L’agriculture face aux défis énergétiques: un enjeu duXXI e siècle

Image00043.jpgLes crises alimentaires qui ont gravement affecté plusieurs pays ces dernières années ont mis en évidence l’importance des problèmes que pose l’agriculture mondiale. La production agricole demande de l’énergie (pour fabriquer des engrais, chauffer des serres, faire fonctionner des machines agricoles et notamment des tracteurs) tandis qu’une partie de la biomasse peut être utilisée pour produire des biocarburants (de l’éthanol par exemple). Le coût de l’énergie a une incidence directe et indirecte sur les prix alimentaires. Un rapport de prospective récent, Agriculture et énergie 2030, vient d’être publié en France et permet de faire le point sur les perspectives énergétiques de l’agriculture française.

 L’énergie a été souvent considérée comme un enjeu mineur dans l’agriculture française et mondiale, et il a été peu étudié d’ailleurs. Mais ces dernière années, la hausse du prix de l’énergie et en particulier celle des carburants (et des engrais produits en partie avec du gaz naturel) ainsi que la monté en puissance des biocarburants ont mis en évidence l’importance de la question énergétique pour l’agriculture. La question climatique a également mis en avant le rôle joué par la production agricole (à travers l’élevage) dans les émissions de gaz à effet de serre et plus particulièrement du méthane mais aussi dans le « piégeage » du CO2 atmosphérique. Il y a donc une relation forte entre agriculture et énergie au niveau de la planète : deux défis pour le siècle. Un rapport de prospective, Agriculture et énergie 2030 (http://agriculture.gouv.fr/prospective-evaluation ), vient d’être rendu public en France sur cette importante question sur laquelle il permet de faire le point. Il présente les analyses et les conclusions d’un groupe de travail qui a été piloté par le Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du Territoire. La question énergétique est un enjeu majeur pour l’agriculture française car celle-ci doit maîtriser sa consommation directe (gazole, fioul, électricité et gaz naturel) et indirecte (production et transport d’entrants tels que les engrais, les pesticides et les herbicides). Au total souligne le rapport, la « Ferme France » consomme environ 11 Mtep soit : 5,3 Mtep d’énergie directe et 5,4 Mtep d’énergie indirecte. Cette énergie « directe » (gazole, fioul, électricité, etc.) représente 3% de la consommation d’énergie primaire de la France (soit de 156 Mtep en 2009) ce qui n’est certes pas considérable mais a une incidence sur le compte d’exploitation des fermes lorsque le prix des carburants monte comme c’est de nouveau le cas depuis quelques mois. Pour l’ensemble des exploitations françaises, les dépenses de carburants et lubrifiants représentent 8,3% des consommations intermédiaires, les engrais 13¸1% et les aliments pour les animaux 21, 6%. Qui plus est, la logistique (transports notamment) en amont et en aval (transports des engrais et des produits agricoles) pèse dans le bilan énergétique et la répartition territoriale (distance entre les lieux de production et les centres de consommation) et elle constitue donc un paramètre important de la politique agricole. On constate d’ailleurs de fortes disparités dans le bilan énergétique de l’agriculture entre les régions françaises : la part de l’agriculture est ainsi de 6% dans la dépense énergétique en Bretagne (une région très agricole), de 5% dans les Pays de la Loire, de 4% en Auvergne, dans le Centre, en Champagne Ardennes, en Midi-Pyrénées et en Poitou Charente, et elle plus faible dans les autres régions. Le groupe de travail ne s’est pas limité à ces constats et il a identifié trente-trois variables clés pour comprendre l’évolution du système agriculture-énergie : les variables de la production agricole proprement dite (gestion de l’azote, performance énergétique des bâtiments, etc.), celles caractérisant la relation agriculture société (la population agricole en baisse constante, les organisations agricoles, etc.), la composante transports-logistique, les variables caractérisant les politiques publiques (la politique agricole nationale et européenne, la politique énergétique, la politique de R&D notamment) et celles liées au contexte mondial (prix du pétrole, géopolitique, négociation climatique). On notera que le rapport a fait plusieurs hypothèses sur le prix du baril de pétrole à l’horizon 2030: une progresion modérée mais aussi un baril entre 150 et 200 $.

