La saison hivernale est redoutée des entreprises de production et de distribution de l’électricité car les pointes de consommation des fins de journées par temps froid leur posent souvent de redoutables problèmes d’alimentation électrique pour faire face à la demande d’électricité. La modernisation et la construction de la « grille » électrique qui permet l’interconnexion de réseaux à l’échelle d’un vaste territoire (l’Europe de l’Ouest par exemple) sont devenues un impératif pour tous les continents. Il est aussi question de construire des réseaux « intelligents » et de mettre en place des compteurs électriques eux aussi intelligents. Ce sont des questions clés pour l’avenir de l’énergie électrique.
L’électricité est distribuée aux consommateurs d’un pays (entreprises, services publics, particuliers) par un réseau de lignes électriques qui constitue une « grille ». Celle-ci est le plus souvent interconnectée à l’échelle d’un continent afin de permettre des échanges (des exportations ou des importations) et donc de mutualiser en partie la production de l’électricité (cf. D.Clément et P.Papon, Vers une énergie durable ?, Le Pommier, 2010). La gestion des « pointes » de consommation est une opération délicate car elle oblige souvent à des opérations de délestage, lorsque l’offre ne peut pas répondre à la demande, afin d’éviter un « Black out » privant d’électricité une grande partie d’un pays avec des conséquences qui peuvent être graves. En France, les 14 et 15 décembre 2010, une pointe de consommation record correspondant à 96 GW ainsi été atteinte en début de soirée, à la limite de la capacité de production nationale. Au 1er janvier 2010, le parc français se composait de 63,3 GW de nucléaire (assurés par 58 réacteurs nucléaires), 24,8 GW de thermique (charbon, gaz et pétrole), 25,5 GW d’hydraulique et 4,7 GW renouvelables (4,5 GW d’éolien), soit une puissance totale légèrement supérieure à 118 GW (en 2009 le nucléaire a assuré 76 % de la production). Bien sûr cette puissance n’est jamais disponible dans sa totalité pour la consommation, il y a toujours des équipements défaillants, en maintenance, et des contrats commerciaux d’approvisionnement de pays étrangers. On estime que le taux de disponibilité des installations ne dépasse pas 80 %. Depuis deux ans la disponibilité du parc de centrales nucléaires a été plus faible du fait d’opérations de maintenance et ….de grèves. Tout le problème est donc d’avoir de l’électricité au bon endroit et au bon moment…
L’optimisation du réseau électrique se pose à l’échelle de l’Europe mais aussi aux Etats-Unis dont le réseau a été victime de nombreuses défaillances (en particulier en Californie) et en Afrique où l’interconnexion des réseaux est faible. Cette modernisation des réseaux se pose avec d’autant plus d’acuité que la priorité donnée à l’utilisation d’énergies renouvelables (l’éolien et le solaire) pour la production d’électricité sont des « ressources » intermittentes (en l’absence de vent les éoliennes ne tournent pas et la nuit les cellules solaires ne débitent pas) qui requièrent des réseaux capables d’accepter une puissance électrique produite en continu par des grandes centrales (des sources centralisées) et par des sources intermittentes (des fermes éoliennes par exemple). L’Europe a pris conscience, semble-t-il, de l’enjeu électrique car dix pays de l’Union Européenne ont signé, début décembre, un mémorandum pour construire une « super grille » électrique interconnectant ces pays (parmi lesquels l’Allemagne, la France, Le Royaume-Uni des grands consommateurs d’électrons, auxquels s’est jointe la Norvège qui ne fait pas partie de l’UE mais qui est un grand producteur d’électrons). Ce super-réseau sera sous-marin, des câbles reliant plusieurs points de distribution sur les côtes aux réseaux continentaux et des îles britanniques (y compris l’Irlande). Ce réseau aura la particularité de fonctionner avec du courant continu au lieu du courant alternatif ce qui limite les pertes en ligne. En effet le courant électrique alternatif est mal transporté par des câbles souterrains ou sous-marins (les pertes deviennent très importantes au delà de 80 Km) car il se forma une capacité électrique entre les câbles métalliques et la terre ou la mer qui provoque des fuites de courant. Ce transport par courant continu à très haute tension n’est pas classique et il faut donc innover. Si pour le courant alternatif il existe des disjoncteurs fonctionnant à très haute tension ceux-ci ne sont pas au point pour le courant continu qu’il faut pouvoir couper rapidement an cas d’incident, leur mise au point est un sérieux problème technique (cf. Colin Macilwain, « Supergrid », Nature, 2 December 2010, p. 624, www.nature.com ). Le coût total de ce projet impliquant la construction de plusieurs milliers de kilomètres de lignes est estimé à environ 40 milliards d’euros (un millions d’€ le Km). Le courant continu sera transformé en courant alternatif dans des stations sur les côtes et le réseau norvégien pourra être utilisé pour stocker l’électricité dans des barrages (on pompe l’eau dans des lacs de barrage et l’on fait fonctionner les turbines en sens inverse quand on a besoin de l’électricité aux heures de pointe).
