Les filières énergétiques dépendent-elles de métaux critiques?

Image00019.pngLes perspectives d’un “décollage” des voitures électriques ainsi que les craintes suscitées par le monopole actuel de la Chine sur la production des terres rares, ont mis en évidence le rôle clé que jouent certains métaux dans les filières énergétiques. Certaines de ces filières manqueront-elles de matériaux faute d’approvisionnement ? Peut-on trouver des substituts à certains matériaux utilisés dans des systèmes (des batteries par exemple) ?  C’est la question que l’on doit se poser à la lumière de rapports et d’articles récents qui proposent des stratégies.

 Plusieurs pays dont le Japon et les Etats-Unis s’inquiètent, depuis quelques années déjà, de leur approvisionnement en matériaux, essentiellement des métaux d’ailleurs, qui jouent un rôle clé dans plusieurs secteurs de l’économie, de l’électronique et des énergies renouvelables notamment. Ainsi, par exemple, les batteries au lithium qui sont utilisées dans plusieurs modèles de voitures électriques contiennent-elles de 150 à 300 grammes de lithium par kWh d’énergie stockée (pour une autonomie du véhicule de 20 kWh considérée comme un minimum cela représente une masse de 3 à 6 kg de lithium selon le type de batterie). On doit donc se préoccuper des approvisionnements en lithium pour développer cette filière de batteries. La publication récente d’un rapport sur les « matériaux critiques » par le département de l’énergie aux USA (DOE, www.energy.gov ) permet fort opportunément de faire le point sur cette importante question (DOE, Critical materials strategy, Washington 2010, voir aussi, Pierre Papon, "Des matériaux clés pour l’énergie", Futuribles, No 322, mars 2011, p. 85). Le rapport américain présente les conclusions d’une longue enquête menée aux USA et dans plusieurs pays et il passe en revue la situation de quatorze éléments considérés comme « critiques » pour le secteur des énergies « propres » (c’est-à-dire les énergies renouvelables hors biocarburants) : neuf métaux qui sont des terres rares ainsi que le lithium, le cobalt, le gallium, l’indium et le tellure (un métalloïde) qui n’en sont pas. Rappelons que les terres rares (qui portent mal leur nom car elles ne sont pas si rares que cela !) sont un ensemble de 15 métaux constituant la famille des lanthanides (dont le lanthane) auxquels s’ajoutent l’yttrium et le scandium. Ces matériaux interviennent tous dans des filières énergétiques renouvelables. Ainsi le Néodyme (une terre rare) qui est magnétique est utilisé dans les aimants permanents des turbines d’éoliennes et des voitures électriques car il permet de fabriquer des aimants plus compacts (dans une voiture hybride telle que la Prius le moteur électrique en contient environ 1 kg), tandis que le cobalt et le lithium sont des constituants des batteries. Quatre secteurs des énergies renouvelables, selon ce rapport américain, sont directement concernés par ces matériaux clés : les cellules solaires photovoltaïques, les turbines pour éoliennes, les batteries et les aimants pour véhicules électriques et les dispositifs nouveaux d’éclairage utilisant des matériaux luminescents. Les terres rares interviennent de façon importante dans les aimants (pour les éoliennes et les moteurs de véhicules électriques), en particulier le Néodyme (à travers un alliage avec le fer et le bore car il est léger) et le dysprosium. L’indium, le gallium et le tellure sont des matériaux importants pour les cellules solaires car, combinés à d’autres éléments (le cadmium pour le tellure), ils peuvent se substituer au silicium avec un bon rendement énergétique. Le lanthane, l’europium et l’yttrium sont utilisés dans des nouvelles lampes pour l’éclairage, quant au lithium il est un métal clé pour les électrodes des nouvelles batteries des voitures électriques (ainsi que des terres rares comme le cérium et le lanthane). Le rapport du DOE donne également un rapide coup de projecteur sur les catalyseurs utilisés dans le raffinage où le cérium a une place importante.

Cette liste n’est toutefois pas exhaustive et une série d’articles publiés par la revue Nature Materials (E.Nakamura and KSato, "Managing the scarcity of chemical elements", Nature Materials, vol. 10, p. 159, March 2010, www.nature.com/naturematerials  ) jette aussi un coup de projecteur sur les éléments chimiques dont les réserves sont limitées. On retrouve bien sûr la liste du DOE mais aussi des métaux de la série des platinoïdes (des métaux dont les propriétés sont voisines du platine) qui sont des catalyseurs dans l’industrie. Ainsi le platine qui est utilisé, notamment, comme catalyseur dans les piles à combustible est-il un métal rare et très coûteux (l’Afrique du sud en est le principal producteur) et, selon l’article japonais que nous avons cité la production mondiale actuelle de platine ne pourrait permettre de construire que 2 millions de voitures par an fonctionnant avec des piles à combustible (dans l’état actuel des techniques).

