L’Europe et les enjeux énergétiques: ambitions et moyens

Image00014.pngLe dernier Conseil européen qui s’est tenu à Bruxelles le 4 février dernier, a consacré une grande partie de ses travaux à la question énergétique. Alors que l’Europe dépend à 55% d’importations pour sa consommation énergétique, quelle politique énergétique commune peut-elle mettre en place et avec quels moyens ? Depuis sa création, l’Union Européenne se pose périodiquement cette question.  Elle s’est fixée, en 2008, des objectifs ambitieux pour diminuer sa consommation, augmenter son efficacité énergétique et promouvoir les énergies renouvelables. A t-elle les moyens de son ambition ? C’est la question à laquelle il faut tenter de répondre.  

Comme nous l’avons souvent rappelé, la question énergétique était au cœur de la construction européenne dans les années d’après-guerre. En effet, dés 1951, en Créant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), les six pays fondateurs de l’ « Europe » affichaient leur volonté de reconstruire l’économie européenne sur des bases énergétiques fortes (le charbon dans les années 1950 était encore le vecteur énergétique dominant). Quelques années après, les mêmes six pays craignant pour leur indépendance énergétique (alors que le pétrole du Moyen Orient montait en puissance, la crise de Suez en 1956 avait laissé planer la menace d’un embargo, les événements récents en Egypte ont ravivé ces craintes pendant quelques jours…) misaient sur le développement de l’énergie nucléaire en créant l’Euratom, en 1957, par l’un des deux traités de Rome (le premier créait le Marché Commun). Aujourd’hui, les questions énergétiques ont partiellement changé de nature mais le problème de l’indépendance énergétique se pose toujours à l’Europe car elle importe 55% de son énergie (cf. Eurostat 2010, Energy, transport and environment indicatorswww.epp.eurostat.ec.europa.eu). Cette dépendance est variable d’un pays à l’autre : elle est de 100% pour Malte et fortement négative pour la Norvège (-600%) qui est fortement exportatrice (cette dépendance est de 51% pour la France). La consommation d’énergie finale de l’Europe a très peu varié entre 1998 et 2008 (1,17 Gtep en 2008 contre 1,11 en 1998) mais, en revanche,sa production d’énergie primaire a légèrement fléchi puisqu’elle est passée de 940 Mtep en 1998 à 840 Mtep en 2008 (avec un forte chute de la production de charbon et une diminution importante de celle de pétrole). La politique européenne de l’énergie est en fait une équation difficile à résoudre avec plusieurs variables importantes. La première et la plus ancienne est son approvisionnement avec une inquiétude pour le pétrole et le gaz, les gisements de pétrole de la mer du Nord étant moins productifs, et avec en perspective la croissance de la demande de gaz (aujourd’hui la Russie, l’Algérie et la Norvège assurent 70% des approvisionnements en gaz de l’UE). L’impact de l’utilisation des combustibles fossiles sur le climat étant devenu une préoccupation majeure, la diminution des émissions de CO2 est une deuxième variable tandis que la possibilité de développer industriellement des filières énergétiques « non carbonées » en est la troisième.

 Les 27 Etats membres de l’UE avaient conclu, à Bruxelles en 2008 (lors de la présidence française de l’UE), un accord sur un paquet « énergie-climat» qui fixe des objectifs, relativement ambitieux, à l’UE d’ici 2020 pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Le Conseil européen qui s’est réuni le 4 février à Bruxelles les a d’ailleurs confirmés : – diminuer de 20% sa consommation d’énergie à l’horizon 2020 par rapport au scénario tendanciel de la fin de la décennie 2010 – augmenter de 20 % l’efficacité énergétique – faire passer à 20% la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie avec une proportion de 10 % de biocarburants dans les carburants pour les transports. Le Conseil européen a rappelé qu’une « énergie sûre, durable, financièrement abordable, dont l’approvisionnement est garanti et qui contribue à la compétitivité européenne, reste une priorité pour l’Europe » www.european-council.europa.eu/the-president ). L’UE a donc besoin d’un marché intérieur de l’énergie intégré, interconnecté et opérationnel qui devrait être achevé en 2014 ce qui suppose une action volontariste tant de la part des Etats que de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie. Le communiqué du Conseil souligne aussi que l’Europe doit faire des efforts considérables pour moderniser et développer ses infrastructures énergétiques qui sont vieillissantes et en particulier pour interconnecter les réseaux électriques au-delà des frontières (l’accord signé en décembre entre les agences de distribution de l’électricité de l’Europe du Nord-ouest pour construire un réseau sous-marin de câbles électriques en courant continu interconnectant les pays de la région va dans ce sens). Une interconnexion des réseaux de gaz et d’électricité devrait permettre d’assurer une meilleure sécurité énergétique en Europe d’ici 2015, son financement devant être assuré par le marché. Qui plus est, afin de renforcer la sécurité de ses approvisionnements, l’Europe est invitée à évaluer son potentiel en combustibles fossiles non-conventionnels, notamment le gaz de schistes (la France vient de décider un moratoire sur les explorations dans ce domaine…). L’amélioration de l’efficacité énergétique étant l’un des grands objectifs de l’UE, le Conseil demande aux Etats d’intégrer dès 2012 dans les procédures d’appels d’offres pour des marchés publics sur des bâtiments des normes d’efficacité énergétique retenues par l’UE (50 kWh/m2 par an). Un effort substantiel doit être accompli pour mettre en œuvre une politique de développement des énergies renouvelables et les technologies à faibles émissions de CO2 ce qui suppose que l’UE soit capable de définir de véritables priorités stratégiques (nouveaux véhicules, stockage de l’électricité, biocarburants), le Conseil reconnaissant, sans doute mais sans le dire, qu’elle ne l’a pas encore fait. Enfin, le Conseil formule le souhait que l’UE puisse mettre en place un véritable partenariat stratégique avec la Russie qui est l’un de ses fournisseurs importants en gaz. Il est clair que ces conclusions du Conseil européen, si elles ont le mérite de rappeler les grands objectifs d’une politique européenne de l’énergie, restent encore au niveau des intentions et ne définissent pas vraiment une stratégie qui supposerait un énoncé de moyens plus précis. Dans une note du 31 janvier (Objectifs en matière d’énergies renouvelables), la Commission Européenne rappelait que pour atteindre l’objectif de faire passer à 20% la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie supposait de multiplier par un facteur deux les investissements annuels en capital dans les énergies renouvelables (les faire passer de 35 à 70 milliards d’euros par an) ce qui est assez considérable mais cet objectif financier (qui concerne tant les Etats que les entreprises ), s’il n’est pas hors d’atteinte, n’est pas mentionné par le Conseil.

