L’utilisation de l’énergie solaire est considérée comme l’un des paramètres des scénarios énergétiques pour l’avenir. Outre la production d’électricité par les filières photovoltaïque et thermodynamique, on envisage aussi de mettre en oeuvre une chimie utilisant l’énergie solaire pour produire notamment des carburants à partir de la biomasse en utilisant des algues. Il semble que des projets industriels importants soient en cours aux Etats-Unis pour développer la filière après une phase de mise en sommeil. Les perspectives de la recherche semblent également importantes. lI est utile de faire le point sur ce dossier.
Un récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), « Solar Energy perspectives 2011 », dresse un tableau complet des potentialités de l’énergie solaire avec son scénario Blue Map (une très forte composante d’énergies renouvelables limitant à 2° C le réchauffement climatique) et des possibilités d’exploiter la biomasse pour faire des synthèses en utilisant l’énergie solaire. Selon l’AIE, la filière des biocarburants dits de « Troisième génération », produits à partir d’algues, semble en particulier une voie prometteuse. Dans plusieurs pays, aux Etats-Unis notamment, l’intérêt pour celle-ci semble renaître après une décennie d’attentisme et des efforts de recherche importants lui sont consacrés (R.F.Service, « Algae’s second try », Science, vol. 33, p. 1239, 2 September 2011, www.sciencemag.org ), financés en partie par le plan de relance d’Obama. Une entreprise active dans ce domaine, Solazyme, a ainsi levé près de 230 millions de dollars en mai dernier pour investir dans la filière et ExxonMobil quant à lui, avait annoncé, en 2010, qu’il y consacrerait 600 millions de dollars. Il existe de nombreuses espèces d’algues qui se répartissent en deux grandes catégories : – les microalgues et les cyanobactéries – les macroalgues que l’on trouve souvent sur les plages et qui peuvent être vertes, brunes ou rouges. Les algues produisent trois types de polymères naturels : les lipides (des triglycérides et des acides gras), les carbohydrates (des sucres stockés en partie dans de la cellulose de l’enveloppe végétale), des protéines. Les huiles, des corps gras produits par les algues, peuvent être utilisées directement ou indirectement comme carburants dans des moteurs. Quelques chiffres montrent l’intérêt potentiel de la filière algues. Alors que plusieurs variétés de plantes (le soja et les palmiers à huile notamment) peuvent produire avec un bon rendement à l’hectare des huiles qui peuvent être incorporées au gazole, ces rendements ne seraient au maximum que de 6000 litres de carburants à l’hectare par an. En revanche, des algues à croissance rapide fourniraient un carburant avec des rendements compris entre 9300 et 61 000 litres à l’hectare. Même si ces chiffres sont optimistes on observe que la différence est très notable.
La stratégie consiste à cultiver des algues dans des bassins ou des bioréacteurs pour produire de la matière première pour cette filière de biocarburants : les algues fixent le CO2 de l’air et par photosynthèse en utilisant l’énergie solaire elles produisent la biomasse pour fabriquer des biocarburants. Pour la plupart des algues (et en particulier les macroalgues) il est nécessaire d’utiliser la lumière solaire qui fournit l’énergie pour la photosynthèse et d’avoir une ressource en eau, la production pouvant se faire soit en bassins (à l’intérieur des terres ou sur le littoral, certaines algues s’accommodent très bien des eaux saumâtres) soit dans des réacteurs. Cette culture, à l’échelle industrielle, requiert beaucoup d’eau car si les algues se développent rapidement, elles ont besoin d’un grand volume d’eau, elles ne représentent en effet que 0,1% du volume d’eau dans lequel elles se développent, la récupération d’un kilogramme d’algues suppose donc de pomper et filtrer une tonne d’eau, une opération qui est coûteuse en énergie. Il est vrai aussi que la culture d’algues en bassin présente l’inconvénient que celles-ci se « font de l’ombre » et qu’elles croissent donc à faible concentration. L’utilisation de bioréacteurs est une alternative pour les microalgues, on travaille en circuit fermé mais il faut alors leur fournir un nutriment tel que le sucre, les réacteurs représentent de plus un investissement important. Les chercheurs américains estiment que les techniques actuelles permettent de produire un litre de biocarburant avec un coût de 2,25 $, soit le double du prix d’un litre d’essence aux USA, l’opération ne serait rentable que si ce coût de baissait fortement.