L’embargo temporaire de la Chine sur les livraisons au Japon de métaux de la famille des terres rares ainsi que les quotas que celle-ci impose à ses exportations, depuis septembre 2010, avec une augmentation de ses prix intervenue en décembre ont fait la une de la presse l’an dernier. Ce sont évidemment les menaces qui pèsent sur l’approvisionnement des USA et d’autres pays en métaux qui sont l’objet de craintes et d’un examen attentif dans le rapport du DOE. Celui passe en revue les questions que soulève l’accès à ces ressources sous l’angle géostratégique (la localisation des centres de production). La Chine possède, en effet, un quasi monopole de la production des terres rares (elle couvre près de 95% d’une production mondiale de 125 000 tonnes), car elle maintient en activité de nombreuses mines dont l’impact sur l’environnement est d’ailleurs non négligeable. Toutefois seulement 36% des réserves mondiales de minerais de terres rares (en général des oxydes) sont situées en Chine les USA, l’ex-URSS et l’Australie ayant des réserves importantes. La géographie des autres métaux est différente : – le Chili est le principal producteur de lithium dont des réserves existent aussi en Argentine, en Bolivie, en Australie et en Chine – le Congo (RDC) est le principal producteur de cobalt (souvent associé au cuivre) avec des réserves importantes en Australie et à Cuba – la Chine possède 73% des réserves d’indium (souvent associé au Zinc) avec quelques réserves aux USA et au Pérou. Le platine est produit pour l’essentiel par l’Afrique du sud et la Russie et quant à l’UE, elle a peu de ressources hormis le tellure. Les experts du DOE ont évalué le caractère « critique » de ces matériaux avec plusieurs critères (leur importance pour une filière énergétique, les risques pesant sur l’approvisionnement compte tenu des besoins estimés à l’aide des scénarios énergétiques de l’AIE). Il apparaît ainsi qu’à court terme (cinq ans) c’est la disponibilité des terres rares et notamment celle du dysprosium, du néodyme et de l’yttrium qui est la plus « critique » ainsi que celle de l’indium. A moyen terme (5-15 ans) le néodyme et le dysprosium seraient toujours critiques mais le lithium et le tellure pourraient aussi le devenir si les véhicules électriques et l’énergie solaire se développaient à un rythme soutenu, les ressources devenant insuffisantes.

 Le rapport du DOE examine aussi les stratégies qui sont mises en œuvre par plusieurs pays pour face à la demande (au Japon, en Corée du Sud, en Australie et dans l’Union européenne) et il fait également des recommandations pour une stratégie américaine. On s’aperçoit avec retard que l’énergie n’est pas uniquement une question de combustibles (du pétrole, du charbon, du gaz et de l’uranium) ou de vent et de soleil mais que des métaux jouent un rôle stratégique dans le développement de certaines filières (les voitures électriques notamment). Il faut donc s’assurer l’accès à des ressources qui ne sont d’ailleurs pas inépuisables. Les Japonais comme le montre l’article de Nature Materials sont sans doute les premiers à avoir pris conscience du problème en créant en 2007 une « Element strategy commission », chargée d’élaborer une stratégie dans le domaine des matériaux critiques. La France a créé un « Comité stratégique chimie et matériaux » en octobre 2010 pour faire ce travail. Quelle stratégie peut-on adopter ? Celle-ci a certainement plusieurs dimensions. La première quand on le peut est d’ouvrir ou rouvrir des mines, par exemple de terres rares (c’est ce que vont faire les Etats-Unis avec la mine de Mountain Pass en Californie), et aussi de développer la prospection minière. La deuxième est de procéder à du recyclage de matériaux usagés, les Japonais envisagent ainsi d’ouvrir des « mines urbaines » qui exploiteraient des déchets d’appareils électroniques déposés dans des décheterries dans des villes (selon le Japan’s National Institute for Material Science, il existerait 6,800 tonnes d’or et 60 000 tonnes d’argent dans les mines urbaines japonaises…). On envisage aussi le recyclage du lithium des futures batteries lorsqu’elles seraient hors d’usage. Une troisième possibilité (cf. A.King, « Purveyor of the rare », Nature Materials, Vol. 10, p. 162, March 2011) est de substituer un métal par un autre (on peut par exemple remplacer le néodyme par le dysprosium dans des aimants qui supporte des températures plus élevées mais il est encore plus rare…) ou de mettre au point des matériaux synthétiques (par exemple des matériaux organiques dopés avec des colorants pour les cellules solaires). Enfin la quatrième dimension stratégique est le développement de la recherche dans plusieurs directions : trouver des substituts aux matériaux rares, améliorer les techniques d’extraction minière et métallurgique, trouver des nouvelles techniques pour les filières renouvelables.

En cette année mondiale de la chimie, une discipline négligée en France (on la charge abusivement de beaucoup de maux…), on s’aperçoit que celle-ci va jouer un rôle clé dans la recherche Le tohu bohu autour des terres rares produites par la Chine était sans doute excessif (les Chinois n’ont pas intérêt à une politique d’embargo) mais il a au moins eu le mérite de montrer que le développement des énergies renouvelable ne sera pas un long fleuve tranquille….


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