L’accès à l’énergie un enjeu politique de première importance

Image00030.png L’année qui s’achève a été marquée par plusieurs événements marquants dans le domaine de l’énergie : catastrophe nucléaire de Fukushima, débat sur le gaz de schiste en France, conférence de Durban sur le climat qui dans ses conclusions a engagé les signataires du protocole de Kyoto à le proroger quelques années au-delà de 2012. Par ailleurs le débat sur le rôle des énergies renouvelables s’est poursuivi alors que la crise économique rampante ralentit le rythme des investissements dans le secteur en particulier pour l’énergie solaire. De quoi l’avenir sera-t-il fait ? C’est à cette interrogation que nous tentons de répondre.

   

   Si bon nombre d’experts, il y a un an, n’hésitaient pas à envisager une « Renaissance du nucléaire», avec de nombreux projets de construction de centrales, et à peindre en rose l’avenir du gaz (en particulier du gaz de schiste), le panorama mondial a bien changé depuis un an. En effet, la catastrophe de Fukushima, survenue au Japon en mars 2011, repose le problème de l’avenir de la filière nucléaire et, en France, le vote par le parlement d’un loi interdisant l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste par le procédé d’hydrofracturation ferme la voie à l’exploitation de cette filière en France qui est aussi mise en cause dans d’autres pays (au Royaume-Uni et au Canada notamment). Quant au débat climatique, il a peu progressé à l’occasion de la conférence organisée par l’ONU à Durban, les pays signataires du protocole de Kyoto (il vient à échéance fin 2012) ont accepté de le reconduire pendant quelques années, le Japon hésite à le faire mais le Canada a d’ores et déjà annoncé sa sortie du protocole (non ratifié par les USA) ; une nouvelle feuille de route pour la négociation climatique a été établie avec l’espoir de conclure un accord en 2015. Terminons ce rapide tour d’horizon de l’année 2011 par un point sur les perspectives de la demande et de la production d’énergie mondiales proposées par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a dressé dans son World Energy Outlook 2011 (www.iea.org ). L’horizon 2035 est envisagé à travers trois scénarios : le premier prolonge les tendances récentes (du style « Business as usual »), le deuxième (« nouvelles politiques ») corrige ces tendances par des mesures de sauvegarde du climat, le troisième (le scénario dit 450) suppose que des politiques énergétiques permettront de limiter à 2° C le réchauffement climatique. Le scénario « nouvelles politiques », le pivot des prévisions de l’AIE, est marqué par quelques grandes tendances : une croissance globale de la demande d’énergie de 40% sur la période 2009-2035 assurée par toutes les filières (une croissance de 18% pour le pétrole, de 25% pour le charbon et de 55% pour le gaz). Les pays hors-OCDE contribueraient à 90% de la croissance de la demande, la consommation d’énergie de la Chine dépasserait de 70% celle des Etats-Unis. La part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial ne passerait que de 81% à 75%dans ce scénario, alors qu’elle ne serait plus que de 62% dans le scénario 450.

On peut prévoir que la politique énergétique sera un thème majeur de la campagne pour les élections présidentielle qui va s’engager en France avec un point focal : l’avenir du nucléaire. En effet, en France, comme dans les autres pays, il y aura un nucléaire avant et après Fukushima. On sait que l’Allemagne, l’Italie et la Suisse ont d’ores et déjà décidé de sortir du nucléaire (en 2022 pour l’Allemagne), tandis que le Royaume-Uni a décidé de maintenir son choix de le relancer ; la Chine, quant à elle, tout en maintenant les projets en cours, a gelé la mise en chantier de quatre réacteurs dont la construction était décidée. Les pays européens ont décidé de faire subir des « stress tests » à tous leurs réacteurs, et EDF a procédé à une autoévaluation de la sûreté de ses centrales (des travaux importants devront être réalisés sur certains réacteurs). Quant aux USA, il est peu probable qu’ils relancent de façon significative le nucléaire et ils donneront une priorité aux centrales à gaz. En France, alors que le président N.Sarkozy et la majorité actuelle n’envisagent pas une sortie du nucléaire, François Hollande, le candidat socialiste, quant à lui propose que la part de la production électrique nationale d’origine nucléaire passe de 75% à 50% d’ici 2020 ce qui entraînerait la fermeture de 25 réacteurs. Les écologistes maintiennent leur position : sortir progressivement du nucléaire. Le candidat socialiste s’est prononcé pour la poursuite du chantier de construction de l’EPR de Flamanville (EDF évoque un coût de 6 milliards d’euros pour cet EPR).

