réacteur à l’aide de lithium) et de ne produire que peu de déchets radioactifs à vie longue. Toutefois sa réalisation se heurte encore à de sérieux obstacles scientifiques et techniques que le grand programme de coopération internationale, Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor), lancé en 2007, a pour objectif de lever. Soutenu par l’UE, Iter va tenter de la réaliser la fusion dans un réacteur expérimental qui sera construit dans un centre du CEA à Cadarache (Bouches du Rhône). Ce réacteur utilise la méthode du confinement magnétique du plasma dans un dispositif appelé tokamak. Le plasma sera créé dans le tore central où il est porté à très haute température (150 millions de degrés) par un courant électrique et par irradiation par des micro-ondes ; il y est confiné par de puissants champs magnétiques produits par des bobines supraconductrices. L’aimant central du réacteur engendre un champ magnétique pulsé très élevé qui va créer un courant intense dans le plasma d’hydrogène qui se trouve dans la chambre torique centrale et contribuer à le chauffer. Iter devrait atteindre une puissance thermique de 500 MW soit dix fois la puissance qu’il prélèverait dans le réseau électrique pour lancer la fusion.

   Iter devra faire face à deux difficultés majeures: – le risque de déstabilisation du plasma par des turbulences – la contamination des parois et du plasma lui-même. Alors que les travaux de génie civil étaient achevés, en 2010, le scénario initial pour la construction d’Iter a été revu. En effet, un grand nombre de modifications au schéma initial ont dû être décidées, en particulier pour la stabilisation du plasma (pour éviter que des turbulences et des bouffées explosives ne détériorent l’enceinte). Il est alors apparu que le coût de la machine atteindrait 15 milliards d’euros au minimum soit près du triple du devis initial. Ce nouveau budget a été entériné par les sept partenaires en 2010 avec un scénario par étapes : le premier plasma devrait être obtenu en 2019, soit avec près de 3 ans de retard, les expériences de fusion avec le deutérium et le tritium n’étant lancées qu’en 2028. Par ailleurs, des difficultés sont apparues, en 2011, avec les câbles supraconducteurs qui seront fabriqués au Japon (un alliage niobium-étain). L’aimant central doit pouvoir supporter 60 000 impulsions de courant pendant sa durée de vie mais des tests réalisés en Suisse ont montré que les câbles se dégradent au bout de 6 000 impulsions. Ce problème doit être résolu mais le laboratoire japonais du programme Iter qui a la responsabilité de ces câbles (Naka Fusion Institute à 100 km au nord de Tokyo) a été sévèrement endommagé par le séisme du 11 mars ce qui va retarder les travaux.

    Il restait à l’UE qui finance 45% du projet à trouver le complément de financement nécessaire, un compromis budgétaire n’a été trouvé par le Conseil des ministres et le Parlement européens qu’en décembre 2011. Ce financement, 1,3 milliard d’euros, a été trouvé sur une ligne de crédits du budget européen non utilisés (hors du budget recherche). Si le financement d’Iter semble assuré pour 2012-2013, l’avenir reste incertain car le projet n’est pas à l’abri de difficultés techniques et donc financières. La crainte des responsables des programmes scientifiques de l’UE est qu’Iter n’obère le futur budget européen du nouveau programme cadre pour la recherche, rebaptisé Horizon 2020, que la Commission européenne doit lancer en 2014 et pour laquelle elle prévoit un budget de 80 milliards d’euros sur la période 2014-2020. D’où le souhait de certains de retirer Iter du budget pour le remettre à la charge des Etats. On voit mal les Etats accepter une telle solution dans la situation économique et budgétaire difficile qu’ils vont traverser. Ces palinodies financières montrent que le programme Iter a été lancé sans une véritable évaluation préalable des difficultés techniques que le projet risquait de rencontrer et de leurs possibles conséquences financières.

    Le succès de la technique du confinement magnétique que va utiliser Iter dans un tokamak n’est pas assuré, mais il existe une voie alternative: l’amorçage de la fusion thermonucléaire par des lasers très puissants, c’est la voie du confinement inertiel. On sait aussi que les travaux sur la fusion intéressent, depuis leur lancement immédiatement après la guerre, la défense puisqu’elle est mise en oeuvre dans les bombes H, or cette technique du confinement inertiel va être utilisée pour simuler le déclenchement de la fusion dans une arme thermonucléaire avec une installation américaine (la National Ignition Facility inaugurée en 2009) et une installation française similaire, dont la construction s’achève à Bordeaux (le Laser Megajoule). Ces deux lasers géants, avec d’autres installations de moindre puissance, pourront être utilisés pour tenter de réaliser la fusion thermonucléaire à des fins énergétiques. L’installation américaine utilise un laser géant (il peut délivrer une énergie utilisable de 1,8 MJ) dont le rayonnement se divise en 192 faisceaux (D.Clery, « Fusion power’s road not yet taken », Science, p.445, vol. 134, 28 October 2011, www.sciencemag.org  ) qui vont irradier un cylindre creux en or ; ses parois émettent des rayons X qui sont absorbés par une microcapsule de quelques millimètres de diamètre, placée en son centre, contenant un mélange de deutérium et de tritium, celle-ci explose en comprimant les atomes et provoque leur fusion (le phénomène « d’ignition »). D’autres schémas de fusion inertielle ont été proposés mais ils reposent sur des principes similaires. Une alternative consisterait à se passer de lasers (elle est à l’étude dans le laboratoire Sandia aux USA) : à l’aide d’un courant pulsé de grande intensité traversant un cylindre métallique on écrase brutalement celui-ci provoquant ainsi la fusion des atomes d’hydrogène. On peut aussi bombarder une cible d’hydrogène par un faisceau d’ions. Une fois la fusion réalisée et entretenue, il sera nécessaire d’extraire l’énergie du réacteur ce qui ne sera pas une tâche aisée.

 La viabilité de la filière devra être testée sur un prototype industriel et ce n’est sans doute pas avant 2050-2060 que l’on pourra décider de la mettre ou non en route. Une option alternative a été proposée (en particulier par le physicien soviétique Sakharov) : elle consisterait à construire un réacteur hybride à fusion-fission. On utiliserait les neutrons énergétiques issus de la fusion pour produire à partir de l’uranium 238 des matériaux fissiles (notamment du plutonium 239) pour alimenter un réacteur de fission (par exemple un surgénérateur utilisant le plutonium) et pour brûler des déchets nucléaires des centrales classiques tels que les actinides. Cette voie ne pourrait être envisagée que bien après 2030.

  La fusion thermonucléaire présentée souvent comme le saint Graal de l’énergie ne sera certainement pas un long fleuve tranquille et il est serait hasardeux de faire un pronostic sur sa capacité à apporter une solution concrète aux problèmes de l’énergie et a fortiori dans quels délais.


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