Si la demande mondiale d’énergie continue à croître (à un rythme annuel proche de 2%), elle est désormais soumise à des contraintes majeures qui conduisent à privilégier le recours à des filières « non carbonées » au premier rang desquelles figurent les énergies renouvelables (en particulier le solaire et l’éolien). Plusieurs scénarios récents font l’hypothèse qu’en 2050 les énergies renouvelables pourraient représenter plus de la moitié de l’offre d’énergie primaire. Cette hypothèse est-elle crédible ? La question vaut d’être posée, en particulier après l’accident de Fukushima qui fragilise la filière nucléaire.
L’offre d’énergie est soumise, depuis une décennie, à trois contraintes majeures. L’épuisement des réserves de combustibles fossiles (80% de l’énergie primaire) à moyen terme (trois à quatre décennies pour le pétrole, six ou sept pour le gaz), est la première : il faut d’ores et déjà préparer l’après-pétrole. La deuxième contrainte est climatique car, selon la grande majorité des climatologues, l’accumulation de gaz carbonique dans l’atmosphère résultant de la consommation d’énergies fossiles est la cause majeure du réchauffement du climat. Enfin, la troisième contrainte est la forte croissance économique des pays émergents tels que la Chine (le premier consommateur mondial d’énergie), l’Inde et le Brésil qui contribue à la hausse de la demande mondiale d’énergie. Tous les scénarios énergétiques tiennent compte désormais de ces contraintes. Ainsi, en novembre 2010, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a-t-elle proposé un scénario « climatique », volontariste, compatible avec les engagements pris lors de la conférence de l’ONU sur le climat à Copenhague (limiter à 2°C le réchauffement de la planète depuis le début de l’âge industriel) : la part des combustibles fossiles dans l’énergie primaire passerait de 80% en 2008 à 63% en 2035. Nous avons commenté ce scénario en soulignant qu’il suppose des investissements très importants : environ 500 milliards de dollars de plus par an que le scénario « business as usual» de l’AIE fondé sur l’hypothèse d’une continuité des politiques énergétiques (la part des énergies carbonées dans l’énergie primaire ne serait pas modifiée).
Si le scénario « climatique» de l’AIE est volontariste ceux proposé récemment par le groupe de travail sur les énergies renouvelables du GIEC (groupe intergouvernemental d’experts du climat) le sont encore plus (IPCC « Special report on Renewable energy sources and climate change mitigation », http//srren.org). En effet, à la suite d’une réunion tenue à Abou Dhabi, les d’experts du GIEC ont proposé une série de scénarios qui font plusieurs hypothèses : selon l’hypothèse la plus « pessimiste » les énergies renouvelables assureraient 15% de la demande mondiale d’énergie primaire en 2050, tandis que dans l’hypothèse la plus « optimiste », leur part atteindrait 77%. La fourchette, on le voit, est assez large et les scénarios sont d’ailleurs modulés d’une région à l’autre. Le point de départ (le GIEC prend l’année 2008 comme référence) est, il est vrai, assez bas. En 2008, selon le GIEC, les énergies renouvelables représentaient 12,9% de l’énergie primaire : – la biomasse « traditionnelle » (le bois, la paille et les déchets végétaux) contribuait à 6,3% de la dépense énergétique, la biomasse « moderne » (les biocarburants notamment) à 3,9%, l’hydraulique à 2,3%, l’éolien à 0,2%, le solaire et la géothermie chacun à 0,1%, la contribution des autres filières (l’énergie marine notamment) étant négligeable. Dans le scénario le plus volontariste (77% de l’énergie primaire provenant des filières renouvelables avec une offre d’énergie renouvelable décuplée par rapport à son niveau actuel), l’énergie solaire aurait la contribution la plus forte, devant la bioénergie et l’éolien. La vertu des scénarios volontaristes du GIEC est évidemment de diminuer très fortement les émissions de CO2 dans l’atmosphère en éliminant pratiquement le recours aux filières carbonées. Selon le GIEC il n’existerait aucun obstacle technique à l’utilisation massive des énergies renouvelables, c’est évidemment une question clé qui mérite d’être débattue.
Sans attendre la mise en œuvre de ces scénarios on observe que de nombreux pays investissent déjà massivement dans les filières renouvelables. Ainsi, en 2010, la Chine a investi 55 milliards de dollars dans le secteur (elle est le premier exportateur mondial de panneaux solaires) suivie par l’Allemagne (avec 42 milliards de $) et les Etats-Unis (35 milliards de $ d’investissements, dans son dernier discours sur l’état de l’Union, le président Obama annonçait que les USA produiraient 85% de leur électricité en 2035 avec des « énergies propres »). On constatera au passage que la France prend le train avec retard (elle est au neuvième rang mondial avec un investissement de 7 milliards de $) et que si elle investit dans le solaire photovoltaïque, c’est en important massivement des panneaux et cellules solaires. Si la plupart des scénarios énergétiques « prévoient » une forte croissance de la production d’électricité par des énergies renouvelables (la production d’électricité étant aujourd’hui assurée majoritairement par des filières carbonées), on observera que l’avenir de ces filières va dépendre des lsolutions qui seront apportées à deux problèmes « critiques » : la possibilité d’une part d’abaisser les coûts des kWh produits (tout particulièrement pour le solaire) et d’autre part de stocker leur production car ces énergies sont intermittentes. La production de biocarburants pour remplacer les produits pétroliers constitue, elle aussi, un enjeu important car il s’agit d’éviter d’utiliser une matière première, la biomasse, à finalité alimentaire. Dans ces trois domaines les obstacles scientifiques et techniques ne sont pas minces et l’on peut penser que le rapport du GIEC pèche par optimisme.