L’Europe n’est pas le seul continent à connaître des problèmes de réseau électrique, l’Afrique en a aussi de sérieux car les zones de production et de consommation sont mal réparties (70 % des populations de l’Afrique sub-saharienne n’ont pas d’accès à l’électricité) : pour une capacité totale de 114 GW (équivalente à celle de la France), l’Afrique du Sud produit ainsi 43% de l’électricité du continent et l’Egypte 22% (cf. l’intéressant ouvrage de Christine Heuraux, L’électricité au cœur des défis africains, Paris, Karthala, 2010). L’Est de l’Afrique ainsi que tout le bassin du Congo sont bien dotés en ressources hydrauliques mais sont mal reliés par des ligne électriques à l’Afrique de l’Ouest qui a des besoins d’électricité importants. Pour l’heure cinq pools électriques africains se sont structurés autour des marchés régionaux. Plusieurs projets de lignes à haute tension sont envisagés ou en cours de réalisation en Afrique de l’Ouest (notamment une liaison à 330 kV entre Lagos, au Nigeria et Abidjan, en Côte d’Ivoire, le long de la côte, une autre connectant Dakar, au Sénégal au Ghana, et une transversale reliant Dakar à Ouagadougou via Bamako). Il existe des projets d’interconnexion en Afrique de l’Est entre la Tanzanie, la Zambie, le Congo et le Mozambique ; l’électrification rurale qui est une priorité pose d’autres problèmes dont la solution est techniquement plus simple. Sur un autre continent, l’Amérique, et plus particulièrement la Californie, des problèmes de grille électrique se posent également avec une certaine acuité mais pour des raisons différentes (cf. André Souille, La smart grid en Californie : acteurs et enjeux, Ambassade de France à Washington, www.ambafrance-us.com ). En Californie, un Etat où la consommation d’électricité est importante et qui doit importer une partie de son électricité des états voisins, la modernisation du réseau est impérative afin d’éviter des black out et aussi d’intégrer une partie importante et croissante de la production par des énergies renouvelables (près de 15% aujourd’hui hors hydraulique). La Californie qui veut développer un parc de voitures électriques (elle a mis en place des normes très strictes pour les émissions de CO2 par les automobiles) doit aussi disposer d’un réseau capable de faire face à une nouvelle demande de puissance électrique, c’est pourquoi elle prévoit la mise en place d’une « smart grid », un réseau intelligent, pour gérer production et consommation d’électricité avec des projets de stockage (par exemple par air comprimé et des volants d’inertie) dont certains vont bénéficier des crédits du plan de relance de l’économie lancé en 2009.
