Le nucléaire a-t-il un avenir après Fukushima?

Image00059.jpg L’accident de la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon, qui a suivi le catastrophique tsunami du 11 mars a soulevé une vague d’interrogations sur l’avenir de l’énergie nucléaire. Alors qu’avant l’accident, certains experts n’hésitaient pas à évoquer une « renaissance » du nucléaire, notamment aux USA, la catastrophe de Fukushima a remis en cause les plans de développement de la filière. Il est encore trop tôt pour tirer les leçons de cet accident, mais à tout le moins est-il possible de s’interroger sur la place que pourrait avoir le nucléaire dans l’énergie mondiale alors que le cours du baril de pétrole semble s’être durablement installé au-dessus de 100 dollars

Rappelons brièvement les faits concernant la centrale de Fukushima Daiichi qui compte six réacteurs du type à eau bouillante (dits BWR pour Boiling Water Reactor) d’une puissance totale de 4,5 GW. Le très violent séisme de magnitude 9 qui a touché la région de Fukushima (son épicentre était en mer) a été suivi par un catastrophique tsunami qui a ravagé toute la région côtière provoquant lui aussi d’énormes dégâts. Trois des réacteurs de la centrale étaient à l’arrêt pour des opérations de maintenance lorsqu’est survenu le séisme qui ne semble pas avoir endommagé les réacteurs (l’enquête ultérieure le dira) et si les centrales en marche ont été immédiatement arrêtées, le tsunami a privé de courant électrique la centrale mettant hors d’état de fonctionner les installations de secours privant ainsi d’eau les systèmes de refroidissement des cœurs des réacteurs mais aussi des piscines de stockage des barreaux de combustible. Les trois réacteurs en fonctionnement avant le séisme ont été gravement endommagés, leur cœur ayant fondu partiellement, ainsi qu’un des réacteurs à l’arrêt car sa piscine de stockage des combustibles ne pouvait plus être refroidie. La montée en température du coeur des réacteurs a provoqué une décomposition de l’eau catalysée par l’enveloppe en zirconium des barreaux contenant l’uranium et un dégagement d’hydrogène qui a explosé dans plusieurs réacteurs fissurant la cuve d’enceinte, provoquant ainsi une fuite de produits radioactifs (notamment d’iode et de césium). De l’eau contaminée s’est également écoulée de l’enceinte des réacteurs vers les bâtiments de la centrale amenant ainsi une augmentation très forte de la radioactivité sur le site.

Le scénario du déroulement de l’accident n’est pas encore connu avec exactitude, mais il semble que confrontés à de graves difficultés, en particulier privés de toute alimentation électrique, les techniciens de la centrale aient bien réagi (l’un deux a eu l’idée de mettre en marche les pompes des véhicules de lutte contre l’incendie de la centrale qui étaient intacts pour arroser les réacteurs). En revanche la société exploitant la centrale, Tepco, a fait preuve d’un sérieux manque de transparence dans les jours qui ont suivi l’accident. Bien que classé avec le même degré de gravité que l’accident de la centrale de Tchernobyl, survenu il y a 25 ans, la gravité de celui de Fukushima sera probablement moindre (à Tchernobyl le réacteur avait explosé et le graphite qui été utilisé comme modérateur a pris feu dégageant une fumée chargée de produits radioactifs dans l’atmosphère pendant plusieurs semaines). Par ailleurs les vents dominants à Fukushima ont envoyé vers l’océan la plus grande partie des effluents radioactifs évitant des retombées plus importantes au sol notamment dans les zones urbaines. On observera aussi que les autres centrales nucléaires de la région ont pu être mises à l’arrêt sans dommage (notamment celle de Fukushima Daini).

 Il est trop tôt pour tirer les leçons de l’accident de Fukushima, même si certains gouvernements l’ont fait dans les toutes premières semaines qui l’ont suivi, en particulier le gouvernement allemand qui a décidé de ne pas prolonger la durée de vie des centrales en fonctionnement contrairement au plan initial et le gouvernement italien qui a renoncé à une relance du nucléaire en Italie. La première question que l’on se pose est évidemment, une fois de plus, celle des risques encourus par des populations habitant dans une zone proche d’une centrale au cas où un grave accident du type Tchernobyl ou Fukushima surviendrait (l’accident de Three Mile Island survenu en 1979 aux USA a constitué une très sérieuse alerte, une partie importante du cœur d’un réacteur ayant fondu mais n’a pas eu d’impact extérieur). La revue Nature en collaboration avec l’université de Columbia à New-York a fait une enquête « géographique » sur la localisation des populations au voisinage de centrales nucléaires (Declan Butler, « Reactors and risks », publié on line le 29 avril, www.nature.com ). Il apparaît ainsi que les deux tiers des centrales nucléaires mondiales (la plupart d’entre elles fonctionnant avec plusieurs réacteurs) ont un bassin de population dans une zone de 30 km de rayon autour de la centrale plus important que les 170 000 habitants de la région proche de Fukushima. Vingt et une centrales ont une population de plus d’un million de personnes vivant dans un rayon de 30 km et six centrales ont une population de plus 3 millions de personnes vivant dans ce rayon (5, 5 millions de personnes habitent dans une zone proche d’une centrale de puissance 2 GW à Taiwan). En Chine du sud, 28 millions d’habitants vivent au voisinage de centrales nucléaires (dans un rayon de 75 km), notamment dans la région de Hong Kong. Bien entendu chaque centrale a sa spécificité. On observera aussi que le Japon a pris le risque (accepté par les populations ?) de construire un grand nombre de centrales dans les zones où les risques sismiques sont importants (la centrale de Fukushima était d’ailleurs insuffisamment protégée contre un risque de tsunami faute d’avoir construit une digue assez haute), la centrale de Kashiwazaki-Karima sur la côte ouest du Japon (la plus puissante du pays) avait été touchée par un tremblement de terre en 2007 et avait aussi perdu son alimentation électrique mais l’accident s’était soldé par des fuites mineures de radioactivité.