Observons d’abord que parmi toutes les énergies renouvelables (hors hydraulique), l’énergie éolienne est sans doute celle qui est la plus proche de la maturité technique et économique car sa contribution à la production mondiale d’électricité a dépassé 1% (elle atteindrait 5% en Europe) avec des techniques qui semblent au point. La puissance des turbines est allée en croissant depuis dix ans et les constructeurs peuvent mettre sur le marché des turbines de 5 MW (soit cinq fois la puissance d’un moteur du TGV atlantique). Peut-on aller au-delà afin de construire des grandes centrales éoliennes avec des turbines de très grande puissance ? Telle est la question à laquelle s’est efforcé de répondre le projet de recherche « Upwind » financé par l’Union Européenne dont les conclusions ont été présentées dans le rapport final en mars 2011 (www.ewea.org/upwind). Il apparaît que si les connaissances techniques dans l’éolien sont relativement nombreuses, elles sont très fragmentées et insuffisantes dans certains domaines (sur la résistance des rotors des turbines et le raccordement au réseau par exemple), de même l’instrumentation doit-elle être améliorée (l’anémométrie par exemple). Le projet « Upwind » conclut à la faisabilité de turbines « géantes » d’une puissance de 20 MW (la moitié de celle d’un moteur d’airbus A 380) moyennant un important effort d’innovation (portant en particulier sur les matériaux pour les pales des turbines). La construction de ces éoliennes géantes ne serait pas sans problème car les pales auraient une longueur de 120 mètres (par comparaison l’empennage total d’un airbus A 380 n’est que de 80 mètres) et le bulbe de l’éolienne s’élèverait à 150 mètres au-dessus du sol. Le développement d’éoliennes géantes fournissant une grande puissance suppose un bond technologique important et l’avenir de cet éolien se trouve sans doute dans l’off-shore.
La situation est moins claire pour la filière solaire. Deux options sont possibles : – la filière thermodynamique (ou à concentration) – la filière photovoltaïque. Les efforts les plus importants portent sur la seconde filière pour d’une part abaisser les coûts de production des cellules et d’autre part augmenter leurs rendements (actuellement au maximum de 20 % avec les cellules au silicium) : l’objectif est de diviser par un facteur dix les coûts de production des kWh. Ceci suppose des percées scientifiques et techniques sur les matériaux. Des progrès sont régulièrement annoncés, notamment avec des plastiques, mais les rendements restent encore faibles (10% environ). Toutefois les chercheurs ont bon espoir d’améliorer ces rendements avec des cellules constituées de couches de polymère superposées pouvant absorber des radiations de longueur d’onde différentes (cf. Robert S.Service, « Outlook brightens for plasctic solar cells », Science vol. 332, 15 April 2011, www.sciencemag.org ). Les filières solaires présentent évidemment de grands avantages pour les pays bénéficiant d’un bon ensoleillement, c’est le cas en particulier pour les pays africains qui ont des besoins en énergie importants. Le stockage de l’électricité représente un autre verrou à faire sauter pour l’utilisation sur une grande échelle des énergies renouvelables qui sont des filières à la production intermittente. Là encore, les progrès sont très lents en particulier dans le domaine des batteries même si les batteries au lithium qui ont été mises au point pour les voitures électriques représentent une innovation majeure. Pour la mise en oeuvre des filières éolienne et solaire il est nécessaire de développer des techniques permettant de stocker de grandes quantités d’énergie et celles-ci ne sont pas encore à portée de main. La pile à combustible à hydrogène est une option encore lointaine même si des progrès récents combinant une cellule photovoltaïque au silicium et un catalyseur métallique laisse entrevoir la possibilité de produire de l’hydrogène par décomposition de l’eau (la photolyse) à l’aide de l’énergie solaire (cf. Robert S.Service « Artificial leaf turns sunlight into a cheap energy source», Science, vol. 332, p. 25, 1 April 2011, www.sciencemag.org ) Enfin terminons en rappelant que la production massive de biocarburants à partir de la biomasse (une hypothèse implicite des scénarios du GIEC) ne sera possible que si des percées interviennent en génétique végétale et en biologie synthétique.
Les énergies renouvelables ont incontestablement le vent en poupe mais si de très nombreux scénarios, tels ceux du GIEC, prévoient qu’elles prendront une place grandissante dans l’offre d’énergie, il y a lieu de tempérer l’optimisme avec une dose de réalisme : les progrès des techniques énergétiques sont lents (ils sont incontestables pour l’éolien) et des ruptures techniques seront nécessaires pour que les énergies renouvelables se substituent massivement aux énergies carbonées. Bien entendu, on ne doit jamais exclure la possibilité de ruptures et pour préparer l’avenir la meilleure stratégie consiste sans doute à mettre plusieurs fers au feu en explorant toutes les voies possibles (ne pas choisir trop tôt), ce qui suppose que l’on en ait les moyens financiers et humains ce qui est aussi un défi en période crise…..