  Une baisse forte de la part du nucléaire en une décennie est-elle réaliste ? C’est la question clé du débat. Le gestionnaire du réseau de haute tension, RTE, a d’ores et déjà réalisé un scénario de réduction à 50% de la part du nucléaire mais à l’horizon 2030 : il impliquerait la création de capacités de 40 GW d’éolien, de 18 GW de photovoltaïque et de 10 GW pour les pointes (du thermique essentiellement) ainsi qu’un renforcement du réseau électrique. S’il est techniquement et économiquement difficile pour un pays comme la France de sortir du nucléaire dans un laps de temps de deux à trois décennies, en revanche la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique national est probablement une mesure raisonnable car il est souhaitable d’avoir une plus grande diversification de la production électrique en cas d’incident sérieux, cette option n’est d’ailleurs plus un sujet tabou en France. Il sera probablement difficile à François Hollande, s’il est élu, de tenir son planning de baisse du nucléaire s’il est élu (abandonner une puissance d’environ 20 GW). En effet, les énergies renouvelables sont par essence intermittentes et en l’absence de solutions satisfaisantes, pour l’heure, pour le stockage de l’électricité, le risque est grand de devoir investir dans des centrales à gaz, celui-ci étant importé. Le Japon qui va fermer la quasi-totalité de ses centrales d’ici l’été, pour faire des tests de sûreté, va devoir faire face à une pénurie d’énergie l’été prochain et renforcer sa production thermique en important du gaz. Une politique énergétique prévoyant une baisse de la part du nucléaire suppose un plan d’économie d’énergie notamment dans l’habitat résidentiel et tertiaire (70% de la consommation finale d’électricité en France) et des investissements pour les renouvelables et les réseaux électriques. Une politique de R&D dynamique doit préparer tout à la fois de nouvelles options pour le solaire du futur (des matériaux autres que le silicium), des modes de stockage de l’électricité, de nouvelles générations de biocarburants et des réseaux électriques « intelligents » tout en maintenant un effort sur le nucléaire (la sûreté de fonctionnement des réacteurs notamment). En période crise et de disette budgétaire, le financement d’une nouvelle politique énergétique sera un problème redoutable, il exigera probablement une nouvelle fiscalité de l’énergie que faciliterait la mise en place d’une taxe carbone dont le montant permettrait de réaliser des investissements d’avenir.

   Rappelons pour terminer que l’ONU à proclamé 2012 « Année internationale de l’énergie durable pour tous ». En effet près de 1,3 milliard d’habitants de la planète n’ont pas encore un accès direct à l’électricité tandis que 2,7 milliards d’entre eux n’utilisent que de la biomasse (bois, déchets végétaux) pour faire de la cuisine ce qui est la cause d’une surmortalité par des infections pulmonaires. La quasi-totalité (95%) de ces populations énergétiquement défavorisées se trouve dans l’Afrique sub-saharienne et dans les pays d’Asie en développement et 84% d’entre elles vivent dans des zones rurales. L’AIE a analysé dans son dernier rapport les modalités de mise en œuvre d’un plan mondial qui assurerait un accès universel à l’énergie. En 2009, 9,1 milliards de dollars ont été investis dans le monde pour relier 20 millions d’habitants de la planète à l’électricité, on imagine donc que l’effort nécessaire pour atteindre cet objectif devrait être bien supérieur. Pour y parvenir en 2030, l’effort global nécessaire représenterait un investissement total de 1000 milliards de dollars sur la période 2010-2030 (640 milliards de dollars pour l’électricité). L’AIE observe que si les sommes mises en jeu sont non négligeables, elles ne représenteraient que 3% des investissements mondiaux consacrés à l’énergie (correspondant à une augmentation de 1,1 % de la demande d’énergie soit 180 Mtep). Il ne serait pas hors de portée si les pays développés, les pays en développement qui sont dotés de ressources pétrolières et gazières (le Nigeria notamment dont la moitié de la population n’a pas l’électricité) et des organismes internationaux acceptaient de mobiliser des fonds pour y parvenir.

   L’énergie n’a pas fini de faire parler d’elle en 2012, en France comme ailleurs. L’année qui commence est aussi l’année du dragon, cela donnera peut-être plus de force aux politiques énergétiques mais il est essentiel de réaliser qu’une transition énergétique prendra du temps (au minimum trois décennies), qu’elle nécessitera des ruptures techniques et donc de la persévérance.


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