Les carburants dérivés du pétrole demeurent indispensables pour les transports mais les fortes contraintes pesant sur leur utilisation (épuisement des réserves de pétrole, réchauffement climatique) ont conduit à développer la filière alternative des biocarburants (éthanol et biodiesel). Celle-ci sucite, toutefois, de vives critiques car les crises alimentaires (très graves cette année dans la corne de l’Afrique) conduisent à s’interroger sur la viabilité d’une filière dont la matière première est destinée à l’alimentation.
Les carburants dérivés du pétrole sont encore difficilement remplaçables dans le secteur des transports (52% du pétrole mondial est destiné au transport) mais pour pallier l’épuisement inévitable des réserves de pétrole et pour satisfaire aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique (35% des émissions de gaz carbonique proviennent du pétrole), les gouvernements dans de nombreux pays développés (mais au Brésil aussi) ont accordé une place de choix aux biocarburants (éthanol et esters pour le diesel) produits à partir d’une biomasse renouvelable. Le plan Energie- Climat de l’UE fixe d’ailleurs à 10 % la part des biocarburants qui devraient être utilisés dans les transports en 2020 (à condition qu’ils émettent 35% de moins de gaz carbonique que les carburants pétroliers). En mai dernier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a proposé une feuille de route pour l’énergie avec un objectif ambitieux : faire passer de 2% la part mondiale des biocarburants dans le transport (elle représentait 3,5% pour l’Europe et 5,5% pour la France en 2010) à 27% en 2050. Toutefois, les biocarburants dits de première génération (produits à partir de grains de blé, maïs, colza, tournesol) et de plantes à sucre (betterave, canne) sont l’objet de fortes critiques (cf. nos brèves précédentes) : les biocarburants fabriqués à partir de produits agricoles destinés à l’alimentation humaine entrent en concurrence directe avec des produits alimentaires alors que les besoins de la planète dans ce domaine vont augmenter à l’avenir (les crises alimentaires risquent de s’aggraver) et ils ont probablement contribué à la hausse importante qu’ont connue les cours du maïs depuis 2009. Ce type de critique conduit à ouvrir la filière dite des biocarburants de « deuxième génération » : fabriquer de l’éthanol, voire d’autres alcools et des hydrocarbures, à partir d’une biomasse non alimentaire (résidus agricoles et forestiers, tiges et feuilles, herbes).
Cette nouvelle filière est loin d’être opérationnelle et plusieurs articles récents de la revue Nature (Peter Fairley, « Next generation biofuels », vol 474 No 7352, 23 June 2011, S2, www.nature.com ) font le point sur ses perspectives. Un premier constat saute aux yeux : la production globale des biocarburants est en hausse continue depuis 2004 (elle a été multipliée par quatre). Le second constat est la prédominance de la production d’éthanol avec deux pays leaders : les Etats-Unis en tête (avec le maïs comme biomasse) et le Brésil qui utilise la canne à sucre, tous deux assurant près des trois quarts de la production mondiale de biocarburants. Deux questions se posent à ce stade : les biocarburants sont-ils compétitifs par rapport à l’essence et au gazole ? Quel est leur impact environnemental ? Pour l’heure si l’on en croit les chiffres cités par Nature, les coûts de production des biocarburants sont plus élevés que ceux des produits dérivés du pétrole : de 20 à 30% pour l’éthanol (à contenu énergétique équivalent, un litre d’éthanol est équivalent à 0,7 litre d’essence) suivant l’origine de la matière première les écarts étant aussi importants pour le biodiesel. Les subventions importantes dont bénéficient les biocarburants, notamment aux USA, permettent de combler la différence des coûts. Pour l’avenir les scénarios sont plus favorables, en particulier pour l’éthanol de première génération (en cas de forte hausse du baril de pétrole, assez probable, la compétitivité des biocarburants serait assurée).