Une autre voie, plus futuriste, offre des perspectives intéressantes : elle consiste à utiliser la « boîte à outils » de la génétique afin de modifier le génome des cellules des algues (en particulier les microalgues qui sont monocellulaires) par manipulation génétique afin d’augmenter leur rendement de production de molécules ou de les orienter vers la production d’autres molécules. C’est notamment la voie empruntée par le biologiste Craig Venter aux USA via les techniques de la biologie synthétique pour transformer artificiellement des génomes (en y intégrant des fragments d’ADN) avec le soutien de la société Exxon. Une possibilité est de modifier les complexes moléculaires (appelés « antennes ») qui permettent aux algues d’absorber les photons nécessaires à leur croissance afin qu’elles ne fassent pas concurrence à leurs voisines (en absorbant juste les photons utiles), on pourrait ainsi, semble-t-il, augmenter de 30% les rendements. Une alternative consisterait à modifier leur métabolisme en insérant dans leur génome un gène humain codant une enzyme, l’anhydrase carbonique II (elle régule le CO2 dans les globules rouges du sang) qui va convertir en CO2 une forme de carbone inorganique et avec lequel la photosynthèse produit des corps gras. On peut aussi tenter une autre stratégie qui viserait à faire libérer par les acides gras par les al gues à l’extérieur de cellules pour en faciliter l’extraction (cf .Y. Li-Beisson et G.Peltier, « Biocarburants : le défi des microalgues », Dossier Pour la Science, no 73, p. 38, Octobre-décembre 2011). De façon générale, il faut repérer des gènes que l’on peut modifier ou remplacer, éventuellement synthétisées à partir de séquences d’ADN, qui en modifiant le métabolisme des cellules augmenterait leur rendement de production des corps gras et donc de biocarburants.
Il faut donc mettre en oeuvre un programme de recherche qui représente des enjeux scientifiques de premier ordre qui concerne non seulement les algues mais aussi les bactéries. Solazyme espère déjà produire de 5 000 à 10 000 barils par jour d’huile extraite d’algues dans une usine prototype utilisant ces techniques dans le Nouveau Mexique en 2018. Pour l’heure, il est difficile d’avoir une évaluation économique précise du coût de production des différentes filières de biocarburants à partir d’algues mais la filière ne sera compétitive par rapport aux carburants pétroliers que si le cours du baril de pétrole était durablement supérieur à 100 $, une perspective qui n’est peut-être pas si lointaine…Il est vrai que les techniques biologiques permettraient, à terme, d’augmenter substantiellement les rendements. Cela suppose de miser sur une biologie de haut niveau utilisant les techniques du génie génétique. Il n’est pas certain que ce soit une priorité du programme français sur les biocarburants, même si plusieurs laboratoires français travaillent dans ce domaine dont l’IFREMER et le CEA. La filière des biocarburants produit à partir d’algues est un pari sur l’avenir. Les compagnies d’aviation qui vont-être soumises à une taxation de leurs émissions de CO 2 misent d’ailleurs sur cette filière (Air France a effectué un premier vol commercial avec un biocarburant en octobre dernier), ainsi que des constructeurs aéronautiques comme EADS. Cette filière peut aussi intéresser les pays en développement qui pourraient construire des bassins de production sur leur littoral. Quoi qu’il en soit, ces biocarburants ouvriraient la voie à une nouvelle génération de « bioraffineries ».