Pour l’avenir, un examen plus sérieux des zones d’implantation de centrales avec les risques possibles encourus sera certainement indispensable (en particulier en relation avec l’incidence possible de graves catastrophes naturelles du type tremblements de terre, inondations, tornades, etc.). L’accident de Fukushima repose inéluctablement la question de la sûreté des centrales. Dans une intéressante interview au magazine Nature qui a publié une série de dossiers sur l’accident nucléaire de Fukushima, Laurent Stricker, un ingénieur français, qui a été responsable de la production nucléaire d’EDF et qui préside l’Association mondiale des opérateurs de centrales nucléaires (« Nuclear safety chief calls for reform », Nature, vol. 472, p. 274, 21 April 2011) estime ainsi que l’industrie nucléaire pèche encore par un excès de confiance dans la sûreté des conditions de fonctionnement des réacteurs. En schématisant, elle tient encore trop souvent le raisonnement suivant : « tout va très bien Madame la marquise », tous les scénarios de crise ont été étudiés et les réponses adéquates préparées. Fukushima était certes un accident dont la cause première était une catastrophe naturelle mais il est probable que la plupart des opérateurs de centrales n’ont pas pris en compte un scénario d’accident ou plusieurs réacteurs seraient simultanément touchés par un accident (par exemple une perte de tous les systèmes d’alimentation électrique de secours). Un examen draconien des conditions de sécurité dans le cadre d’évaluations internationales est donc indispensable. Qui plus est, la perspective d’un développement de l’énergie nucléaire dans des pays qui ne sont pas dotés d’une « culture de la sécurité » (l’Egypte, la Malaisie, l’Indonésie pour n’en mentionner que quelques-uns) doit être sérieusement réexaminée car il ne peut être envisagé que si la mise en service de centrales est soumise au préalable à une sérieuse expertise internationale.

 Le nucléaire aura-t-il un avenir après Fukushima ? Cette question appelle au moins deux réponses. La première est qu’en dépit de l’intention affichée par des pays comme l’Allemagne de sortir du nucléaire et de l’Italie de ne pas le relancer, il est probable que de nombreux pays ne renonceront pas à cette filière (c’est le cas de la Chine notamment) mais qu’il y aura un nucléaire « avant » et un nucléaire « après » Fukushima. La seconde réponse est qu’à très long terme (après 2040) l’avenir du nucléaire dépendra de sa capacité d’une part à assurer une plus grande sûreté du fonctionnement des réacteurs et d’autre part à mettre au point une quatrième génération de réacteurs avec des garanties de sûreté (les surgénérateurs utilisant mieux le combustible), étant entendu qu’un nucléaire sans risques est illusoire. A court terme une révision des conditions de sécurité conduira à une augmentation du coût du nucléaire qui est une filière très capitalistique ce qui est évidemment un handicap sérieux. La filière de l’EPR français qui a été conçue pour renforcer la sûreté de fonctionnement des réacteurs (notamment en cas de fonte du cœur) est plus ainsi coûteuse que la filière actuelle mais Fukushima renforce en quelque sorte sa crédibilité. Un nucléaire « après Fukushima » suppose aussi un renforcement des moyens de contrôle et d’évaluation internationaux des conditions de fonctionnement des centrales.

Quoi qu’il en soit, le développement du nucléaire au cours des prochaines années ne sera certainement pas le même après l’accident de Fukushima alors que la demande mondiale d’électricité ne faiblit pas (les scénarios de l’AIE prévoyaient, il y a peu, un doublement de la demande d’ici 2030). Il existe plusieurs filières pour remplacer les centrales nucléaires qu’il faudra arrêter pour les inspecter et celles qui ne seront pas construites. La première est celle des centrales à gaz (celles au fuel sont de moins en moins utilisées) ou au charbon. Il est probable que c’est la voie qu’emprunteront, à court terme, les pays qui soit renonceront au nucléaire soit renforceront de façon draconienne ses conditions de sûreté (ce sera sans doute le cas du Japon qui envisageait avant Fukushima de construire une dizaine de nouvelle centrales pour doubler sa production d’électricité nucléaire). L’inconvénient majeur de cette option est qu’elle est en contradiction avec les engagements de diminution des émissions de CO2 pour limiter le réchauffement climatique. La seconde filière est celle des énergies renouvelables (solaire et éolien) qui connaîtra très certainement une accélération. Son avenir, nous l’avons souligné à plusieurs reprises, dépendra d’une part de l’abaissement des coûts des kWh produits (tout particulièrement pour le solaire) et d’autre part de la possibilité de « stocker » l’électricité par ces filières qui sont par définition intermittentes.

 L’accident de Fukushima et ses séquelles (notamment la décontamination du site qui prendra quelques dizaines d’années) surviennent dans un contexte où l’énergie est chère, le cours du baril de pétrole étant durablement installé au-dessus de 100 dollars et le prix du gaz restant incertain (les possibilités d’exploiter le gaz de schiste étant encore aléatoires). La responsabilité des gouvernements est de faire comprendre à l’opinion qu’il n’y pas de voie miraculeuse pour l’énergie et que son renchérissement est inéluctable et ce d’autant plus qu’il faut investir dans la recherche pour préparer l’avenir.


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