La voiture électrique a-t-elle un avenir?

jamais_contente.jpegLa nécessité de diminuer les émissions de CO2 (le transport est à l’origine du quart des émissions mondiales) pour limiter le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources pétrolières font peser des contraintes fortes sur le système de transport et en particulier sur l’automobile. Elles redonnent une actualité à la voiture électrique, des constructeurs européens annonçant la sortie prochaine de modèles de voitures électriques. Un rapport récent et plusieurs colloques mettent en lumière les défis auxquels elles sont confrontées.

On considère, aujourd’hui, que le système automobile tel qu’il s’est bâti au XXe siècle n’est plus « soutenable » car la nécessité de diminuer les émissions de CO2 (le transport est à l’origine du quart des émissions mondiales) pour limiter le réchauffement climatique et la raréfaction des ressources pétrolières font peser des contraintes fortes sur l’automobile. Alors qu’à plusieurs reprises, la voiture électrique a semblé être une solution d’avenir qui ne parvenait pas à s’imposer, un rapport sur la « Voiture de demain : carburants et électricité», publié en juin par le Centre d’analyse stratégique (CAS) et le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies ( www.strategie.gouv.fr/files/cas_voiture-de -demain_version14juin) tente de répondre à cette question clé : dans quelles conditions techniques et économiques pourrait-elle constituer une solution pour le transport individuel ?

 Pourra-t-on disposer d’une batterie sûre, peu chère, assurant une grande autonomie et avec une longue durée de vie pour la voiture électrique? C’est un véritable défi technique et économique. Depuis la mise en service des accumulateurs au plomb à la fin du XIXe siècle, de nombreux progrès ont été accomplis mais ils ont été très lents. L’objectif des constructeurs est de dépasser une densité de stockage de 200 Wh par kilo, sachant que pour une voiture « théorique » dont le poids est d’une tonne il faut dépenser de 15 à 20 kWh pour parcourir 100 km. Une batterie dans ces conditions d’autonomie ne devrait pas peser plus de 100 kg (dix fois plus qu’une batterie au plomb). Après l’étape des batteries nickel/cadmium (le cadmium ayant été interdit pour cause de toxicité), on est passé au nickel/Hydrures métalliques et ce sont aujourd’hui les batteries lithium-ion (mises au point pour les portables) qui semblent compétitive. Elles ont pu faire une percée grâce à des innovations importantes (en particulier l’intercalation du lithium dans des matrices de carbone et l’invention des électrodes à oxydes lamellaires). Plusieurs variantes de ces batteries sont possibles (notamment la pile lithium/air) mais aucune solution ne s’impose vraiment. Des progrès sont possibles en utilisant d’autres matériaux, le silicium et des électrolytes solides à base d’oxydes ou de polymères par exemple. La compétition industrielle est serrée dans ce domaine avec un leadership asiatique incontestable (Japon, Corée du sud, Chine) et les experts du CAS estiment qu’une rupture technologique est indispensable si l’on veut disposer de batteries compétitives ce qui suppose un effort de R&D important portant sur leur fiabilité et leur capacité d’autonomie.

 La fiabilité et la durabilité des batteries sont aussi deux paramètres importants : les batteries doivent pouvoir subir plusieurs milliers de cycles de charges et de décharges. Elles doivent aussi être exemptes de risques d’incendie qui peuvent être causés par la mise en contact de deux électrodes s’il se formait, par exemple, des dendrites métalliques entre celels-ci (certaines batteries au lithium de portables ont ainsi pris feu). Il existe ainsi une querelle d’experts sur la sécurité de certaines batteries au lithium : trois options sont actuellement retenues : le phosphate de fer lithié qui serait plus sûr, l’oxyde de manganèse lithié qui le serait moins selon certains experts, et les batteries lithium-métal-polymère. L’approvisionnement en métaux utilisés dans les batteries ne semble pas poser de problème majeur (notamment pour le lithium du moins à horizon de vingt ans), sauf au plan géopolitique car certains pays, la Chine par exemple, ont un quasi monopole pour la fourniture de certains d’entre eux (des terres rares comme le néodyme notamment).

