Les énergies renouvelables constituent (avec le nucléaire) un point focal du débat sur l’avenir des politiques énergétiques. Parviendront-elles à percer dans un avenir proche pour remplacer les énergies "carbonées" et quelle sera leur part dans la future demande énergétique ? Un récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) présente plusieurs scénarios énergétiques à l’horizon 2035 qui font l’hypothèse d’une forte croissance des filières renouvelables, en particulier de l’éolien. Un pays comme la Chine annonce également un plan important de développement de l’éolien sur le long terme. Il est donc opportun de faire un point sur ces perspectives.
Quelle énergie primaire consommera-t-on en 2035 ? C’est à cette question que tente de répondre l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans son rapport annuel le World Energy Outlook 2011 (www.iea.org). Cette réponse se trouve dans les trois scénarios qu’elle propose. Le premier d’entre eux (le scénario de «référence ») extrapole les politiques suivies depuis le début du siècle et les rythmes de consommation de l’énergie, c’est en quelque sorte un scénario « tout va très bien Madame la marquise » : une progression annuelle de 1,6% de la demande d’énergie primaire (au lieu de près de 2% avant la crise économique, elle s’établirait à 18,3 Gtep en 2035 contre 12,1 Gtep en 2010). L’AIE laisse, prudemment, dans l’ombre ce scénario énergivore (qu’elle privilégiait jusqu’en 2009 avant la conférence de Copenhague…) car il abandonnerait tout objectif de lutte contre le réchauffement climatique : les énergies fossiles représenteraient toujours 80% de l’énergie primaire et la part des énergies renouvelables demeurerait stable (14%). Le deuxième scénario de l’AIE est moins énergivore et plus volontariste (il est baptisé « Nouvelles politiques ») : la progression de la demande ne serait que de 1,3% en rythme annuel (16,9 Gtep en 2035) avec une part des renouvelables qui passerait à 17% en 2035. Le troisième scénario, enfin, proposé en 2010 à l’occasion de la conférence de Cancun et actualisé en 2011, est à finalité climatique, baptisé « 450 » (ce qui correspond à la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère en équivalent CO2 soit 450 parties par millions) il permettrait, en principe, de limiter à 2 °C l’augmentation de la température moyenne de l’atmosphère : la croissance de la demande d’énergie primaire ne serait que de 0,8% par an) pour atteindre 14, 9 Gtep en 2035 avec une part des énergies renouvelables qui serait de 27%. Ces scénarios tiennent compte des objectifs que se sont fixés des pays émergents notamment la Chine (à travers son douzième Plan quinquennal) mais, s’agissant du nucléaire, ils ne tiennent pas compte d’éventuelles remises en cause des projets de construction de centrales nucléaires suite à la catastrophe de Fukushima (l’AIE propose aussi un scénario post-Fukushima » avec une baisse de 50% de la part du nucléaire).
La demande d’énergie primaire est une chose, la composition du mix énergétique en est une autre. Il est intéressant, en particulier, d’examiner les poids relatifs des filières renouvelables dans la production d’électricité dans la mesure où tous les scénarios « prévoient » une forte croissance de la demande d’électricité (2,6 % en rythme annuel dans le scénario de référence, 2,3 % dans le scénario nouvelles politiques et 1,8% dans le scénario 450) : l’hydraulique, la biomasse (via les centrales brûlant du bois ou des déchets), l’éolien, le solaire et la géothermie (l’énergie marine demeurant marginale). La part des filières renouvelables dans la production électrique restera faible dans le scénario de référence (elle passe de 12 à 15%). En revanche, les deux autres scénarios font l’hypothèse d’une forte croissance des filières renouvelables électriques qui assureraient à elles seules 44% de la croissance de la production mondiale d’électricité d’ici à 2035 dans le scénario « Nouvelles politiques » grâce à des nouvelles capacité de production, l’éolien et l’hydraulique se tailleraient la part du lion (avec chacun un tiers de la croissance), la biomasse représenterait le sixième de la croissance totale et le solaire photovoltaïque seulement le dixième. La croissance de l’hydraulique serait essentiellement le fait de l’Afrique, de la Chine et du Brésil où les ressources sont considérables. La croissance de l’éolien terrestre serait assurée pour l’essentiel par la Chine, les pays de l’UE et les Etats-Unis. Quant au solaire (une croissance annuelle de 15%) ce serait principalement la Chine, les Etats-Unis, et l’UE qui miseraient sur son développement. Le scénario « 450 » ne fait que renforcer ces tendances avec une forte progression de l’hydraulique (25 % de la production électrique en Afrique) et de l’éolien qui représenterait 13% de la production électrique en 2035 (contre environ 1% en 2009).
La Chine apparaît comme le leader du développement de l’éolien (elle a produit 27 TWh d’électricité par voie éolienne en 2009 au lieu de 2 TWh en 2005). Il est vrai qu’elle doit tenir compte dans sa stratégie des très sérieux problèmes environnementaux auxquels elle est confrontée, en particulier une forte pollution atmosphérique causée par l’utilisation intensive du charbon. Le gouvernement chinois a défini une stratégie de développement de la production d’électricité « décarbonée » (IEA, China wind energy development roadmap 2050 www.iea.org ) dans laquelle l’énergie éolienne jouerait un rôle clé : 15 GW de capacité de production éolienne seraient ainsi installés chaque année jusqu’en 2020 et, à cette date, la Chine disposerait d’une puissance éolienne de 200 GW (fin 2010 la puissance installée était de 31 GW) qui assurerait 5,1% de la production d’électricité (contre 1,3% aujourd’hui). Entre 2020 et 2030 le rythme de construction d’éoliennes s’accélérerait : 20 GW seraient installés chaque année, correspondant à une puissance totale de 400 GW en 2030 (15 % de la capacité de production d’électricité serait alors d’origine éolienne assurant 8,4% de la production totale d’électricité). La feuille de route électrique chinoise prévoit de faire passer à 1000 GW la puissance éolienne installée en 2050 avec des éoliennes à terre et off-shore qui assureraient 17% de la production totale d’électricité. Plusieurs régions seraient concernées par cette stratégie, la Mongolie étant privilégiée car elle bénéficie de conditions de vent très favorables. Cette politique de montée en puissance de l’éolien représente un véritable défi car elle représente des investissements massifs (600 milliards de dollars d’ici 2030). La Chine devra notamment raccorder les pars éoliens à un réseau électrique performant, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, assurant une interconnexion entre les provinces (la Mongolie désertique est très éloignée des centres de consommation).
Les scénarios de l’AIE et le plan chinois montrent que les énergies renouvelables ont incontestablement le vent en poupe (l’éolien notamment !) mais une politique ambitieuse de développement des énergies renouvelables si elle est nécessaire, sera loin d’être une longue marche tranquille. Il y a lieu, toutefois, de tempérer l’optimisme avec une dose de réalisme : les progrès des techniques énergétiques sont lents (ils sont incontestables pour l’éolien) et des ruptures techniques seront nécessaires pour que les énergies renouvelables dont le coût devra être abaissé (notamment celui du solaire), se substituent massivement aux énergies carbonées. Bien entendu, des ruptures ne doivent pas être exclues et on doit préparer l’avenir en explorant toutes les voies possibles, ce qui suppose que l’on en ait les moyens financiers et humains ce qui est aussi un défi en période crise…..