Une stratégie européenne est évidemment complexe à mettre sur pieds car les Etats membres de l’UE n’ont pas toujours des vues communes sur les filières énergétiques d’avenir et si l’on parle d’objectifs climatiques (diminuer les émissions de CO2), on évoque certes longuement les perspectives des énergies renouvelables mais l’on évite de poser le problème de l’avenir du nucléaire (sauf à travers la promotion de normes plus élevées en matière de sûreté, seul point cité dans les conclusions du Conseil européen), un sujet qui ne fait pas l’unanimité. Une stratégie européenne supposerait des objectifs clairs : – en matière d’approvisionnement et de leur sécurité, notamment en gaz, avec une diversification des fournisseurs (ce qui implique une stratégie commune en matière de gazoducs) – pour la production et la distribution d’électricité (via les renouvelables et le nucléaire, et l’interconnexion des réseaux qui commence à se mettre en place) – une politique de recherche et d’innovation dynamique – une stratégie industrielle pour promouvoir les techniques européennes en matière d’énergies renouvelables (les biocarburants et les véhicules électriques notamment) et de production d’électricité. Le principe cardinal d’une telle politique est d’assurer la diversité des filières et des approvisionnements qui est un gage de sécurité. Autrement dit l’Europe doit faire feu de tout bois (du gaz naturel au nucléaire en passant par les biocarburants) en assurant une cohérence globale (le nucléaire peut pallier les déficiences de l’éolien et réciproquement). Aujourd’hui, le tableau est loin d’être noir car l’OCDE dans un récent rapport (Science, technologie et industrie perspectives 2010 www.ocde.org ) que dans l’ensemble des brevets déposés par les pays de l’UE la part des brevets consacrés aux énergies renouvelables avait fortement augmentée sur la période 1999-2007 (on fait le même constat pour les USA et la Chine) : celle concernant les véhicules électriques (y compris les hybrides) a triplé, celle concernant les filières d’ énergies renouvelables a également triplé, elle a augmenté de 50% pour les techniques concernant les bâtiments, tandis que la part des technique de lutte contre la pollution baissait d’un tiers. Déposer des brevets est une chose, vendre des techniques ou des produits nouveaux en est une autre, et les ennuis de la filière photovoltaïque en Europe, et en France en particulier, montrent bien que la stratégie industrielle a souvent du mal à emboîter le pas à la technique. Il est vrai que la crise économique a ralenti les investissements dans les nouvelles filières et conduit les Etats (dont la France, l’Allemagne et l’Espagne) à diminuer les incitations fiscales et tarifaires pour promouvoir les nouvelles filières telles que le solaire.

 La politique de recherche et d’innovation est un moyen de préparer l’avenir et là aussi l’UE a besoin de définir une stratégie en jouant sur deux registres : les options du long terme et les techniques permettant d’assurer la transition vers des énergies « non carbonées ». La préparation du futur Programme Cadre pour la recherche de l’UE (la Commission a lancé une consultation par un « livre vert » pour le préparer avant son démarrage en 2013) est un opportunité pour refonder une telle stratégie sur la base à la fois de thématiques assez larges et d’un aggiornamento institutionnel indispensable. Nous avons souvent évoqué les thématiques de recherche et nous nous contenterons de souligner que tout ce qui concerne l’électricité (en particulier son stockage et sa distribution par des smart grids) est une priorité, il en va de même des biocarburants du futur et du nucléaire de quatrième génération (les surgénérateurs). Quant à la mise en œuvre d’une politique de recherche énergétique et de soutien à l’innovation, l’efficacité requiert sans doute la création d’une Agence européenne spécifique les mécanismes programmatiques actuels étant usés jusqu’à la corde. L’Europe a du mal à dégager les grandes lignes d’une politique de l’énergie ce qui peut se comprendre car elle touche à des intérêts nationaux vitaux mais elle doit aussi réaliser que seule une politique commune permettra de faire face aux défis auxquels elle est confrontée. Cette politique doit tenir compte des préoccupations des citoyens européens. Ce qui leur importe, en fin de compte, c’est de pouvoir bénéficier d’une énergie « sûre » (ne pas risquer de pannes d’approvisionnement) à un coût tolérable même si, probablement, ils admettent encore difficilement que l’ère d’une énergie à bon marché est révolue. L’Europe de l’énergie n’est pas seulement une question de gazoducs et de centrales électriques, elle suppose aussi une vision du monde où l’énergie serait un facteur de développement avec une politique de transfert de technologies dont elle devrait être un acteur privilégié.


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