De l’énergie pour les pays pauvres

Image00014.pngL’énergie est la chose du monde la moins bien partagée pourrait-on dire car de très fortes inégalités de consommation de l’énergie primaire existent aujourd’hui et tendent à s’aggraver. On sait aussi que l’accès à l’énergie est un enjeu majeur pour les pays en développement qui conditionne fortement la possibilité d’assurer leur croissance économique et le bien être de leurs populations. Un récent rapport permet de faire des constats sur l’accès à l’énergie dans les pays les plus pauvres.

L’Assemblé Générale de l’ONU, en septembre 2010, a été l’occasion de faire le point sur les « objectifs du millénaire » qu’avait fixés l’ONU aux pays de la planète, en l’an 2000, et qui constituaient, en quelque sorte, une feuille de route, à l’horizon 2015, pour éradiquer la pauvreté dans le monde. L’énergie ne figurait pas directement au rang des objectifs clés pour la planète et cette absence est assez surprenante comme le montre un rapide bilan de la situation. Le Premier constat est celui des inégalités de consommation d’énergie primaire par tête d’habitants qui sont très importantes : pour une consommation mondiale moyenne qui s’élevait à 1,8 tep par habitant en 2008, celle de la Chine était légèrement inférieure à cette moyenne, celle de l’Afrique sub-saharienne était d’environ 0,5 tep par habitant, celle de la France de 4,5 tep et celle des Etats-Unis de 7,2 tep.

L’Agence Internationale de l’Energie (IEA), le Programme de l’ONU pour le développement (PNUD) et l’organisation de l’ONU pour le développement industriel (UNIDO) dans leur rapport sur la « pauvreté énergétique » publié à l’occasion de l’Assemblée Générale de l’ONU sont allées au delà de ce constat afin de hâter une prise de conscience de l’importance de la question énergétique pour les pays en développement. Ce rapport est l’objet d’un chapitre du World Energy Oulook 2010 (« Energy poverty ») , le rapport annuel de l’AIE qui vient d’être publié (www.iea.org , voir aussi Pierre Papon, "Un accès universel à l’énergie", Futuribles , No 368, p. 77, novembre 2010). Il part d’un triple constat concernant la planète : – 1,4 milliard d’habitants ne bénéficiaient pas d’un accès à l’électricité en 2009, le taux d’électrification n’étant que de 31% dans l’Afrique sub-saharienne – près de 2,7 milliards d’habitants n’utilisent que des moyens traditionnels très polluants (de la biomasse : bois, déchets végétaux) pour la cuisson des aliments. On remarque ainsi que la consommation d’électricité par les populations d’Afrique sub-saharienne (hors Afrique du Sud), est globalement équivalente à celle de la ville de New York (soit 52 kWh par habitant en Afrique et 2050 kWh par habitant à New York). L’AIE et l’ONU, s’appuyant sur des statistiques de l’OMS, soulignent aussi que le recours à des énergies polluantes pour les tâches ménagères est la cause de maladies respiratoires qui font de nombreuses victimes (en particulier chez les femmes qui assurent les tâches ménagères et les jeunes enfants qui restent auprès de leurs mères) ; le nombre de décès prématurés liés à ces énergies polluantes s’éleverait à environ 1,5 million chaque année dans le monde (un chiffre supérieur à celui des victimes de la malaria). Faute d’une politique plus vigoureuse que celle de l’actuelle feuille de route de l’ONU, les très fortes inégalités mondiales d’accès à l’énergie subsisteront en 2030 avec une faible diminution du nombre d’habitants dépourvus d’électricité (1,2 milliard au lieu de 1,4 milliard).. Pour atteindre les objectifs du millénaire en 2015 et diminuer la pauvreté, il faudrait que l’on puisse raccorder à un réseau électrique 395 millions de personnes de plus qu’aujourd’hui et qu’un milliard de plus d’habitants des pays pauvres puissent accéder à une énergie « propre » pour les tâches ménagères ce qui représente un effort financier de 41 milliards de $ par an jusqu’en 2015.

