L’avenir de la consommation mondiale d’énergie: un scénario » climatique » est-il possible?

Image00087.jpgLa question climatique est redevenue d’actualité avec la conférence organisée par l’ONU, en décembre à Cancun, au Mexique, qui est une nouvelle étape de la négociation internationale sur le climat, après celle de Copenhague, en 2009. La consommation d’énergie est considérée par les climatologues comme un facteur essentiel du changement climatique, aussi est-il intéressant d’examiner les scénarios pour la consommation d’énergie primaire et en particulier ceux qui permettraient de limiter le changement climatique.

Depuis le début des années 1990, l’évolution du climat de la planète est devenue une donnée essentielle de la question énergétique. Le climat de la planète est en effet piloté par le phénomène de l’effet de serre : les gaz de l’atmosphère (vapeur d’eau, gaz carbonique, méthane, ozone, oxydes d’azote, etc.) absorbent une grande partie du rayonnement infrarouge émis par la surface de la Terre ce qui provoque son réchauffement. Les combustibles fossiles dégagent du gaz carbonique lors de leur combustion et celui-ci est d’ailleurs responsable de 64 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropogénique, loin devant le méthane (15%). En fin de compte, le secteur de l’énergie est responsable à lui seul de 84% des émissions globales de CO2 et, selon les climatologues, l’accumulation continue de gaz carbonique dans l’atmosphère depuis le début de l’âge industriel provoque un réchauffement du climat. C’est en particulier la conclusion d’un groupe d’experts internationaux, le GIEC (groupe intergouvernemental d’experts du climat) qui étudie l’évolution du climat de la planète et propose des scénarios climatiques (le consensus n’est pas total car il existe quelques oppositions à cette thèse, en particulier celles de chercheurs travaillant en France avec Vincent Courtillot). Le GIEC a fait l’hypothèse qu’en diminuant de façon drastique les émissions de gaz à effet de serre, notamment celles de CO2, et en plafonnant leur concentration globale à 450 ppm au cours du siècle on aurait une probabilité de 50% de limiter à 2°C l’augmentation de la température depuis le début de l’âge industriel. Le CO2 est devenu un paramètre clé de la question énergétique auquel est associé la consommation d’énergies fossiles carbonées (pétrole, charbon et gaz naturel). On observera au passage qu’en France, en 2009, les émissions de CO2 liées à la production d’énergie ont diminué de 5,7%…..un effet de la crise. La conférence de Copenhague, en décembre 2009, a retenu cet objectif mais sans engagements quantitatifs sur les réductions d’émissions de la part des Etats.