L’impact environnemental de la production et de l’utilisation des biocarburants (c’est-à-dire leurs émissions de CO2 comparées à celles des carburants pétroliers) est l’enjeu d’un débat depuis plusieurs années dont les conclusions sont loin d’être claires (il n’y a pas un accord total sur les méthodes de mesure du CO2 tout au long d’un cycle de vie d’un biocarburant). Néanmoins la plupart des études concluent à une relative "innocuité" environnementale des biocarburants (un cycle complet émettrait moins de CO2 que l’essence et le diesel, près de 80% de moins pour l’éthanol produit à partir de la canne à sucre). Il faut aussi tenir compte de l’impact sur les ressources en eau de la production de la biomasse et qui est fort important pour le maïs quel que soit sa destination d’ailleurs. La nécessité de nourrir la planète (qui comptera sans doute 7 milliards d’habitants en 2050) suppose une augmentation d’environ 70% de la production agricole. Il est donc difficile d’imaginer que l’on puisse accroître de façon considérable la production des biocarburants de « première génération » en utilisant une biomasse destinée à l’alimentation (selon Nature il faudrait multiplier par 3,5 la surface agricole destinée aux biocarburants pour la faire passer à près de 100 millions d’hectares). Cela est difficilement imaginable. D’où l’intérêt que présente la filière des biocarburants de « deuxième génération ». Si plusieurs voies peuvent être empruntées pour cette filière, elles passent toutes par l’utilisation de la cellulose, et éventuellement de l’hémicellulose, qui sont des sucres constituant les parois des cellules végétales. En fait dans ces parois la cellulose et l’hémicellulose sont intriquées avec de la lignine (un polymère aromatique qui constitue une sorte de colle cellulaire) sous forme de fibrilles. D’où le nom de filière ligno-cellulosique qui est aussi donnée à ces biocarburants. La matière première si elle est abondante sera donc plus difficile à traiter par voie biochimique ou chimique du fait de sa composition moléculaire et de la variété de sucres qui la constituent.
La production de ces biocarburants de « deuxième génération » nécessite encore beaucoup de recherches. Elle serait intéressante pour les pays en développement en particulier en Afrique en utilisant des déchets végétaux ou forestiers. Pour schématiser les choses les recherches se concentrent sur plusieurs pistes : – la mise au point d’enzymes (produites par des bactéries ou des levures) dégradant la cellulose sous forme de sucre et produisant l’éthanol par fermentation – la découverte de nouveaux catalyseurs pour la voie thermochimique (le procédé Fisher-Tropsch permettant de produire éventuellement des hydrocarbures). Outre l’éthanol, il est possible de produire d’autres alcools. Le butanol et l’isobutanol offrent des perspectives intéressantes, le butanol (dont la densité énergétique est presque équivalente à celle de l’essence) peut être produit par des bactéries telles qu’Eschrichia coli et Clostrium mais on est encore loin d’en être à un stade industriel. La filière des algues (dite des biocarburants de troisième génération) est aussi une perspective intéressante pour produire des carburants, notamment pour l’aviation, à partir de corps gras avec un très bon rendement à l’hectare (en principe dix fois supérieur à ceux de la production des biocarburants de première génération). Les investissements à réaliser sont considérables.
Paradoxalement alors que les énergies renouvelables sont considérées comme une priorité mondiale les investissements à la filière des biocarburants ont baissé en 2010. C’est ce que révèle un rapport de l’UNEP (un programme de l’ONU sur l’environnement , www.unep.org ) , « New energy finance global trends in renewable energy investment 2011 ». Ce rapport de l’UNEP analyse les tendances enregistrées en 2011 dans le financement mondial des énergies renouvelables (les grandes infrastructures de production, les biocarburants et les petites installations individuelles) et s’il constate que les investissements globaux de production d’énergies renouvelables (les grandes infrastructures) ont connu une croissance de 32% par rapport à 2009, ceux concernant les biocarburants ont baissé de 20% l’an dernier. Pour la première les pays en développement ont plus investi dans le secteur des énergies renouvelables que las pays développés (avec une croissance très forte en Afrique). On observera que la filière des biocarburants ligno-cellulosiques serait intéressante pour les pays en développement en particulier en Afrique en utilisant des déchets végétaux ou forestiers. revanche la recherche sur les biocarburants a connu un véritable boom en 2010 : elle a augmenté de 142%, la hausse profitant essentiellement aux carburants de deuxième génération. On observera que la filière des biocarburants ligno-cellulosiques serait intéressante pour les pays en développement, en particulier en Afrique, grâce à l’utilisation des déchets végétaux ou forestiers.
L’avenir des biocarburants est encore incertain et beaucoup d’experts estiment qu’ils mettront au moins dix ans à percer. Ils estiment aussi que face aux besoins alimentaires de la planète, les biocarburants de première génération ne tiendront probablement pas la route. Il faut donc investir dans la deuxième et la troisième génération (les algues) en préparant l’avenir par la R&D (c’est la tendance enregistrée par l’UNEP). La crise économique qui se poursuit, et qui peut s’aggraver, ainsi que la situation financière difficile de tous les pays développés ne vont évidemment pas faciliter la transition énergétique vers les énergies renouvelables en général et les biocarburants en particulier.