Sur la base de ces variables, quatre scénarios ont été construits. Les scénarios, nous l’avons souvent souligné, sont un moyen commode de présenter des évolutions possibles d’une politique : ils ne constituent pas une « prévision » mais une projection possible dans l’avenir. Le premier d’entre eux intitulé « Territorialisation et sobriété face à la crise » est un scénario de crise : une crise énergétique profonde (prix élevés de l’énergie), affaiblit les modèles économiques conventionnels et provoque un repli sur les régions, l’agriculture réduit ses entrants (engrais), elle diversifie ses productions et développe l’élevage extensif, la « ferme France » réduit sa consommation énergétique de 32%, si les énergies renouvelables produites à la ferme (solaire et éolien) fournissent un complément de revenu aux agriculteurs et si la production de méthane se développe à partir des déchets, les biocarburants ne décollent pas car le prix de la matière première reste élevé. Le deuxième scénario « Agriculture duale et réalisme énergétique » part de l’hypothèse d’une volatilité des prix de l’énergie qui débouche sur une agriculture duale : – une agriculture d’entreprise intensive (principalement dans les plaines du nord, ouest et centre) – une agriculture multifonctionnelle diversifiée (agriculture biologique, élevage extensif, polyculture-élevage). Les énergies renouvelables connaissent une croissance modérée mais les biocarburants (ainsi que les OGM d’ailleurs) se développent dans le cadre de filières industrielles innovantes. Le troisième scénario « Agriculture-santé sans contrainte énergétique forte » suppose l’émergence d’une agriculture à forte technicité réduisant ses consommations de produits phytosanitaires, les consommateurs exigeant des produits diététiques, l’agriculture biologique se développe avec une agriculture péri-urbaine et les biocarburants connaissent un fort développement stimulé par l’arrivée des biocarburants de deuxième génération. Le quatrième et dernier scénario « Agriculture écologique et maîtrise de l’énergie » suppose qu’une prise de conscience est acquise, vers 2015, de la nécessité de réduire l’impact environnemental des activités humaines ; un marché commun du CO2 Union Européenne – Etats Unis se met en place, une politique agricole réformée stimule une agriculture réduisant ses intrants, diversifiant les assolements, généralisant les cultures fixatrices d’azote. Les énergies renouvelables et la méthanisation connaissent un très fort développement. Chaque scénario conduit à des économies d’énergie (au minimum 8% en 2030) mais les consommations d’énergie varient fortement d’un scénario à l’autre, ces économies sont obtenues grâce à une optimisation énergétique du matériel et une utilisation à la ferme des énergies renouvelables (solaire et éolien). On observera que seuls les scénarios 1 et 4 permettent d’atteindre dans l’agriculture l’objectif européen du paquet énergie-climat prévoyant une réduction de 20% de l’énergie consommée en 2020 par rapport à 1996. En conclusion le rapport de prospective fixe quatre grands objectifs généraux à l’agriculture : – réduire la consommation d’énergies fossiles et améliorer l’efficacité énergétique de l’exploitation agricole (les machines et les bâtiments) – réduire la consommation d’énergies fossiles des territoires et des filières agricoles (en réduisant les gaspillages, en optimisant la logistique notamment les transports entre régions) – faire de l’agriculture française un secteur moteur dans la production et la consommation d’énergies renouvelables et durables (notamment dans les biocarburants) – favoriser la Recherche- Développement et la diffusion de l’innovation sur les enjeux énergétiques en agriculture (soutien de l’innovation dans le domaine des performances énergétiques), développer la recherche sur de nouvelles filières énergétiques, former les agriculteurs aux enjeux énergétiques.

Ce rapport a le mérite d’introduire un débat sur la relation entre les enjeux énergétiques et l’agriculture à un moment où la question alimentaire revient d’actualité (forte augmentation des prix agricoles depuis six mois, contraction des exportations de certains pays touchés par des catastrophes climatiques comme la Russie et l’Australie) avec les risques politiques que cela comporte. La cherté de certains produits alimentaires de base est l’une des cause de la révolution politique en Tunisie en janvier et d’autres pays africains ne sont pas à l’abri de nouvelles émeutes de la faim (en janvier l’Algérie a procédé à des achats massifs de blé, près de 2 millions de tonnes, l’Egypte a fait de même ces six derniers mois, pour parer à toute éventualité). L’énergie n’est certes que l’un des paramètres du problème agricole (la consommation d’énergie de l’agriculture ne représente que 4% de l’énergie mondiale) mais son prix a une incidence directe sur les coûts de production et donc sur les cours des produits alimentaires. Le dossier des biocarburants doit être aussi ouvert. On notera que la « ferme France » produit environ 2,5 Mtep de biocarburants (bioéthanol et biodiesel) soit la moitié de sa consommation directe d’énergie ce qui est loin d’être négligeable. Peut-elle faire plus ? Sans doute et c’est une option retenue, mais avec prudence, par plusieurs scénarios. On soulignera toutefois (nous avons abordé cette question dans plusieurs brèves et dans notre livre « Vers une énergie durable ? ») que la filière actuelle des biocarburants de première génération ne tient pas la route car sa matière première (maïs, blé, canne à sucre, huiles végétales) est d’abord à finalité alimentaire et que la pression des besoins alimentaires dissuadera de détourner une part importante et croissante de la production agricole pour fabriquer des biocarburants ; on peut penser d’ailleurs que la ponction forte effectuée sur la production de maïs au Etats-Unis pour produire du bioéthanol (un tiers de cette production en 2010) a contribué à la forte hausse des cours mondiaux. L’alternative aux biocarburants actuels c’est sans doute une deuxième génération utilisant la ligno-cellulose (l’enveloppe végétale, les déchets agricoles et forestiers, etc.) qui peut être transformée en alcool par plusieurs voies (chimiques ou biologiques). A long terme l’utilisation de la biologie synthétique et du génie génétique ouvrirait sans doute de nouvelles voies (en fabriquant par exemple des bactéries synthétiques produisant des enzymes dégradant la cellulose). La percée de ces nouvelles filière suppose un effort de recherche important mais la France n’investit probablement pas suffisamment dans ces domaines (à travers l’Institut National de la Recherche Agronomique notamment) contrairement aux USA et au Brésil ; son absence de stratégie dans le domaine des OGM qui peuvent avoir un impact sur la production de futurs biocarburants étant par ailleurs un sérieux handicap.

A travers ce rapport on perçoit mieux que la politique agricole et celle de l’énergie ont beaucoup de points communs. L’agriculture française et mondiale doit maîtriser ses besoins énergétiques tout en restant compétitive, elle doit donc innover, mais elle peut aussi apporter une contribution importante à la solution des problèmes énergétiques si la recherche est capable de trouver des nouvelles méthodes pour fabriquer des biocarburants à partir de la biomasse. Le couple agriculture-énergie est bien au cœur d’enjeux du futur.


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