L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) publie chaque année un rapport mondial sur l’énergie qui est une mine d’informations sur l’énergie dans le monde. Sa version 2010 (World Energy Report 2010, www.iea.org ) a été publiée, en novembre dernier, quelques semaines avant la reprise de la négociation climatique à Cancun. Comme chaque année, l’AIE balaye très largement tous les aspects de la politique énergétique mondiale à l’aide de projections sur l’avenir (l’horizon 2035 cette année). Elle présente, ou actualise, des scénarios pour la demande mondiale d’énergie primaire qui sont des projections à long terme à partir de la situation en 2008 (on observera que la consommation mondiale d’énergie a diminué de 2 % en 2009). L’AIE passe ainsi en revue, cette année, les grandes tendances de la consommation d’énergie primaire à l’horizon 2035 sur la base de trois scénarios : – le premier dit de référence suppose implicitement que les politiques énergétiques nationales se poursuivent sans inflexion majeure – le deuxième « Nouvelles politiques », une variante du premier, part de l’hypothèse que les Etats commencent à intégrer la variable climatique dans leurs politiques – le troisième baptisé « Scénario 450 » est compatible avec les engagements pris à Copenhague (limiter à 2°C le réchauffement de la planète). Le scénario de référence de l’AIE est optimiste, du style « tout va très bien Madame la marquise), la consommation totale passerait de 12,2 Gtep en 2008 à 18 Gtep en 2035. Le scénario intermédiaire, « Nouvelle politique », est moins énergivore puisque le niveau de la consommation mondiale s’établirait à 16,7 Gtep en 2035 (une augmentation de 36% par rapport à 2008). Le scénario 450 (correspondant à une concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère de 450 parties par million en équivalent CO2) limite la consommation d’énergie à 14,9 Gtep en 2035. Ce scénario est très volontariste car il met en évidence les contraintes draconiennes qu’imposerait un accord international sur le climat respectant l’objectif de Copenhague sur la période 2008-2035 (ou à défaut d’accord des meures prises par les Etats allant dans le même sens) : la consommation d’énergie (qui a baissé de 2% en 2009) ne croîtrait que de 21% (au lieu de 46% dans le scénario de référence), elle baisserait légèrement dans les pays les plus développés ceux de la zone OCDE et, donnée cruciale, la part des combustibles fossiles dans l’énergie primaire passerait de 80% à 63%, les émissions de CO2 chutant très fortement (elles ne représenteraient en 2035 que la moitié des émissions du scénario de référence). Cette chute de la part des énergies carbonées serait une véritable transition énergétique. Dans tous les scénarios la croissance de la consommation d’énergie primaire serait stimulée par les pays émergents, notamment par la Chine et l’Inde, mais le scénario 450 suppose une forte baisse de l’intensité énergétique des économies. La consommation d’énergie dans les transports (les carburants pétroliers) et la production d’électricité sont certainement les variables cruciales pour l’énergie (elle doublerait ou triplerait en Chine selon les scénarios) imposant de fortes contraintes, et l’AIE souligne que le scénario 450 n’est réalisable qu’au prix d’un vaste effort en faveur d’une part des énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse et hydraulique), leur contribution à la production d’électricité passant de 19 à 45 % en 2035 – avec une très forte croissance de l’éolien (13% de la production électrique) et du solaire (près de 6% de la production électrique) – et d’autre part du nucléaire dont le poids dans l’énergie primaire doublerait. Les biocarburants feraient également une percée dans le scénario 450 : ils représenteraient 15% de la consommation de carburants dans les transports (la filière ligno-cellulosique perçant après 2020). Dans ce scénario la consommation de pétrole chuterait après 2020 alors qu’elle progresserait dans les deux autres sans problème majeur, celle de charbon chuterait également après 2020 (40% de l’électricité mondiale est aujourd’hui produite avec du charbon et 80 % de celle de la Chine et 95% de celle de la Pologne….).

 Globalement tous ces scénarios posent des problèmes financiers redoutables, mais c’est évidemment le scénario 450 qui en pose le plus car il nécessiterait la mobilisation de 13 500 milliards de dollars d’investissements de plus que le scénario « Nouvelles politiques » qui mobiliserait 33 000 milliards de dollars jusqu’en 2035. Le scénario « climatique » compatible avec les objectifs de Copenhague suppose par ailleurs des efforts très importants pour développer les énergies renouvelables en particulier l’éolien et le solaire. Si l’énergie éolienne ne pose pas de problème technique majeur, il n’en va pas de même pour les deux filières solaires qui ne sont pas « mûres », l’électricité photovoltaïque et thermodynamique (appelée aussi solaire à concentration), dont les rendements doivent être considérablement augmentés et les coûts de production abaissés. La pénétration de l’énergie solaire suppose donc un effort de recherche et de développement technique important. Le scénario 450 mise aussi sur une forte croissance du nucléaire, techniquement faisable mais à un coût très élevé, qui suppose son acceptation par l’opinion publique et l’application stricte de règles de non-prolifération dont nous avons souvent parlé.

Un scénario climatique respectant l’objectif de Copenhague (limiter à 2°C le réchauffement climatique) suppose, on vient de le voir, une politique très volontariste dans toutes les régions du monde avec des investissements et des progrès techniques très importants. Il part de l’hypothèse, il est vrai, d’un maintien de la croissance économique mondiale sans aléas majeurs. Les contraintes très fortes qu’il impose rendent sa réalisation très aléatoire car même si des ruptures techniques survenaient, elles n’auraient pas d’impact majeur avant 2030. Le risque que l’on ne puisse pas limiter à 2°C l’augmentation de la température moyenne de la planète entre 1800 (début de l’âge industriel) et la fin du siècle est donc bien réel.


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