La performance globale des véhicules électriques est évidemment un point crucial qui est l’objet de toute l’attention des experts du CAST: la consommation d’électricité et les émissions de CO2. Ceux-ci soulignent que si le véhicule électrique est loin d’être à « zéro émission », il présente l’avantage de réduire les émissions de CO 2, de quasiment éliminer celles d’oxydes d’azote qui sont polluantes et de ne peut être bruyant (des avantages importants pour un usage urbain). Les émissions de CO2 dépendent de deux facteurs : le contenu carbone de l’électricité utilisée (négligeable pour le nucléaire, très important pour le charbon utilisé notamment par les centrales électriques chinoises), celui des batteries dont la fabrication a dégagé du CO2. La France qui produit son électricité à près de 80 % à partir de l’énergie nucléaire est de ce point de vue dans une situation favorable. Mais le problème se posera inéluctablement à l’échelle mondiale si la voiture électrique se développe notamment en Chine et en Inde. La question que va se poser l’acheteur d’une voiture électrique est in fine la suivante : une voiture électrique présente-t-elle un avantage économique par rapport aux véhicules à moteur thermique classique ? Le prix des batteries, qui est encore trop élevé (1 kWh de stockage dans une batterie au lithium coûte de 500 à 1000 €), et leur durée de vie incertaine constituent incontestablement un handicap économique majeur. Le rapport analyse en détail les coûts de revient kilométrique du véhicule électrique et les compare à ceux d’un véhicule thermique. Il en conclut que l’équivalence entre les deux types de véhicules ne peut être atteinte en 2020 (les aides à l’achat, 5000 € aujourd’hui en France, étant alors supprimées) qu’à une double condition : une distance moyenne parcourue de 15 000 km par an et un prix des batteries de l’ordre de 300 € par kWh (leur prix actuel est d’environ 700 € /kWh). Aujourd’hui, la Fluence que Renault devrait commercialiser à l’automne 2011 (avec une batterie de 22 kWh donnant une autonomie de 160 km) passe la barre de la rentabilité si l’on tient compte de la prime à l’achat tandis que la Ion de Peugeot (une autonomie de 130 km) ne la passe sans doute pas. Aux USA la voiture Roadster de la société Tesla en Californie serait vendue avec des batteries d’une autonomie variant de 250 à 480 km suivant le pack choisi à un prix qui serait d’environ 100 000 $. A cela s’ajoute le fait qu’il faut aussi prévoir des infrastructures sécurisées pour la recharge des batteries et cela a un coût. Une alternative que proposeraient certains constructeurs dont Renault consisterait à louer la batterie à l’acheteur de la voiture et à procéder à son échange dans des stations-services pour éviter qu’il la recharge lui-même. Il reste aussi que les politiques fiscales concernant les carburants et l’électricité peuvent modifier les perspectives, ainsi d’ailleurs qu’une hausse très importante du cours de baril de pétrole qui ne doit pas être exclue (un litre d’essence à 3-4 € ?) et qui serait favorable aux véhicules électriques Un marché pour les véhicules électriques qui ne serait pas uniquement un marché de niche émergera-t-il ?

 L’engouement pour le véhicule électrique dans les pays où l’électricité est « carbonée » n’a pas nécessairement une vertu écologique même si les véhicules électriques sont moins polluants en ville (l’usage des deux roues électriques se répand en Chine). Les flottes de véhicules d’entreprises (La Poste par exemple) sont certainement une bonne niche pour lancer un marché mais il faut aussi que les comportements individuels changent dans le domaine des transports, notamment pour l’urbain et le péri-urbain. Des concepts commerciaux innovants sont aussi nécessaires (par exemple la location de véhicules en ville qui sera lancé à Paris avec le projet Autolib). En attendant, le véhicule hybride rechargeable avec une autonomie limitée adapté aux trajets urbains, sur lequel misent les Japonais, qui n’a besoin que d’une petite batterie (avec une faible autonomie électrique mais pouvant être utilisé en mode thermique sur les longs parcours) serait compétitif et constituerait une solution transitoire pour ouvrir la voie à une acceptabilité des véhicules électriques. Si l’on en croît les experts du CAS, le véhicule tout électrique n’est pas encore une solution économique à portée de main tant que le problème des batteries ne sera pas résolu de façon satisfaisante. On observera que les experts britanniques du ministère des Transports à Londres semblent plus optimistes  ( "Making the connection : the plug-in vehicle infrastructure strategy",  www.dft.gov.uk ) car ils « prévoient » que le marché du véhicule électrique rechargeable pourrait accélèrer entre 2015 et 2030, plusieurs centaines de milliers de voitures électriques pourraient circuler sur les routes britanniques vers 2020.

 Le rapport pour le moins mitigé du CAS ainsi que l’opinion réaliste de spécialistes des batteries (exprimée notamment lors d’un récent colloque sur les énergies renouvelables organisé, début juin, au Collège de France par le spécialiste des batteries J-M. Tarascon) qui estiment que des progrès sont indispensables dans ce domaine mettent bien le doigt sur cette question clé. Un effort de recherche important est encore nécessaire notamment dans les laboratoires publics. En attendant une « rupture » d’autres pistes peuvent être explorées. Le moteur thermique n’a pas dit son dernier mot et il est possible de réduire de 50% les consommations unitaires par des efforts techniques : généraliser les dispositifs dits de « start and stop » coupant automatiquement un moteur thermique dès que le véhicule est à l’arrêt, de nouveaux cycles (les moteurs à deux temps plus économes en carburant et utilisés par la fameuse Traban de l’Allemagne de l’Est). La solution de la voiture à pile à combustible (utilisant l’hydrogène) est aussi souvent évoquée, le point de blocage est toujours le platine qui doit être utilisé comme catalyseur qui est évidemment coûteux (et rare !) et pour lequel il n’existe pas encore d’alternative crédible. Par ailleurs le problème de la production de l’hydrogène reste entier (aujourd’hui il est produit à partir du méthane) et devra être résolu si l’on veut que le véhicule à pile à combustibles soit une solution « décarbonée ».

En 1899, une voiture électrique belge « La jamais contente » (cf. photo, ses batteries qui pesaient 600 kg et ne lui donnaient que 60 km d’autonomie..), avait été la première voiture à franchir le mur des 100 km/h et, un bon siècle après, on a le sentiment que l’on ne peut pas se contenter des techniques actuelles même si des progrès importants ont été accomplis (le véhicule hybride est l’un deux). La voiture électrique a besoin à la fois d’une évolution du comportement du public et d’une rupture technique pour s’imposer.


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