L’AIE dans son rapport plaide pour un objectif plus ambitieux : assurer un accès « universel » à l’énergie moderne, notamment à l’électricité à l’horizon 2030. Avec les agences de l’ONU elle propose un scénario visant à l’électrification complète de tous les pays et le remplacement des moyens polluants pour les tâches de cuisson par du kérosène, du gaz de pétrole liquéfié, du biogaz, des poêles émettant peu de polluants (les feux pour faire la cuisine sont en général constitués par trois pierres, l’une d’elle supportant une marmite, le foyer se trouvant entre les deux autres) etc. Il supposerait un investissement supplémentaire annuel de 36 milliards de $ jusqu’en 2030 par rapport au scénario initial de l’ONU pour les objectifs du millénaire. Ce scénario n’aurait qu’un impact limité sur la consommation mondiale d’énergie : une augmentation de 2,9 % de la production d’électricité en 2030 et d’environ 1% de la consommation de pétrole qui seraient associées à une croissance de 0,8% des émissions de CO2 et il ne représenterait en fin de compte que 0,06% du PIB mondial. Il faut souligner aussi qu’un effort d’électrification important doit être réalisé au profit des zones rurales, qui est probablement une priorité notamment en Afrique, il passera en particulier par un développement de l’énergie solaire et de la mini-hydraulique.

La mise en œuvre des objectifs ambitieux du scénario d’accès universel à l’énergie doit pouvoir être suivie au fil des années. C’est pourquoi l’AIE a mis au point un indicateur (EDI ou Energy Development Index) qui devrait permettre de suivre les progrès de l’accès à l’énergie qui sont liés à la richesse nationale comme le montrent les statistiques. Cet indicateur est en fait un indicateur composite pour chaque pays d’une région serait calqué sur l’Indicateur du développement humain (IDH) mis au point par l’UNDP. Il serait une moyenne arithmétique de quatre indicateurs spécifiques caractérisant : – la consommation d’énergie commerciale par habitant – la consommation d’électricité par habitant dans le secteur résidentiel – la part des combustibles « modernes » dans tout le secteur résidentiel – le pourcentage de la population ayant un accès à l’électricité. Cet indicateur est compris entre 0 et 1 (plus il est proche de l’unité meilleur est l’accés à l’énergie pour un pays donné) et il sera calculé pour chaque région (pour laquelle on connaît les valeurs maximum et minimum de chacune des variables, par exemple les consommations – maximum d’énergie commerciale par habitant qui en Afrique est de 2,88 tep en Libye – et minimum qui s’établit à 0,03 tep en Erythrée). L’indicateur global est ainsi : – 0,92 pour la Libye – 0,75 pour l’Afrique du Sud et l’Algérie – 0,55 pour la Chine – 0,22 pour l’Inde – 0,18 pour la Côte d’Ivoire, le Nigeria (un pays producteur de pétrole) et le Cameroun, etc. On pourrait constater que cet indicateur est assez corrélé avec l’IDH. On observe aussi que l’indicateur énergétique va privilégier en Afrique la diminution de la biomasse comme ressource énergétique alors qu’elle peut être utilisée comme énergie dans beaucoup d’activités économiques dans les pays en développement, ce qui peut être un inconvénient et un biais.

L’objectif d’assurer un accès universel à l’électricité, et plus généralement à un minimum d’énergie « propre », est un impératif pour les pays en développement les plus pauvres qui sont loin du compte et il constitue d’ailleurs un enjeu de la négociation sur le climat qui va passer par une nouvelle étape à Cancun à la fin du moins de novembre. Les techniques à mettre en œuvre sont relativement simples pour une énergie domestique de base. Elles sont un peu plus complexes pour l’électrification, notamment en zones rurales, même si pour les filières de production d’électricité à partir du solaire (le photovoltaïque et les centrales à concentration) elles sont déjà disponibles. On remarquera à ce propos que le projet Desertec de construction d’un réseau de centrales solaires en Afrique du Nord pour produire de l’électricité qui serait exportée par l’Europe (proposé par la branche allemande du Club de Rome et soutenu par des grandes entreprises allemandes), outre qu’il est pharaonique, ne prend absolument pas en compte la priorité que constitue l’électrification à grande échelle de l’Afrique et il est de ce point de vue assez irresponsable. Il reste à savoir, en fin de compte, comment sera financé cet accès universel à l’énergie qui suppose aussi une politique de transferts de technologie vers les pays du Sud. 


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