L’avenir de l’énergie électrique dépendra certes de la mise en place d’un réseau électrique performant mais aussi de la capacité de ce réseau a « gérer » l’électricité « intelligemment » avec une production mixte : une production à la fois centralisée assurée par des grandes centrales (barrages, centrales thermiques classiques et nucléaires) et décentralisée (par des fermes éoliennes et des centrales solaires). Les énergies renouvelables ont l’inconvénient d’être des sources intermittentes et le réseau doit être capable de supporter d’importantes variation de puissance sans disjoncter (c’est un problème majeur pour la « supergrid » européenne). L’heure est donc venue de mettre au point des réseaux « intelligents » ou « smart grids » en anglais (cf. Cécile Desaunay, « Les smart grids : la lumière de demain ? » Futuribles international, Note d’alerte 74, août 2010, Futuribles international, www.futuribles.com ) qui devront distribuer l’électricité à différentes échelles géographiques, en fonction des pointes de consommation, de sa provenance et de capacité de stockage qu’il faudra prévoir. Pour schématiser les réseaux intelligent seront un mariage entre un réseau électrique et les technologies de l’information. Leur mise en place suppose la mobilisation de moyens techniques importants (capteurs, dispositifs de transmission de l’information, systèmes informatiques et logiciels pour la gestion, automatismes pour couper le courant ou l’orienter vers des systèmes de stockage). Bon nombre de ces systèmes ne sont pas encore au point et un effort de recherche important devra être lancé (ils sont souvent financés par les plans de relance et en France par le « Grand emprunt »).
Les « smart grid » ne suffiront pas à mieux gérer l’électricité afin qu’elle soit économisée et les producteurs et distributeurs d’électricité (en France ERDF qui gère 95 % du réseau) veulent monter une marche de plus sur le podium de l’intelligence électrique en mettant en place des « compteurs intelligents ». Ces compteurs installés chez les consommateurs (entreprises et particuliers) seront interrogés à distance, éventuellement en permanence, pour mesurer les consommations (et anticiper ainsi des pointes), informer des consommateurs sur leurs niveau de consommation et les inciter si nécessaire à les différer (mettre en route une machine à laver le linge la nuit par exemple). Une politique de tarification inciterait à des économies ou à différer les consommations non urgentes lorsque le réseau ne peut y faire face. En France une expérimentation est en cours avec les compteurs intelligents Linky mis en place par ERDF (cf. un intéressant rapport du Sénat sur le sujet Rapport d’information par L.Poniatowski : le compteur électrique évolué, www.senat.fr ). A la fin de l’année 2010, deux cent mille compteurs Linky auront été installés (sur un total prévu de 300 000) chez des particuliers dans une partie de l’Indre et Loire (en zone rurale) et de l’agglomération lyonnaise. Toutes les fonctionnalités ne sont pas présentes dans ces compteurs expérimentaux qui sont installés à l’extérieur des maisons et des immeubles et qui ne sont donc pas accessibles aux consommateurs (ils n’ont donc pas d’information). L’expérience semble se dérouler sans incidents majeurs (certains disjonctent trop facilement). Cette nouvelle génération de compteurs est intéressante si elle permet une gestion de l’électricité permettant des économies (de 5 à 15% selon les gestionnaires de réseaux). Ces compteurs permettraient aussi de détecter et localiser plus rapidement des pannes et éventuellement de faire de la télésurveillance (pour des personnes âgées isolées par exemple : on vérifie qu’elles sont levées car elles consomment de l’électricité) ; on peut craindre aussi des atteintes à la vie privé dans la mesure où l’on pourrait suivre des activités d’abonnés ou vérifier leur présence ou leur absence de leur domicile. Il existe plusieurs expériences en cours en Europe de compteurs intelligents notamment en Suède où ils sont déjà bien en place et en Italie ; en France où il existe 35 millions de compteurs individuels, la généralisation des Linky coûterait 4 milliards d’euros.
La production et la gestion de l’électricité sont deux faces d’un même problème que compliquera l’intervention des énergies renouvelables. On sous-estime encore probablement les enjeux techniques d’une gestion « intelligente » de l’électricité ainsi que le coût de construction des infrastructures (le futur réseau européen sous-marin donne une idée de l’ordre de grandeur des investissements). Un effort de recherche technique important est nécessaire pour faire sauter les verrous techniques. L’Europe occidentale du fait de sa relative « compacité » territoriale a probablement une carte à jouer pour mettre au point les techniques nécessaires et les expérimenter en vraie grandeur et ensuite les vendre ou les transférer à d’autres continents.